Sergent Joseph-Auguste Bernardin

Lors de mon dernier passage au Linge, la nouvelle vitrine consacrée à quelques combattants du Linge exposait le nom et quelques objets d’un sergent bien connu des connaisseurs de la bataille : le sergent Joseph-Auguste Bernardin. En fait, c’est au grade de lieutenant qu’il est mentionné dans la vitrine, un sujet à discussion. Pour moi et bien d’autres (par exemple, Jean-Bernard Laplagne dont le site Hilsenfirst a malheureusement été fermé), le récit de Bernardin est probablement l’un des meilleurs. Moins de deux mois, entre son arrivée en plein milieu des combats de l’Hilsenfirst fin juin et l’assaut du sommet du Linge, jusqu’à sa blessure le 4 août 1915, son récit dresse les portraits de ses camarades et chefs (dont Barberot), les combats dans lesquels il est englouti, ses réflexions générales et particulières sur les situations vécues, et aussi sa détresse dès les premières pages où il apprend la mort de son beau-frère. Son carnet a été confié par sa famille au mémorial du Linge en 1978, qui l’a publié et continue de le vendre à l’entrée du musée. Mais quel était le parcours de Bernardin ? L’introduction de la publication est succincte et la présence d’homonymes nombreux a pu rendre confuses les recherches. Cet article est l’occasion de clarifier ce parcours, grâce à quelques recherches et l’aide précieuse de Bruno Ferry et Hubert Durlewanger.

Premières années, service militaire et mariage

Les Bernardin, une famille nombreuse de cultivateurs des Vosges

Auguste Joseph Bernardin est né le 4 juin 1882 à Granges-de-Plombières dans les Vosges. Son père, Aimé Auguste Bernardin (1837 – ?) est cultivateur. Sa mère Marie Joséphine Jeanvoine (1848 – ), originaire d’Aillevillers-et-Lyaumont (Haute-Saône), cultivatrice elle aussi à Granges-de-Plombieres, est veuve (Bernier). Le couple se marie le 22 avril 1878. Le foyer héberge les enfants du premier lit (Marie né vers 1869, Paul né vers 1871, Ludivine né vers 1874, Eugénie et Adeline nées vers 1877) ainsi que sa grand-mère maternelle Rose-Marie (1817 – ?) (voir le recensement de 1886). Du mariage de ses parents sont issus plusieurs frères et sœurs dont une sœur ainée née en 1879, un frère cadet Jean-Baptiste (né en 1885) et deux sœurs plus jeunes (Marie Christine née en 1888 et Marie Adeline née en 1891).

Grange-les-plombières
Vue de Granges-de-Plombières, vers 1900

Des études brillantes

Brillant à l’école, il poursuit ses études et quitte le foyer pour rejoindre le lycée. Il obtient son baccalauréat (ce qui pour l’époque est rare) puis suit une licence de lettres à la faculté de Besançon. Conformément à la loi de 1889, article 23 organisant le service militaire, Bernardin bénéficie en 1903 des dispositions permettant aux étudiants es lettres d’effectuer un service limité à un an. Cette disposition sera modifiée en 1905.

Lors de son service militaire, son livret indique la profession d’instituteur dans une école libre (catholique), ce qui est peut-être un travail d’apoint. Joseph Auguste est profondément catholique, ce qu’attestent les nombreuses références à la foi et aux évangiles dans son carnet du Linge.

Cheveux châtains, yeux bleus, il mesure 1m 64 au moment de rejoindre la caserne.

Service militaire

Bernardin rejoint le 3e BCP le 16 novembre 1903 pour son service miliaire, jusqu’au renvoi en disponibilité le 18 septembre 1904 avec le grade de caporal. Il continue néanmoins sa formation militaire, passe sergent le 18 mai 1905 et obtient son certificat d’aptitude comme chef de section en 1906. Plusieurs périodes suivront jusqu’au déclenchement de la Grande Guerre.

Joseph-Auguste Bernardin en uniforme
Source : musée du Mémorial du Linge

Fin d’études et mariage

En parallèle, il poursuit ses études ce qui l’amène à changer régulièrement de localité. Il part d’abord à Fribourg en Suisse en novembre 1904, puis à Besançon en 1906. Il retourne dans son village natal en juillet 1907, dont il s’absente pour Paris pendant 6 mois. Il repart en janvier 1909 à la capitale. Il semble y résider à la mobilisation.

Il se marie le 14 avril 1909 avec Marie-Josephine Bernardin (1881 – 1963). Le couple a plusieurs enfants dont Marcel (1910 – 2009).

Bernardin dans la Grande Guerre

La mobilisation et les premiers combats au 45e BCP

Joseph-Auguste est mobilisé le 2 août 1914. Il se présente par erreur au 5e BCP à Remiremont auquel il est affecté (mention dans son livret militaire) mais combat d’abord au sein de son bataillon de réserve, le 45e BCP.

La campagne d’Alsace

Le 8 août 1914 dans la nuit, son bataillon embarque à Besançon pour l’Alsace qu’il pénètre le lendemain. La première offensive française avait déjà permis la conquête de Mulhouse mais une contre-offensive allemande repousse les Français. Le 45e bataillon connaît le baptême du feu à Aspach-le-bas et doit battre en retraite. Il connaît ses premières pertes. Les Français relancent une seconde offensive mieux préparée mais seules des missions secondaires sont confiées au 45e BCP.

Bataille de la Marne

Le 25 août, le bataillon de Bernardin embarque à Belfort pour rejoindre le front du nord le 28 août. L’armée française recule rapidement face à la manoeuvre allemande qui passe par la Belgique. Le 29 août, à Proyart, il engage un combat violent où il perd 500 chasseurs et doit se replier. Le 6 septembre, il est à nouveau engagé dans ce qui va être nommé la première bataille de la Marne, à Puisieux. L’unité est ensuite retirée pour être reconstituée. Alors que la course vers la mer se termine, elle remonte au front pour s’enterrer. Les accrochages se multiplient tout au long de cette fin d’année et alternent avec les travaux de consolidation des tranchées.

Combats de Crouy

Le 13 janvier 1915, à Crouy, après la prise de premières lignes par les Allemands, le bataillon est engagé dans une contre-attaque et subit à nouveau de lourdes pertes. Il est à nouveau réorganisé et occupe divers secteurs dans un contexte plutôt calme. Bernardin est transféré en juin vers le 5e BCP.

L’Hilsenfirst et le Linge

Bernardin quitte le dépôt le 24 juin et se présente au 5e BCP le 25 juin 1915 à la gare de Bussang pour commander la 4e section de l’unité, durement éprouvée à l’Hilsenfirst . C’est ici que son carnet commence.

Il apprend le 26 juin en le cherchant, la mort de son beau-frère « Del », à peine marié avec sa sœur, ainsi qu’un ancien adjudant du 45e BCP. Le 27 juin, il rejoint les premières positions et se retrouve dans les combats violents au sommet de l’Hilsenfirst avant que son unité ne soit relevé le 4 juillet 1915.

Le bataillon se retrouve au repos au Breitfirst où Bernardin aperçoit Barberot pour la première fois. Il en fait un portrait flatteur :

Le lendemain, nous transportons nos pénates du côté du Trehkopf, dans les baraquements du Breitfirst où nous allons rester jusqu’au 11. C’est là que je vois pour la première fois notre nouveau chef de bataillon, le commandant Barberot, le vainqueur de la cote 830, avec ses “lions du 133” comme il se plaisait à appeler son ancien R.I. Dès que nous avons reçu les renforts indispensables que nous amène le capitaine Pérotel , le commandant Barberot entreprend de réorganiser et de remonter le 5e bataillon. Patriote ardent et soldat dans l’âme, il connaît à fond son métier, et nous paraît tout de suite d’une valeur bien au-dessus de son grade. Mais il a des idées personnelles, et il fait fi de la routine dont tant d’autres chefs supérieurs ne sont pas encore affranchis. Son franc parler, que ne tempère aucun souci de plaire a dû nuire à son avancement. A cette date déjà (juillet 1915), il pose en principe que l’artillerie doit conquérir le terrain, et que l’infanterie ne doit que l’occuper. Point de ces attaques non préparées, où l’on fait tuer inutilement des hommes en les lançant contre du matériel intact : réseaux de barbelés, blockhaus, etc. « On doit entrer l’arme à la bretelle dans les 2 premières lignes d’une position ennemie » dit-il. Il est grand partisan aussi du combat à la grenade, et nous enseigne la progression dans boyaux à peu près tels que la régleront les instructions de 1916 . Aussi, malgré ses manières bourrues, sous lesquelles se cache un excellent cœur, il a vite fait de nous conquérir tous, gradés et chasseurs. Avec lui, nous irions au bout du monde. Quant à moi, j’en fais mon idéal du chef, et jusqu’à la fin de la guerre, dans ma petite sphère, je tâcherai de prendre modèle sur lui. En moins d’un mois, le 5e B.C.P. assez mal vu précédemment, devient le bataillon le mieux côté de la division ; il va même conquérir le glorieux surnom de « Roi du Linge ». Malheureusement il y perdra son 3e commandant, le meilleur peut-être, le commandant Barberot

L’unité s’entraîne et se repose, puis est passé en revue par le généralissime Joffre le 14 juillet 1915. Le dimanche 18 juillet, il repart au front, direction le Linge, pour une marche de plusieurs jours, passant de camp en camp. Le 28 juillet, Bernardin se faufile par un boyau avec sa section dans les premières lignes françaises du Linge, en pleine offensive. Il découvre une position peu enviable, un nombre considérable de morts et les tirs allemands qui frappent à tout moment.

Le 29 juillet à 15h30, après une préparation d’artillerie insuffisante, il participe au premier assaut vers le sommet. Les pertes sont considérables et l’assaut est un échec. Le 1er août, il participe à un nouvel assaut mieux préparé grâce à Barberot, et occupe la tranchée allemande avec sa section. Il renforce la position pendant les deux jours suivants. Mais le 4 août, les Allemands lancent une contre-offensive qui débute par un bombardement imposant de plus de 10 000 obus.

Blessé

Le 4 août, Bernardin est blessé grièvement par éclat à la tête et au bras. Evacué, il reçoit des soins pendant près de 5 mois, dans plusieurs hôpitaux. Il est d’abord évacué vers l’hôpital de Dôle où il arrive le 6 août. Il y restera jusqu’au 30 septembre 1915 pour rejoindre l’Hôpital Villars dans l’Ain jusqu’au 18 octobre, puis l’hôpital 26 à Bourg du 21 octobre 22 décembre 1915. Il termine cette longue période de convalescence à l’hôpital militaire de Besançon qu’il quitte le 11 janvier 1916 pour rejoindre le dépôt à Lons Le Saunier.

Il est cité le 15 septembre 1915 à l’ordre de la 81e brigade :

Excellent sous-officier d’une très belle tenue au feu. A été grièvement blessé le 4.8.1915

En juillet 1916, il est vacciné contre la typhoide au fort des Rousses.

Officier

Le 3 novembre 1916, il est détaché pour suivre une formation d’élève officier de réserve à Valréas, dans le Vaucluse, dans une école créé la même année. Cette période le retire du front, qu’il rejoint quatre mois plus tard le 10 février 1917 comme sous-lieutenant au 170e BCP.

Il est promu le 3 avril 1917 lieutenant à titre temporaire, et rejoint le 32e BCP.

Le 21 mai 1918, il est à nouveau cité à la 66e brigade :

Le 14/5 s’est élancé bravement à l’assaut des positions ennemies et a été constamment l’auxiliaire dévoué de son commandant de compagnie dont il assurait l’exécution des ordres.

Le 24 septembre 1918, en pleine offensive victorieuse, il est blessé à la main par les tirs d’une mitrailleuse.

Le 13 octobre 1918, il est cité une troisième fois, mai à l’ordre dela 133e division :

A pris part aux attaques du 18.9 au 10.10.1918 comme chef de section puis comme commandant de compagnie, a fait preuve pendant ces dures journées d’un courage et d’une énergie admirables.

Il est démobilisé le 27 février 1919 avec la Croix de guerre (3 étoiles) après près de quatre ans et demi sous les drapeaux.

Il sera nommé chevalier de la légion d’honneur le 4 février 1921.

Après la Grande Guerre

Bernardin s’installe à Paris, 8 rue Ernest dans le 13e arrondissement.

Il passe sous-lieutenant à titre définitif le 20 août 1922. Il est versé dans le service d’état-major en 1924. Il continue de suivre des formations militaires, malgré ses cinq ans sous les drapeaux et son âge. Il suit en 15 jours de formation à l’état-major de l’armée, à la section du chiffre du 6 au 20 août 1928, période qu’il renouvelle en 1930.

Pendant la seconde guerre mondiale, il continue d’avoir des contacts avec d’anciens officiers du 5e BCP, dont le lieutenant Maurice, fusillé par les Allemands en 1944.

Il s’éteint le 8 avril 1949 à Argenteuil (Val-d’Oise).

Bernardin et le musée du Linge

La famille confie son carnet ainsi que de nombreux effets personnels au musée du mémorial du Linge en 1978. Des objets lui ayant appartenu sont donnés ultérieurement. Aujourd’hui, le visiteur trouvera toujours à l’accueil cet écrit épatant que je ne peux que recommander, et une vitrine où sont exposés les effets de ce chasseur qui traversa toute la Grande Guerre. On y trouve notamment son uniforme de lieutenant, ses décorations, son sifflet et son carnet militaire.

Le site du CRID consacre aussi un article aux écrits de Bernardin. Les recherches du présent article de mon blog corrigent néanmoins l’introduction erronée de la fiche. Bernardin est bien devenu lieutenant, et ce pendant la Grande Guerre.

2 Commentaires

  1. Bonjour Philippe et à toutes et tous.
    J’avais donc eu bien raison d’introduire une précaution oratoire à l’époque de son analyse cridienne sur ce doute quant au grade du sergent. Doute manifeste puisque je ne l’ai pas retranscrit dans sa notice publiée dans 500 témoins de la Grande Guerre (page 67). Merci Philippe d’avoir noté cette notice dans votre pertinente et « rétablissante » analyse présente. Yann Prouillet

    1. Bonjour Yann, et merci pour votre commentaire.
      C’est le livret militaire qui a permis de lever tout doute et remonter vers les bons liens, afin d’écarter les doutes.
      Les recherches sont un travail mouvant, qui s’éclaire souvent dans le temps grâce à de nouvelles sources.
      Je ne manquerai pas de modifier la conclusion lors de la mise à jour de la fiche du CRID.

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