(Cet épisode « l’affrontement » fait suite au premier premier : le retour de la guerre de siège).
Alors que les Français redoutent une attaque par les mines dès septembre 1914, le commandant Barberot et le capitaine du génie Cassoly détectent le creusement de galeries par les Allemands au début du mois de mars 1915. A ce moment précis, les deux camps se lancent dans une course aux mines et contre-mines. La première explosion a lieu le 6 avril. C’est la chronique d’un affrontement et de combats acharnées qui vont durer trois mois, une lutte qui met les combattants à rude épreuve.
Début véritable de la guerre des mines – avril 1915
Le 3 avril, l’infanterie française détecte des bruits de mines entre deux rameaux. Un nouveau rameau est démarré aussitôt pour la contrer. Les bruits de pioche se rapprochent toujours le 5 avril. Joseph Saint-Pierre du 23e RI écrit :
Les Boches font des travaux de mine. C’est un nouveau genre… on nous a annoncé que le blockhaus tout entier était miné et que nous devons sauter… douce perspective…
Une compagnie du génie travaille nuit et jour dans la direction où nous entendons creuser. On fait ainsi des puits P1, P2, PR3 etc. puis des rameaux R1, R2, R3 etc. Ces pauvres mineurs travaillent courbés, et nous n’avons pas seulement une perforatrice. Elle est demandée.
Les Boches nous entendent travailler. Quand nous frappons 3 coups, ils répondent par 3 coups…dix coups : dix coups etc.
Le 6 avril 1915 a lieu la première explosion. Elle fait suite au contact entre une galerie française et allemande à 8 heures du matin. La paroi de séparation entre les deux galeries ennemies s’effondre. Le travailleur français voit apparaître le pic de son homologue allemand. Ce dernier bouche l’ouverture avec un bout de bois, des tirs sont échangés, et les français font exploser une charge de 2kg. L’explosion détruit le rameau adverse et probablement une perforatrice. A 20h, les Allemands ripostent par l’explosion d’une charge de 300 kg. L’explosion creuse un entonnoir de 14 m de diamètre et ensevelit quatre sapeurs français. Ils ne pourront être sauvés.
Le médecin Joseph Saint-Pierre écrit le 6 avril dans son carnet :
Les sapeurs boches et français se sont si bien rapprochés qu’ils se sont rencontrés : un coup de pioche a crevé la cloison qui les séparait à R3 bis… Chacun court chercher son arme…Quand le nôtre revient, le Boche lui tire dessus et le manque… Notre homme revient et on installe une sentinelle baïonnette au canon à l’entrée de notre R3 bis, comme un chasseur guettant un renard au terrier.
Le capitaine du génie prépare un camouflet de 2kg de cheddite qui ne produit pas de grands résultats.
A 20 heures, les Boches nous font sauter : entonnoir de 8m x 15m, démontant R3 bis, R3ter + le sapeur Delamote.
Berge saute dans l’entonnoir immédiatement pour aller rassurer un poste qui se trouve séparé de nous par l’entonnoir. Il est pris pour un Boche par les hommes assez effrayés.
Le 7 avril, après un autre contact, le capitaine Cassoly fait exploser un camouflet de 70 kg à 19h10 et détruit le rameau adverse. Joseph Saint-Pierre écrit encore dans son carnet :
Nous faisons sauter les Boches à notre tour avec 58 kg de cheddite + 3 m 3 mélinite devant une demi-lune Dumont à Robis.
J’ai voulu aller voir l’explosion et ai commis l’imprudence d’aller sur les prés devant les tranchées Dumont. L’explosion se produit … Les Boches croyant à une attaque tirent des feux de salve et je me trouve sur un terrain copieusement balayé. Une balle touche vers mon pied gauche. Dans l’herbe cela fait « fvirt »…
Le 9 avril, le capitaine qui a détecté les jours précédents un rameau ennemi qui a dépassé le français, fait exploser 310 kg qui détruisent aussi une partie de la tranchée allemande. Les lignes ennemies ne sont qu’à quelques mètres. Joseph Saint-Pierre écrit dans son journal :
Nous faisons sauter R1 + une demi-lune droite. Nous commençons à nous habituer à ce genre de guerre. Il est assez original d’entendre, tandis qu’on est tranquille dans une tranchée, un Boche creuser au-dessous de soi. On arrive parfaitement à se rendre compte de sa direction, de ses progrès, de ses intentions. On écoute à l’oreille ou au microphone…Parfois le bruit de choc est arrivé au point qu’il voulait atteindre…et le bruit sourd qu’on entend est celui produit par le transport des poudres…Il n’y a pas de temps à perdre. On compte qu’il mettra deux heures environ pour charger…et quelle vie pendant ces deux heures, pour ceux qui sont de faction au-dessus et attendent de minute en minute, le moment d’aller faire un voyage dans la lune. Eh bien, c’est incroyable…personne ne perd le nord : une décision sera vite prise : ou bien charger de son côté avec un petit fourneau de mine, si le Boche n’est pas trop loin. Une petite explosion suffira pour écraser le rameau boche. Mais il faut se dépêcher. C’est la course à la mort. Le 1er tuera l’autre pour lui apprendre à vitre!!!!!
Ou bien on creusera rapidement dans la direction du fourneau pour créer de ce côté un point faible. L’explosion trouvant de ce côté un point de moindre résistance, partira en majeure partie par notre galerie (évacuée en temps voulu) et l’effet destructeur sera très diminué, ou peut-être supprimé. C’est faire en sorte, en somme une cheminée au fourneau de mine.
Le 10 avril 1915, les Allemands procèdent à de nouvelles explosions et utilisent la déflagration pour pénétrer dans le dispositif français. Le capitaine Dupuy dans son ouvrage La guerre dans les Vosges, paru en 1936 et réédité en 2004 écrit :
A 18h30, 2 explosions bouleversent les 2 points de la tranchée avancée. Les dispositions de combat sont à peine prises que les allemands font irruption dans l’ouvrage, bousculent les défenseurs à coup de grenades. En même temps, ils dirigent un très violent bombardement sur le village de la Fontenelle ; des obus atteignent le poste de commandement et détruisent le magasin du génie et le poste téléphonique. Pendant les courts instants qui séparent l’explosion de l’arrivée des sections de réserve, l’ennemi a pu se répandre dans l’ouvrage et atteindre la deuxième ligne, mais une lutte, pied à pied, très énergiquement poursuivie pendant la nuit, nous permet de le refouler.
Le médecin Joseph Saint-Pierre écrit dans son journal, le 10 avril :
A 18h1/2 les Boches attaquent et commencent par trois explosions à P2, R0 et P1 : c’est à la demi-lune gauche, poste 8. En même temps des obus sur La Fontenelle. Le bombardement s’accentue…Et moi qui étais à faire une partie d’échecs avec de Seroux, lâchons la partie…
Sous la pression allemande, les Français inaugurent une nouvelle technique : l’abandon piégé d’une position. Charles Vuillermet écrit :
En avril :
Un de nos postes avancés, la 1/2 lune Dumont, particulièrement menacé par l’ennemi, est minée par les soins du Génie. Le 13 avril, le poste est abandonné et presque aussitôt occupé par une section allemande. Quelques minutes après, cette section est entièrement anéantie par l’explosion du fourneau de mine. La position de l’ennemi accrochée au flanc de 627 lui donnait malgré tout la supériorité pour ses attaques à la mine et nous devions limiter notre action au camouflage.
Le capitaine Dupuy décrit le résultat terrifiant de l’explosion du 13 avril sur les soldats allemands :
Au petit jour, on put juger des effets de l’explosion : des débris humains restaient accrochés à nos défenses accessoires. Des cadavres broyés gisaient au milieu des madriers. Les plaques de tôle d’un centimètre d’épaisseur furent retrouvées à 300 m à l’arrière de nos lignes, tordues et chiffonnées comme une feuille de papier.
Le médecin Joseph Saint-Pierre écrit quant à lui le 13 avril 1915 :
A 2h20 ils attaquent. Nous avons prévu le coup et faisons sauter 100kg de cheddite qui réduisent les Boches en bouillie à l’entrée du poste 7. Le sergent Reuther est pulvérisé et nous retrouvons de lui, seulement un morceau de colonne vertébrale et sur un barbelé un morceau d’intestin. Il était le frère du curé de Viriat. Des avions français nous survolent … Gaillard vient me voir…Forestier, Auger, Martignon sont tués … Duel d’artillerie.
Malgré les coups portés par les français, les Allemands intensifient toujours leurs travaux souterrains et gagnent en profondeur, à 8 – 10 mètres au lieu des 3 à 5 mètres précédents. Le 24 avril, une mine allemande explose devant les positions françaises. C’est probablement un accident. Les Français répliquent le même jour en faisant sauter un rameau. Suite à de nouveaux bruits de pioches perçus depuis le 26 avril, ils font sauter un autre rameau le 28.
A la fin du mois, le génie fait venir un groupe compresseur Ingersoll-Rand, avec marteaux-piqueurs et marteaux-perforateurs. Les outils sont opérationnels début mai, sous la direction d’un officier spécialiste, Roy. Charles Vuillermet écrit le 5 mai :
On installe un marteau perforateur à air comprimé. Cette perforation devait nous permettre de pousser rapidement des sapes sous les ouvrages allemands mais l’attaque du 22 juin et la contre-attaque du 8 juillet ont résolu la question.
L’enseignement général qui se dégage de la guerre de mine de la Fontenelle est que dès que les lignes sont suffisamment rapprochées, il est indispensable de prendre l’initiative des rameaux offensifs.
A noter que cette guerre des mines du mois d’avril fait l’objet de communiqués officiels, publiés ici sur ce blog.
Intensification de la guerre des mines – mai/juin 1915
Le mois de mai voit une intensification de la guerre des mines. Les Français continuent de prendre l’initiative. Le commandant Barberot qui se trouve sur l’Ormont écrit le 8 mai à sa soeur Isabelle :
A travers nos arbres, nous assistons aux pichenettes qu’on se fiche à La Fontenelle 631. Grenades, bombes, marmites, etc. La lutte souterraine continue paraît-il. On dit même qu’un grand coup se prépare de notre côté, si cela réussit vous en aurez certainement connaissance dans les journaux (un coup par en dessous bien entendu – un volcan) ; cela ne pourra d’ailleurs avoir lieu que dans un certain nombre de semaines aussi : silence complet sur la question
Claudius Dufour qui sert au 133e RI au sein du 2e bataillon donne un témoignage direct de la guerre des mines pendant le mois de mai 1915. Ce témoignage a été publié dans l’ouvrage Destin Brisés : poilus de l’Ain et du Rhône dans la Grande Guerre au sein des 23ème et 223ème Régiments d’infanterie, de Rémi Riche (2004) C’est un chronique au jour le jour, qui restitue bien l’intensité et l’angoisse du quotidien pour les soldats. Les explosions initiées par l’ennemie se succèdent et frappent non loin des positions. Le génie français travaille pour les contrer. Dufour mentionne aussi l’arrivée d’une nouvelle arme, le liquide enflammée. Voici des extraits de son témoignage :
1er mai 1915
Nous sommes installés dans notre nouveau secteur. Les camarades du 23e sont partis le cœur soulagé et pleins de joie car ils ont eu de grosses pertes et chaque semaine les boches font sauter plusieurs mines. Au cours de la journée, je me rends compte que la guerre de mines est en effet poussée avec une grande activité car plusieurs équipes de génie travaillent nuit et jour aux mines et contre-mines.
3 mai 1915
Il est 4 heures de l’après-midi : une violente détonation a secoué le sol et nous a tous fait trembler. C’est une mine qui vient de sauter à notre gauche.
6 mai 1915
Aujourd’hui notre génie donne la réplique aux boches. Ce tantôt à 2 heures, une mine chargée de 500 kg de cheddite enverra sans doute quelques bouches faire un vol plané. J’ai pu obtenir l’autorisation d’aller à l’observatoire afin de mieux jouir du coup d’œil. A 1h55, je suis en place en compagnie du sous-lieutenant S. et du sergent P.. Tout à coup une énorme colonne de fumée et de poussière nous obstrue la vue en même temps qu’une violente détonation nous assourdit. Pendant 2 minutes environ après la détonation, il retombe des objets de toutes sortes, projetés par la violence de l’explosion. Les brancardiers viennent de ramasser un cadavre boche à environ 300 mètres en arrière de notre première ligne. »
9 mai 1915
Il est midi : le génie vient nous prévenir que les boches vont faire sauter une mine dans nos parages. Depuis quelques jours, ils travaillent à la contre-mine et depuis un instant, les boches ont suspendu leurs travaux. Aussitôt le lieutenant me donne l’ordre de ne pas rester auprès de mes sentinelles et de n’y laisser aller personne. Je reviens donc dans mon poste et j’attends avec une anxiété et une angoisse sans pareilles. Chacun se demande à combien de temps il se trouve de la mort et a l’air d’interroger l’avenir. Plus aucune parole n’est échangée, les fronts se courbe et une vague d’alarme prend les cœurs. On songe à sa famille, puis de temps à autre, une lueur d’espoir traverse l’esprit. Je ne sais trouver les mots pour décrire l’état d’âme dans lequel on est noyé dans ces heures tragiques. Je viens de voir mes deux sentinelles ; elles sont d’une pâleur de mort et s’inquiètent de l’heure de la relève.
Trois heures : une violente détonation nous fait sursauter ; nous sommes aveuglés par une fumée intense et j’ai de la peine à me rendre compte de ce qui m’arrive.
Le moment fatal vient d’arriver, la mine a fait explosion. Je me précipite vers mes sentinelles et trouve la première complètement abasourdie et ne pouvant répondre aux questions que je lui pose. La deuxième, hélas, n’est plus et a été entraînée par le vent de la mort de la mine. Je fais mes recherches et trouve son cadavre à environ 200 mètres en arrière de son poste.
11 mai 1915
Nous avons fait sauter une mine il y a 20 minutes à peine : les boches nous ont traités d’assassins et de criminels.
14 mai 1915
Les boches ont fait exploser une mine dans l’après-midi : l’explosion a été si violente que les portes de la Fontenelle ont été arrachées de leurs gonds.
17 mai 1915
Nous avons fait exploser une mine à 10 heurs du matin et les boches à 2h30 de tantôt. Deux victimes de notre côté.
19 mai 1915
Les boches font encore sauter une mine. Immédiatement après, une violente rafale de minen s’abat sur notre tranchée. L’ennemi a cru, sans doute, que nous nous mettrons à réorganiser notre ligne tout de suite mais il se trompe car nous sommes dans nos abris. Cette guerre commence à nous éprouver très sérieusement : nous craignons beaucoup plus au-dessous qu’au dessus de nous.
21 mai 1915
Aujourd’hui nous donnons la réplique aux boches et nous faisons exploser 3 mines.
22 mai 1915
Les boches n’ont pas tardé à nous répondre et ont fait sauter un fourneau de mines des plus puissantes. L’entonnoir a environ 25 m de diamètre et 12 m de profondeur. A 10 heures, on vient nous annoncer l’entrée officielle de l’Italie dans la guerre à nos côtés. Plusieurs drapeaux italiens sont alors hissés au-dessus des tranchées et salués par de nombreuses rafales de la part des boches. Ce soir, la musique jouera l’hymne italien et la Marseillaise à proximité des 1e lignes.
28 mai 1915
Hier soir vers 10 heures, j’étais à mon poste lorsqu’une immense gerbe de flammes nous éclaira et s’approcha à environ 3 mètres de la tranchée. De suite, je fis replier mes sentinelles et nous nous tînmes prêts à ouvrir le feu en cas d’attaque. Les flammes continuèrent à se rapprocher peu à peu pour s’arrêter finalement à un mètre des créneaux des sentinelles et atteignirent parfois 5 mètres de hauteur. Une épaisse fumée nous enveloppa en même temps qu’une forte odeur de goudron nous prenait à la gorge. Pendant un quart d’heure environ, nous attendons ainsi et tout à coup les flammes cessent. Mes effets et ma couverture sont imprégnés de gouttelettes de goudron. Le lieutenant me fait alors appeler et me demande qu’elle est, à mon avis, cette matière inflammable. Je lui réponds alors qu’il y avait certainement une forte proportion de goudron à en juger par mes effets et ceux de mes camarades.
29 mai 1915
Ce matin un colonel du génie est venu faire une enquête au sujet de la matière inflammable employée par les boches. Après lui avoir rendu compte de ce qui s’était passé et fait part de mes impressions, il m’a appris que c’était sans aucun doute les liquides enflammés dont les boches ont l’intention de se servir. Un prisonnier, fait récemment, a annoncé l’emploi prochain de liquides enflammés au cours des attaques.
31 mai 1915
Nous sommes relevés ce soir par le 23e et allons prendre un mois de repos à la Vacherie.
1er juin 1915
Enfin sorti sain et sauf de la bagarre ! Comment suis-je ici ? Je ne puis me l’expliquer et ne puis le croire. Après un mois passé dans un secteur comme celui que nous venons de quitter, combien il est doux de pouvoir espérer et vivre librement.
Prochain et dernier article : La finale