Les cavaliers de l’ombre ou le soutien oublié des chasseurs à cheval et des dragons au 133e RI

La consultation des listes des tombes établies par les communes touchées par les combats du col des Journaux et des environs, entre le 30 août et le 10 septembre 1914, permet de faire une découverte inattendue. En effet, le rédacteur du JMO du 133e RI a omis, durant toute cette période, de mentionner, ne serait-ce qu’une seule fois, le rôle – pourtant loin d’être négligeable – joué par les cavaliers adjoints au régiment pour lui prêter main forte. Une lacune d’une telle ampleur ne manque pas de laisser dans l’ombre des aspects néanmoins essentiels du déroulement des combats au cours de ces journées. Tentons donc ici de rendre justice à ces cavaliers « oubliés » avec cette nouvelle étude qu’Eric Mansuy fait l’honneur de publier sur mon blog.

Les listes établies par ces communes révèlent la présence de dépouilles de cavaliers au sein du cimetière de Fraize (un lieutenant de dragons) et du cimetière de La Croix-aux-Mines (trois dragons et trois chasseurs à cheval), et à Haute-Mandray (un chasseur à cheval). Qui étaient ces hommes, et comment sont-ils venus mourir là ? Afin d’essayer d’y voir plus clair, nous avons ci-après compilé les JMO de la 82e brigade et du 6e escadron du 11e régiment de chasseurs à cheval (le 133e RI appartenant à la 82e brigade de la 41e DI, et le 6e escadron du 11e RCC constituant la cavalerie divisionnaire de la 41e DI), et le JMO de la 8e brigade de dragons, auxquels nous avons ajouté le JMO du 133e RI, dans le but d’en montrer les lacunes.  

Avant même l’arrivée du 133e RI sur le champ de bataille des Journaux et environs, des cavaliers y sont déjà à l’œuvre. La 8e brigade de dragons a en effet été mise à la disposition de la Ire Armée le 26 août, et le 27 au soir, le 11e régiment de dragons pousse jusqu’à La Croix-aux-Mines dont il chasse des éléments cyclistes, et qu’il occupe, avant d’en partir le 28 août. Ce même jour, le 18e régiment de dragons, en soutien d’une batterie d’artillerie, est sur les pentes du col des Journaux. Les deux régiments quittent Fraize dans l’après-midi. Le 29, le 11e RD perd le 1re classe Lucien FAYE, cocher natif de Brive et âgé de 23 ans, tué à La Croix-aux-Mines. Le surlendemain, la 8e brigade de dragons embarque en direction d’Epernay.

31 août 1914

A cette date, la mission de la cavalerie de la 41e DI est la couverture de la droite de la 82e brigade, autrement dit les éléments du 133e RI, et l’accomplissement de reconnaissances en direction de La Croix-aux-Mines. Vers midi,

« avec la cavalerie divisionnaire, combattant à pied, sur les pentes de 701, à l’Est de la Croix-aux-Mines, les compagnies du 133e ralentissent la marche d’une infanterie ennemie qui progresse, par petits paquets, de Verpellière sur Omégoutte. »

(JMO de la 82e brigade)

Le JMO du 133e RI indique simplement :

« Afin de couvrir la division, deux compagnies du bataillon DE CORN [3e bataillon] (les compagnies THIERRY [12e compagnie] et GERMAIN [10e compagnie]) et la compagnie CORNIER [4e compagnie] du bataillon FALCONNET [1er bataillon] s’établissent sur les crêtes au Nord-est du signal de Béhouille et s’y retranchent sur une position qui permet de surveiller tout ce qui se passe dans la plaine. »

Vers 17 heures 15,

« la cavalerie divisionnaire se replie, en inquiétant la colonne ennemie sur son flanc gauche, de 701 vers la Ferme du Haut-Pré (Sud-est de la Croix-aux-Mines). »

(JMO de la 82e brigade).

Le JMO du 133e RI n’en fait aucune mention.

Le JMO du 6e escadron du 11e RCC détaille en revanche une forte activité, par le menu :

« L’escadron rompt à 3 heures du matin. Le 4e peloton (lieutenant MEGNIN) opère dans la vallée de la Meurthe. Les trois autres pelotons se portent sur le Chipal qu’ils atteignent à 5 heures. Le 3e peloton (adjudant-chef VIALARD) se porte sur la Croix-aux-Mines – Verpellière où il prend contact avec l’ennemi et se porte ensuite à la Cote 710 au Nord de la Croix-aux-Mines.

Les 1er et 2e pelotons se portent sur Laveline à huit heures mais essuient des coups de feu à la sortie Nord-ouest de Verpellière et sont obligés de se replier sous le feu de l’ennemi. 2 cavaliers et 3 chevaux sont atteints par les balles, d’autres, très nombreux, s’abattent et contusionnent leurs cavaliers, nécessitant leur évacuation. Ces deux pelotons se reforment au Chipal et rejoignent à la Cote 710 le peloton VIALARD, d’où ils exécutent des feux sur les lignes d’infanterie allemandes garnissant le versant Nord-est du mamelon situé à l’Ouest de Verpellière. L’escadron se retire à 19 heures et va cantonner à Fraize. »

Le bilan de la journée est lourd, le régiment enregistrant 10 blessés : le maréchal des logis Ernest Louis Marie Philippe THIERRY D’ARGENLIEU (contusion d’un genou lors de sa chute de cheval), le 2e classe Adolphe BERAS, le 2e classe BERGER, le 2e classe JOLY, le 2e classe Marius MAGNIN (grièvement blessé, hospitalisé jusqu’en mai 1915), le 2e classe BIZET, le 2e classe COLERE, le 2e classe PONSOT, le 2e classe Sylvain MOREL, le 2e classe MULLER.           

Ces premiers éléments permettent de prendre connaissance du déroulement des opérations autour de La Croix-aux-Mines, alors que le JMO du 133e RI les a occultées et s’est concentré sur le mouvement en direction de Coinches.

1er septembre 1914

Le JMO du 133e RI relate les combats de la Tête de Béhouille, puis l’occupation des cols de Mandray et des Journaux. Le 6e escadron du 11e RCC a rempli une mission de soutien d’artillerie, et son JMO nous apprend que

« dans la journée, 1 brigadier et 2 cavaliers détachés près du colonel Coste, commandant la 115e brigade, surpris par le feu de l’infanterie ennemie, furent blessés, le brigadier tombé dans les lignes ennemies et pas reparu. »

Ledit brigadier est René GOLL, né à Mulhouse en 1886. Sa citation à l’ordre de la division est :

« Alsacien d’origine, plein d’une belle ardeur combative et d’un perpétuel désir de se rendre utile, n’a cessé de se distinguer et en particulier le 1er septembre, alors qu’une patrouille qu’il commandait étant tombée sous le feu de l’ennemi, il continua à se porter en avant en disant « Couchez-vous, je verrai aussi bien tout seul » ; a été blessé quelques mètres plus loin. »

Son corps ayant été retrouvé après les combats, sa mort a été datée du 12 septembre, et il a originellement été inhumé à Haute-Mandray. A ses côtés ont été blessés le 1re classe BERTRAND et le 2e classe THEVENET.    

Le Chipal après les combats de septembre 1914 (coll. part.)

2 septembre 1914

Selon le contenu du JMO du 133e RI,

« à 4 heures du matin, le gros (5 compagnies) se replie sur le col des Journaux en laissant 3 compagnies aux avant-postes de combat : la 1re compagnie (capitaine FILLON) à la lisière du bois au Nord du col de Mandray, barrant la vallée qui vient de Haute-Mandray ; la 3e compagnie (lieutenant MEURANT) à la lisière du bois à l’Ouest de Chipal, barrant la vallée qui vient de la Croix-aux-Mines ; la 11e compagnie (capitaine LAROCHE) sur le mouvement de terrain de la Cote 697. Une fusillade se faisant entendre vers la Cote 697, la 10e compagnie (GERMAIN) est envoyée pour soutenir la 11e compagnie. A 10 heures 15, le colonel est avisé que la compagnie LAROCHE sur le point d’être cernée par l’ennemi a abandonné la Cote 697 et entraîné la compagnie GERMAIN dans sa retraite sur le col des Journaux. Le colonel fait prendre les armes aux 9e et 12e compagnies et se porte à la rencontre de l’ennemi pour le refouler au-delà des bois et réoccuper la Cote 697. Il rallie les 10e et 11e compagnies et tout le bataillon, réuni et prêt à l’attaque s’il y a lieu, se porte à la lisière des bois de Mandray. Il refoule quelques éléments ennemis remontés dans les bois et réoccupe la Cote 697. »

Le contenu du JMO de la 82e brigade nous instruit sur les événements de la portion Est du champ de bataille, en ce qui concerne surtout les dragons :

« A la pointe du jour. La cavalerie divisionnaire, 6e escadron du 11e chasseurs, éclaire sur le front le Chipal – le Saulcy. L’escadron de la 58e division, 5e du 26e dragons, arrive au col des Journaux pour renforcer la cavalerie divisionnaire de la 41e DI. Cet escadron se porte sur la droite du détachement, pour éclairer et couvrir dans le vallon de Croix-aux-Mines et les hauteurs à l’Est.

Une reconnaissance d’officier de cet escadron revient au col des Journaux. Accueillie par un feu violent de dragons allemands, au Nord-est du Chipal, elle a dû se replier avec son officier et un dragon grièvement blessés. Un dragon a été tué. »

Quant aux chasseurs, le JMO du 6e escadron du 11e RCC indique :

« L’escadron convoqué à 5 heures 30 au col des Journaux est employé par le colonel commandant le 133e régiment d’infanterie, remplaçant provisoirement le colonel Coste en attendant l’arrivée du colonel Nudant désigné la veille au commandement de la 82e brigade, à envoyer quelques patrouilles dans la direction du Nord et du Nord-est pour éclairer l’extrême droite de notre ligne ; vers 11 heures, ces patrouilles sont relevées par des fractions d’infanterie du 133e et l’escadron est reconstitué au col des Journaux, à l’exception de deux postes de correspondance détachés le matin, l’un au col de Mandray, l’autre à la sortie Sud de Saint-Léonard, pour transmettre les renseignements à l’aile droite et à l’aile gauche de notre ligne. »

Le rédacteur du JMO du 133e RI décrit ensuite, entre 15 heures et 17 heures, les combats de la Tête de Béhouille, puis poursuit :

« A 17 heures, au moment où le bataillon DE CORN commence son mouvement, l’artillerie ennemie établie sur les hauteurs entre Sadey et Haut-Pré, sur les pentes Est de la vallée de la Croix-aux-Mines, ouvre un feu des plus violents qui couvre de projectiles le col entre la Cote 697 et la Cote 639, formant un barrage qu’il est impossible de franchir. Le feu se continue avec la même intensité jusqu’à la nuit sans qu’il soit possible à notre artillerie de contrebattre l’artillerie dont elle ne peut repérer exactement l’emplacement dissimulé dans les bois. »

A en croire le rédacteur du JMO du 22e BCA,

« à 16 heures, la 4e compagnie avait reçu l’ordre d’aller attaquer une batterie allemande située sur les pentes à l’Est de la Croix-aux-Mines. La nuit survint avant que cette compagnie ait pu accomplir sa mission. »

Le contenu du JMO de la 82e brigade est moins flatteur pour l’infanterie, cependant :

« 16 heures.

Une batterie ennemie qui semble installée sur les hauteurs Est de la Croix-aux-Mines prend d’écharpe les défenseurs de 639. On entend une fusillade partant de ces hauteurs, où la cavalerie divisionnaire est engagée dans un combat à pied. Le commandant de la cavalerie s’est heurté, en effet, à de l’infanterie derrière laquelle une batterie allemande est en action. En transmettant son renseignement (reçu à 17 heures 20), le commandant de la cavalerie demande un soutien pour continuer sa mission.

16 heures 30.

Une compagnie de ce bataillon [22e BCA] est détachée, en soutien de la cavalerie, par la maison forestière du Chipal, sur le Haut-Pré, Sadey, les Chaumelles, afin d’aider à déloger la batterie allemande qui prend d’écharpe le 133e et peut gêner le débouché de l’attaque sur Tête de Béhouille.

Vers 17 heures.

La compagnie du 22e n’ayant pu encore intervenir utilement, la cavalerie divisionnaire s’est repliée aux lisières de bois qui dominent à l’Est le Chipal.

18 heures.

Le gros du 22e alpin, 3 compagnies, s’installe à 697. La 4e compagnie, détachée à l’Est du vallon de la Croix-aux-Mines, progresse sur les pentes, en liaison avec des détachements de cavalerie et repère, vers 701, au Sud-est de Raumont, la batterie ennemie, dont le tir est toujours meurtrier pour les troupes de 639. La distance et le terrain couvert et très accidenté ne permettent pas d’espérer déloger cette batterie avant la nuit. »

Le 6e escadron du 11e RCC, pour sa part, s’avère avoir amplement pris sa part dans ces événements :

« Vers 15 heures, l’escadron auquel est adjoint le 5e escadron du 26e régiment de dragons est chargé de s’élever sur les crêtes qui dominent à l’Est la vallée le Chipal – la Croix-aux-Mines, et de participer par des feux au mouvement en avant de nos troupes qui ont pour objectif la Tête de Béhouille. L’escadron exécute dans de bonnes conditions un premier feu de la Cote 735, mais en progressant pour passer de la Cote 735 à la Cote 897, l’escadron a à souffrir du feu d’une batterie allemande placée à cette dernière cote ainsi que du feu de la compagnie de soutien de cette batterie allemande. Le MDL LAPLANCHE, les cavaliers WATTRÉ et LALLEMAND sont grièvement blessés, et 9 autres sont également blessés. 20 chevaux sont tués ou perdus. Ne pouvant progresser plus avant, l’escadron se reforme et occupe les lisières des bois au Sud de le Chipal jusqu’à la nuit tombante et rentre cantonner à Fraize. »

Le 2 septembre 1914 vient d’être la journée la plus meurtrière pour la cavalerie durant les combats du col des Journaux et environs. Dans la matinée, le 26e RD a perdu :

  • le sous-lieutenant de réserve Honoré DE CHÂTEAUNEUF-RANDON (25 ans, ancien étudiant de l’Institut National d’Agronomie (promotion 1909)), grièvement blessé, et qui mourra à Fraize le 4 septembre
  • le 2e classe Claude VAVRAND (21 ans, cultivateur), frappé à une cuisse par un éclat d’obus, mort de ses blessures à l’hôpital du Lac, à Gérardmer, le 8 septembre
  • le 2e classe Albert Félix DEGUERGUE (25 ans, palefrenier), tué au Chipal.

Le 11e RCC enregistre la perte de :

  • Claude Charles LAPLANCHE (22 ans, employé de scierie), maréchal des logis, tué
  • Pierre Jacques WATTRÉ (24 ans, maréchal ferrant), 2e classe, tué
  • Achille Joseph LALLEMAND (27 ans, maréchal ferrant), 2e classe, tué
  • François Ernest GRANDJEAN (29 ans, chef de chantier), brigadier, prisonnier
  • BARBOT, 2e classe, blessé
  • Gustave BARRÉ, 2e classe, blessé
  • BIGUAIT, maréchal des logis, blessé
  • Jules DEVAUX (28 ans, machiniste), 2e classe, blessé
  • Antoine DUBOST, 2e classe, blessé
  • Jean Baptiste GUINAND (24 ans, cultivateur), 2e classe, blessé
  • Charles LOMONT (23 ans, cultivateur), 2e classe, blessé
  • Paul MOUREY (24 ans, cultivateur), 2e classe, blessé
  • Jean PITAVAL (23 ans, boucher), trompette, blessé
Lallemand

Achille Joseph LALLEMAND (Mémorial GenWeb)

Les citations et détails des blessures de ces cavaliers donnent également une autre vision de la mission – malheureusement bien éclipsée – qui leur a été confiée :

Claude Charles LAPLANCHE :

« Sous-officier d’une ardeur belliqueuse en chargeant avec son peloton, le soutien d’infanterie d’une batterie allemande »

Jules DEVAUX :

« Alors qu’il chargeait avec beaucoup d’entrain le 2 septembre 1914, aux environs du Chipal, le soutien d’infanterie allemande, a été grièvement blessé. » (blessures : « le 2 septembre 1914, a été atteint d’une balle à la main droite au cours de la reconnaissance faite par le 6e escadron d’une position occupée par de l’infanterie et de l’artillerie allemande (blessure qui a nécessité son évacuation immédiate (Fraize, le 3 septembre 1914) ») 

Jean Baptiste GUINAND :

« Alors qu’il chargeait avec beaucoup d’entrain le 2 septembre 1914, aux environs du Chipal, le soutien d’infanterie allemande, a été grièvement blessé. » (blessures : « a été atteint d’une balle au bras droit et d’une autre à la figure (face droite) au cours d’une reconnaissance d’une position occupée par de l’infanterie et de l’artillerie allemande (blessures qui ont nécessité son évacuation immédiate (Fraize, 3 septembre 1914) ») 

Charles LOMONT :

« blessé par le feu au combat de Chipal (Vosges), blessé par balle le 2 septembre 1914. » 

Paul MOUREY :

« Alors qu’il chargeait avec beaucoup d’entrain le 2 septembre 1914, aux environs du Chipal, le soutien d’infanterie allemande, a été grièvement blessé. » (blessures : « le 2 septembre 1914, a été atteint d’une balle à la cuisse droite au cours d’une reconnaissance d’une position occupée par de l’infanterie allemande (blessure qui a nécessité son évacuation immédiate (Fraize, 3 septembre 1914) ») 

Jean PITAVAL :

« Chasseur hardi et entreprenant, a été blessé de plusieurs balles le 2 septembre 1914 aux environs du Chipal en chargeant avec son peloton le soutien d’infanterie d’une batterie allemande. » (blessures : « le 2 septembre 1914, à 17 heures ½, a été atteint d’une balle dans chaque bras et d’une autre à la figure au cours de la reconnaissance faite par le 6e escadron d’une position occupée par de l’artillerie et l’infanterie allemande (blessures qui ont nécessité son évacuation immédiate (Fraize, 3 septembre 1914) »).

En revanche, les circonstances de la blessure mortelle d’Honoré DE CHÂTEAUNEUF-RANDON restent alors inconnues, comme en atteste un article de L’Action Française du 29 septembre 1914 :

« Nous serions reconnaissants aux personnes qui pourraient nous fournir des détails sur la mort du comte Honoré de Châteauneuf-Randon, sous-lieutenant de réserve au 26e dragons, qui a succombé le 4 septembre, à l’hôpital de Fraize (Vosges), à une glorieuse et terrible blessure qu’il avait reçue au ventre. Ces détails sont destinés à sa famille qui n’a pu en obtenir aucun. »

Son inhumation, le lendemain de sa mort, a été relatée par Marie PETITDIDIER, qui l’a cependant rebaptisé, « Châteauneuf » étant devenu « Villeneuve » :

« A 8 heures, je vais à l’enterrement de plusieurs soldats dont le lieutenant de Villeneuve, du 26e dragons. Malgré toutes les menaces qui étaient là, si proches, puisque les obus dépassaient déjà le Col des Journaux et pleuvaient tout autour, il y eut encore beaucoup de monde, comme d’habitude, pour les soldats. » 

La première page du testament du sous-lieutenant DE CHÂTEAUNEUF-RANDON

(Testaments de guerre de poilus parisiens : http://elec.enc.sorbonne.fr/testaments-de-poilus/testaments/testament-014.html )

3 septembre 1914  

Hormis le nouvel effort qui doit être porté sur la Tête de Béhouille, et afin qu’il puisse ne pas être entravé, voire empêché par les tirs allemands, il est impératif de mettre hors d’état de nuire l’artillerie allemande repérée le 2 septembre en fin de journée. Le JMO du 133e RI présente cette mission :

« Le bataillon DE CORN (moins une compagnie), laissé au col des Journaux à la disposition de la brigade, doit longer les lisières des bois qui sont sur les pentes Est de la vallée de la Croix-aux-Mines, déblayer le terrain des fractions ennemies qui l’occupent et en particulier de l’artillerie qui, la veille, prenait en flanc les troupes d’attaque. Ce bataillon part à 5 heures du col des Journaux. A 7 heures, il rencontre des fractions ennemies (une compagnie environ) qu’il rejette vers le Nord. Il poursuit ensuite sa marche en combattant les fractions adverses qu’il rencontre et qui sans leur opposer de résistance très sérieuse lui chicanent le terrain. »

De cavalerie, il n’est question nulle part. Le JMO de la 82e brigade, cependant, note sa participation à cette opération :

« 7 heures. 3 compagnies du bataillon du 133e au col des Journaux, parties de ce col à 4 heures, arrivent vers Haut-Pré, au Sud-est de la Croix-aux-Mines. Agissant en liaison avec la cavalerie divisionnaire, elles ont pour mission de couvrir la droite des attaques, en suivant les pentes Est du vallon de la Croix-aux-Mines. En particulier, elles doivent déloger l’artillerie adverse et son soutien, signalés la veille, sur la hauteur 701, au Nord-est de la Croix-aux-Mines.

Vers 14 heures.

Sur le flanc Est du vallon de la Croix-aux-Mines, les 3 compagnies du 133e, en liaison avec la cavalerie divisionnaire, parviennent à déloger l’infanterie ennemie de la hauteur 701 au Sud de Raumont. »

En fin d’après-midi, la situation se dégrade, comme en atteste très allusivement le contenu du JMO du 133e RI :

« Pendant toute la journée, le bataillon FALCONNET reste en présence de l’ennemi pendant que le bataillon DE CORN, poursuivant sa marche, arrive sur les hauteurs à l’Est de la Croix-aux-Mines après avoir refoulé les troupes ennemies qu’il a rencontrées. A 18 heures, il est contre-attaqué par un bataillon ennemi environ, mais il repousse l’attaque. Le bataillon rentre au col des Journaux pour y passer la nuit ; il y arrive à 21 heures 30. »

Le JMO de la 82e brigade est déjà moins elliptique, et loue l’action conjointe des fantassins et cavaliers :     

« Vers 16 heures.

Elles [les 3 compagnies du 133e, en liaison avec la cavalerie divisionnaire] tiennent la lisière Nord-ouest du bois 890, près des Chaumelles, sous le feu d’une artillerie adverse tirant des environs de Laveline.

L’action de ces 3 compagnies et de la cavalerie a eu pour effet de ralentir l’offensive ennemie dans la région de Béhouille, en attirant vers elle des forces importantes d’infanterie. En effet, une colonne d’infanterie allemande, d’une durée d’écoulement d’un quart d’heure, sort de Raumont et, marchant vers le Sud-est, cherche à déborder la droite des compagnies du 133e. Ces compagnies se maintiennent jusqu’à la nuit sur leurs emplacements, puis sont rappelées au col des Journaux, où elles se reforment. »

Quant au JMO du 6e escadron du 11e RCC, s’il met également en exergue l’efficacité de l’action de ce détachement mixte dans ses activités offensives, il ne manque pas de souligner son rôle prépondérant lors du repli du 133e RI :    

« L’escadron convoqué à 5 heures 30 au col des Journaux a été adjoint au bataillon DE CORN du 133e régiment d’infanterie avec mission de balayer les crêtes qui dominent à l’Est la route du col des Journaux à Laveline. Le bataillon et l’escadron, après une marche par le Chipal, la Maison Forestière et les Chaumelles, ont pu progresser jusqu’à la Cote 701 à 1.000 mètres à l’Est de la Croix-aux-Mines où ils se sont heurtés vers 11 heures à des forces ennemies contre lesquelles ils ont tenu jusqu’à 5 heures du soir, heure à laquelle le bataillon ayant dû se replier, l’escadron a été chargé d’escorter les mitrailleuses de ce bataillon pour les aider à rejoindre les lignes françaises, ce qui s’est passé sans incident. L’escadron stationne le soir à Fraize. »

Au cours de cette journée, le 11e RCC perd le brigadier Henri Léon Joseph ROUSSELET et le 2e classe Laurent Joseph GENTILHOMME. ROUSSELET, cultivateur de 23 ans, blessé à la tête par coup de feu, tombe aux mains de l’ennemi ; rapatrié en juillet 1917, il mourra à l’hôpital complémentaire n°50 de Limoges le 2 février 1919. GENTILHOMME, cultivateur de 26 ans, est blessé à la cuisse gauche par balle et évacué à Caluire, qu’il quittera en janvier 1915.

4 septembre 1914

La cavalerie n’est pas engagée en direction de La Croix-aux-Mines, mais vers le Pré de Raves, à l’aube, avec une mission de reconnaissance. Elle essuie quelques coups de feu, qui ne lui causent aucune perte. La majeure partie de la journée est ensuite passée au repos, à Fraize.

5 septembre 1914

Le rédacteur du JMO du 133e RI relate les premiers faits de la journée à 5 heures. Au sein du 6e escadron du 11e RCC, l’action, qui se révélera meurtrière, a débuté bien plus tôt :

« Une reconnaissance (lieutenant DECOEUR) a été envoyée à 3 heures 15 sur les Chaumelles et les Grandes Gouttes avec ordre de pousser sur le Pré de Raves. Les renseignements envoyés sont parvenus circonstanciés et en temps utile mais l’officier reste seul pied à terre, son cheval échappé, a envoyé le dernier homme qui l’accompagnait porter le renseignement. Depuis, l’officier n’a plus reparu et l’escadron est à cette heure sans nouvelle sur son sort ainsi que du cavalier VINCENT qui faisait partie de cette reconnaissance.

L’escadron est resté toute la journée à Fraize à l’exception du 4e peloton (lieutenant MEGNIN) qui, à 11 heures, a reçu l’ordre de pousser dans la direction du col du Bonhomme et de faire patrouiller sur toutes les routes aboutissant du Nord sur la route Plainfaing – col du Bonhomme. Ce peloton est rentré à 7 heures sans incident.

Pendant son séjour à Fraize, dans cette journée, l’escadron n’a pas eu à souffrir du bombardement du village exécuté par l’ennemi vers 11 heures 30. »

Ledit bombardement, et son effet heureusement inoffensif sur les cavaliers, a été décrit par Marie PETITDIDIER dans ses mémoires :

« Alors le bombardement commença. Juste à cette heure se trouvait de passage une compagnie du 11e Chasseurs à cheval de Vesoul. Dès les premiers coups qui tombaient serrés, les chasseurs rentrèrent dans les maisons. C’est ainsi que notre rue se trouva remplie d’une longue file de chevaux, et ces pauvres bêtes faisaient pitié. De temps en temps, j’entrouvrais la porte pour voir où c’en était dehors, et je les voyais : à chaque éclatement d’obus, ils tressaillaient en hennissant de peur et s’entrechoquaient les uns les autres. Que ne peut-on les rentrer aussi ! pensais-je en refermant la porte. Mais il n’y fallait pas songer. Car le bombardement est maintenant intense, et il nous faut aller à la cave. »

Au soir, deux noms viennent donc s’ajouter, dans les rangs des pertes, à ceux qui ont nourri cette liste depuis le 31 août. Le lieutenant Joseph Victor DECOEUR, âgé de 32 ans, ancien enfant de troupe, engagé volontaire chez les cuirassiers en 1900, est mort. Il sera cité à l’ordre de l’Armée en ces termes :

« Pour avoir accompli une série de reconnaissances hardies en pays difficile et en dernier lieu le 5 septembre, en pleine nuit et sous-bois, ayant mis pied à terre pour approcher l’ennemi de plus près et ayant eu sa patrouille dispersée par une fusillade, n’hésita pas, son cheval s’étant échappé, à faire porter son renseignement par le seul cavalier encore monté qu’il put retrouver ; demeuré seul, a été retrouvé tué quelques jours après. »

Etienne VINCENT, cultivateur de 25 ans, manquait également à l’appel. Il ne reparaîtra pas et sa mort sera datée, en mai 1920, de ce 5 septembre 1914. Faits surprenants : la sœur d’Etienne VINCENT se nommait DECOEUR, et dans les registres du CICR, VINCENT a été confondu avec un homonyme, hospitalisé à Strasbourg, et membre du 133e RI.

Ces deux hommes ont été les derniers tués du 11e RCC dans les combats des environs du col des Journaux.

6 septembre 1914.

Deux pelotons du 26e RD se trouvent à Anould. Un escadron du 11e RCC et un demi-escadron du 26e RD opèrent à l’Est de Plainfaing : ils ont pour double mission de surveiller les communications entre le col des Journaux et le col du Bonhomme, et maintenir la liaison avec le 30e BCA. Aucune perte n’est enregistrée par ces cavaliers durant la journée.

7 septembre 1914.

Le stationnement et la mission de ce jour sont identiques à l’activité de la veille.

8 septembre 1914.

La mission du 6e escadron du 11e RCC et du 26e RD reste inchangée. Le 4e peloton, aux ordres du lieutenant Pierre Ernest MEGNIN, est la cible de coups de feu qui ne lui causent nulle perte.

9 septembre 1914.

En opérant à nouveau en direction du col du Bonhomme, les 3e et 4e pelotons sont soumis à des tirs d’artillerie, sans dommage néanmoins.   

10 septembre 1914.

Le 6e escadron du 11e RCC et un peloton du 26e RD effectuent le même service que le 9, et la journée se déroule sans fait notable ni perte. La bataille du col des Journaux est terminée.

En guise de conclusion

Comme nous l’avons signalé en préambule, et en avons vu plusieurs exemples au fil de la chronologie déroulée ci-dessus, la cavalerie, malgré son rôle durant ces journées, est la grande absente du JMO du 133e RI, avec lequel elle a pourtant combattu. L’historique du régiment lui a consacré trois phrases, à la date du 2 septembre :

« A droite, dans le ravin de la Croix-aux-Mines, un escadron, qui devait couvrir notre flanc droit et appuyer notre attaque, s’était mis en branle. Mais il fut de suite anéanti par l’infanterie ennemie qui fusillait les cavaliers à bout portant. Peu après, en arrière de la crête, à la place de l’escadron dont on voyait les chevaux affolés fuir de tous côtés, une batterie de 77 vint prendre position et commença un feu d’enfer sur le bois où le bataillon était massé. »

C’est bien peu, et la suite de ces phrases laisse songeur :

« La situation devint critique. Les 77 arrivaient sans répit par salves de six, ouvrant de larges brèches dans les rangs de nos hommes. Ceux-ci devaient pourtant tenir là jusqu’à la nuit. »

Force est de reconnaître que le rédacteur n’a pas été des plus charitables avec des cavaliers obligés de combattre à pied sur un terrain on ne peut plus défavorable, et dans des conditions de dénuement ne l’étant pas moins. Au final, il était pour le moins inélégant de résumer aussi laconiquement le triste sort des quatre tués, 11 blessés et un prisonnier de cette sanglante journée. Comme nous l’avons vu, les citations et la description des blessures de ces hommes parlent pour eux, et leur sont par là même un hommage amplement mérité.

Une autre conclusion à tirer de cette brève étude tient au contenu des JMO : ils ne sont donc pas, pour quiconque pouvait encore en douter, l’alpha et l’oméga de la narration de l’histoire militaire. Le fait est, ils sont irremplaçables pour se faire une idée de ce qui s’est produit en tel lieu, à telle date, dans telles circonstances. Néanmoins, la période à laquelle ils ont été tenus joue pour beaucoup dans le crédit qui peut être porté à leur contenu. En l’occurrence, la période d’août et septembre 1914 est encore entachée de nombreuses zones d’ombre, sur lesquelles un éclairage complet ne peut, encore trop souvent, être porté. Les « oublis » du JMO du 133e RI, pour quelque obscure raison, passent donc sous silence l’intervention et le rôle de la cavalerie. Le JMO de la 41e DI, à un échelon trop élevé, n’est pas assez éclairant à ce sujet. A mi-chemin de ces deux échelons, le JMO de la 82e brigade permet heureusement d’en savoir plus, grâce parfois à force détails. En revanche, s’il est extrêmement enrichissant de pouvoir s’instruire à la lecture du JMO du 6e escadron du 11e RCC, celui de l’escadron du 26e RD engagé à ses côtés est, hélas, manquant. En fin de compte, il est on ne peut plus regrettable de ne pouvoir disposer de témoignages de cavaliers sur ces combats : celui du capitaine-commandant, adjoint au chef de corps, Pierre Louis Georges BRÉANT, du 18e RD, « De l’Alsace à la Somme », couvre dans ce secteur, les journées qui ont précédé l’arrivée et l’engagement des 11e RCC et 26e RD.             

Que sont finalement devenus ces hommes ? Une grande majorité d’entre eux est demeurée sur la terre de son sacrifice, à savoir dans les Vosges :

  • Honoré DE CHÂTEAUNEUF-RANDON : originellement inhumé au cimetière communal de Fraize, en a été exhumé.
  • Joseph Victor DECOEUR : originellement inhumé au cimetière communal de La Croix-aux-Mines, est à présent à Corbas (69).
  • René GOLL : originellement inhumé à Haute-Mandray, est à présent à la Nécropole Nationale de Saulcy-sur-Meurthe.
  • Achille Joseph LALLEMAND : originellement inhumé au cimetière communal de La Croix-aux-Mines, y est toujours.
  • Claude Charles LAPLANCHE : originellement inhumé au cimetière communal de La Croix-aux-Mines, est à présent à Blace (69).
  • Claude VAVRAND : originellement inhumé dans le carré militaire de Gérardmer, y est toujours.
  • Etienne VINCENT : est à présent à la Nécropole Nationale de Saulcy-sur-Meurthe.
  • Pierre Jacques WATTRÉ : originellement inhumé au cimetière communal de La Croix-aux-Mines, y est toujours.

Nous espérons que cette brève évocation aura eu vocation à les tirer de l’ombre.

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