Un coup de fil de Jean-Luc Gerber, petit-fils du sergent du génie Marcel Gerber (1895 – 1967), m’a permis à nouveau de suivre la trace des combattants de La Fontenelle et d’ailleurs, qui ont côtoyé le bataillon Barberot et son commandant. C’est sur le capitaine Cassoly, chef de la deuxième compagnie du 7e bataillon du génie, que Jean-Luc m’interroge. Un officier sur lequel on trouve peu d’informations pour l’instant, et pour lequel on a lancé depuis des recherches. Mais mon intérêt se porte aussi sur le grand-père, sapeur du génie originaire de Belfort, qui rejoint après son incorporation en décembre 1914 (même classe que Claude-Marie Boucaud ou Louis de Corcelles), le secteur de La Fontenelle en mars 1915, en plein début de la guerre des mines. C’est à ce jeune sapeur qui recevra la médaille militaire et plusieurs citations pour son courage, que cet article rend hommage.
Une famille alsacienne
Marcel Emile Gerber naît le 13 octobre 1895 à Belfort, territoire resté français après la défaite de 1870 grâce à l’héroïque résistance de sa citadelle. Il est le fils de Joseph Gerber (1870 – ?), monteur électricien et de Caroline née Doerflinger, mariés le 12 janvier 1895. Marcel est l’aîné, une sœur Suzanne (1899 – 1971) suivra. La famille est protestante (luthérienne). Son grand-père, alsacien, a servi dans l’armée impériale et est titulaire de la médaille militaire. En 1872, il a opté pour la France après la session de l’Alsace-Moselle à l’Empire Allemand. Il devient contre-maître chez Dolfuss.
En 1909, Marcel rentre à 14 ans comme employé chez Alsthom (qui s’écrit encore avec un « h ») où il fera toute sa carrière jusqu’à sa retraite le 31 décembre 1960.
La Grande Guerre
1914 – Mobilisation
Marcel est incorporé le 17 décembre 1914 au sein de la 2e compagnie du 7e bataillon du génie de Belfort (7/2). Il appartient à la même classe que Louis Chevrier de Corcelles (qui devance l’appel et part dès août 1914), et Claude-Marie Boucaud. Le bataillon qui dépendait initialement du 4e régiment du Génie de Besançon en est détaché pour faire corps depuis 1914. Comme beaucoup de compagnies du génie réparties au sein de diverses divisions, l’armée affecte celle de Marcel à la 41e division qui opère sur le front des Vosges, et à laquelle appartiennent notamment le 133e RI et le 23e RI (82e brigade). C’est à ces derniers que la compagnie vient en appui.
1915 – Montée au front à La Fontenelle et la guerre des mines
Marcel arrive le 1er mars sur le secteur du Ban-de-Sapt. Il passe sapeur de 1ère classe le même jour, au moment même où débute la guerre des mines, signe qu’il est déjà remarqué pendant ses classes. Commandée par le capitaine du génie Cassoly (1878 – 1947) sa compagnie est subordonnée au commandant Barberot pendant le mois de mars. Elle va poursuivre une mission harassante pendant cette longue période que trois articles de blog racontent en détail (Mauvaises mines sur la cote 627 : le retour de la guerre de siège, l’affrontement, la finale). Les sapeurs creusent sans relâche sapes, mines et contre-mines. C’est un travail difficile et très dangereux, les sapeurs risquant l’ensevelissement lors du creusement, et la mort par asphyxie.
La première explosion a lieu le 6 avril 1915. 29 autres, françaises et allemandes, vont se succéder jusqu’à l’explosion finale du 22 juin 1915. Ce jour là, les Allemands font sauter les ouvrages avancés de la cote 627 et pénètrent profondément dans le dispositif français. Désorganisés, ces derniers ne parviennent à arrêter les Allemands qu’en luttant désespérément avec les troupes restantes. La compagnie du génie participe elle aussi aux combats. L’arrêt réussit à la 4e ligne de défense. Mais les Français n’acceptent pas le nouveau statut quo et lancent une large contre-attaque le 8 puis le 24 juillet qui reprend les positions perdues et bien au delà. La compagnie du sapeur Marcel Gerber participe là aussi aux opérations et reçoit les félicitations avec les autres unités du général commandant la 41e division d’infanterie le 27 juillet 1915.
La compagnie du génie reste avec les deux régiments dans le secteur jusqu’à la fin de l’année 1915. Elle intervient quelques jours sur le secteur du Linge en août, sans pourvoir déterminer si Marcel Gerber fait partie de la section qui y est détachée.
1916 – la Chapelotte et la bataille de la Somme
Le 14 mars 1916, Marcel Gerber est nommé caporal.
Sa compagnie accompagne probablement le 133e et le 23e RI dans leurs opérations, à la Chapelotte puis sur la Somme. C’est à l’occasion des combats dans ce secteur qu’il est cité à l’ordre du génie de la division le 26 août 1916 :
Caporal très brave et courageux, s’est particulièrement distingué du 25 juillet au 8 août en dirigeant les travaux d’organisation sous un violent bombardement, donnant à tous un bel exemple d’entrain et de dévouement.
Il est à nouveau cité à l’ordre de la 41e division le 1er octobre 1916 en secourant pendant la bataille de la Somme l’un des trois chefs des bataillons de chasseurs avec lequel le 133e RI est engagé :
Caporal qui s’est toujours fait remarquer par son courage et son dévouement, qui en maintes circonstances dangereuses a entrainé ses camarades par son exemple, s’est particulièrement distingué le 7 septembre en organisant personnellement sous un violent bombardement le travail pour dégager l’entrée d’un abri éboulé à l’intérieur duquel se trouvait le commandant d’un bataillon de chasseurs.
Qui est cet officier ? Difficile de le déterminer mais trois noms sont possibles : le commandant Jules Beauser du 6e chasseurs, le commandant Maurice de Galbert du 27e chasseurs ou le commandant Jules Coquet du 28e chasseurs.
Suite à cet engagement, il est nommé sergent le 17 septembre 1916.
1916 – L’Argonne
La compagnie 7/2 est engagée avec la 41e division à partir de fin septembre dans le secteur de l’Argonne, après une mise au repos à Neuville-aux-Bois. Son chef, le capitaine Cassoly, procède à plusieurs reconnaissances pendant cette fin de mois dans le secteur qu’elle doit appuyer. Le 30 septembre, la compagnie monte effectivement au front, dans le secteur Four de Paris, ravin de la Harazée.
Le secteur connaît aussi la guerre des mines. La 1ère ligne a été atteinte en plusieurs points par les explosions allemandes ce qui a amené à l’évacuation par l’infanterie. En outre un ancien dispositif de mine partant de cette tranchée est également abandonné. Il sert simplement pour les écoutes. Le nouveau dispositif de mines comprend 6 mines en grande galerie. Toutes ces galeries ont atteint et même dépassé la 1ère ligne ; la profondeur atteinte varie entre 15 et 20 mètres. Dans chaque galerie est placé un ventilateur actionné par le courant électrique. Chaque galerie est également éclairée à l’électricité.
Les mineurs sont répartis en 3 groupes et chaque groupe comprend 3 équipes de 5 hommes travaillant suivant la règle des 3 fois 8 à compter de 10 heures du matin. L’équipe est commandée par un sergent et un caporal ou maître-ouvrier se relevant toutes les 8 heures. En outre une équipe de 5 écouteurs se relevant successivement fonctionne jour et nuit. Marcel Gerber commande probablement une équipe.
Les explosions se succèdent, et exposent fortement les sapeurs. Le 8 octobre 1916, l’explosion d’un fourneau de mine ensevelit un caporal et 4 mineurs. Une équipe se constitue aussitôt pour une opération de sauvetage. On retrouve le sergent Lardeyret vivant et on l’évacue, mais le sapeur Gagnant a été tué sur le coup et ne peut être retiré. Enfin, un autre sapeur est intoxiqué par les gaz.
Le 12 octobre 1916, les sapeurs répondent aux Allemands et placent un camouflet d’une charge de 2 410 kg à 20 m de profondeur environ. La mise à feu a lieu à 14h en détruisant la galerie allemande. Le sapeur Gillet resté trop près de l’entrée de la galerie est atteint par le déplacement d’air et est légèrement intoxiqué. Pour éviter les intoxications aux gaz, on introduit progressivement des appareils Draeger afin d’évacuer les émanations de monoxyde de carbone qui se répandent dans les galeries. Pour faciliter le travail, les sapeurs testent des perforatrices Guillot, en soutien au travail de percement qui se fait à la pioche et au pic.
Le 19 novembre, une nouvelle explosion allemande qui ne forme pas d’entonnoir tue ou blesse de nombreux sapeurs dans leur tunnel. Aussitôt une équipe de sauvetage est constituée. L’explosion amène à modifier tout le schéma de construction souterraine. La compagnie travaille aussi à un nouvelle explosion qui a lieu le 14 décembre avec succès. Le sergent Gerber fait partie des gradés qui se sont particulièrement impliqués dans l’opération en supervisant le chargement et le bourrage, et en effectuant la mise à feu.
1917 – La Champagne
Le 1er février 1917, la compagnie rejoint la 192e brigade qui est position dans le saillant de Villers-Franqueux, à l’Ouest de Reims. Il commence par construire les abris pour les réserves dans les cavernes de craie. En avril, le travail se termine et la brigade russe prend la relève. La compagnie enchaîne avec l’aménagement de pistes puis de pontons et de passerelles sur le canal de l’Aisne pendant l’offensive désastreuse de Nivelle. Le 4 mai, une section participe en tête à une attaque pendant laquelle la moitié de ses effectifs est mis hors de combat.
De juin à septembre, la compagnie – après un repos mi-mai – rejoint le secteur de la région de Tabure en Champagne pouilleuse, où elle aménage les positions, notamment dans le massif des chouettes : galeries et emplacements de mitrailleuses souterraines, observatoires d’artillerie, logements pour les combattants. Début septembre, elle aménage un pc de division.
1918 – L’année décisive en Lorraine et Flandre
La compagnie rejoint la lorraine fin décembre 1917 où elle reste jusqu’au 2 mai 1918. Après avoir été hospitalisé pendant une période de permission entre le 18 et 31 janvier à l’hôpital de Belfort, le sergent Gerber – de retour dans son unité – fait partie du groupe constitué pour participer à un coup de main sur le village de Réchicourt le 11 février. A la tête du détachement, le lieutenant Larose, secondé par le sous-lieutenant Dupuy et quatre sergents : Gerber, Vanaut, Braise et Sorgue. Le groupe repasse le 19 février pour recevoir les explosifs nécessaires à l’opération. Le 20 février à 19h30, le 128 RI exécute le coup de main sur Réchicourt, les sapeurs partent en 1ère vague munis de leurs explosifs et détruisent un grand nombre d’abris allemands. Tous les objectifs sont atteints au prix de 2 tués, 3 blessés et un disparu. Pour cette opération, Marcel Gerber est à nouveau cité à l’ordre de la division le 25 mars 1918 :
S’est particulièrement distingué le 20 février 1918 en entrainant sa 1/2 section à l’assaut des positions ennemies et en procédant à la destruction de nombreux abris allemands.
La compagnie reçoit à cette occasion une deuxième citation à l’ordre de l’armée le 9 mai 1918 par le général Pétain , qui lui permet de porter la fourragère aux couleurs du ruban de la Croix de Guerre. Aussitôt revenu, Marcel participe dès le 26 février aux chantiers entamés par le reste de l’unité, en s’occupant d’un observatoire d’armée.
La compagnie rejoint les Flandres début mai. C’est pendant cette période d’offensive allemande et sous de violents bombardements qu’elle continue d’aménager les positions françaises.
Au repos le 13 juin 1918, le capitaine remet à Marcel Gerber sa Croix de Guerre avec étoile d’argent (citation à l’ordre de la division).
A partir du mois de Juillet 1918, la compagnie dont le capitaine Cassoly laisse le commandement va participer à l’offensive qui la fera pénétrer en Belgique, jusqu’à l’armistice. Le sergent Gerber est affecté au 1er peloton, rattaché au 1er bataillon du 42e RI. Les sapeurs vont remettre en état les routes au fur et à mesure de la progression puis permettent le passage de l’Ourcq. Le 3 août, ils atteignent les abords de la Visle. Mis au repos, l’unité s’instruit au pontage, essentiel à la guerre de mouvement qui a repris, puis repart dans l’offensive généralisée de l’armée française.
Pour son engagement pendant le mois de juillet, le sergent Gerber reçoit une dernière citation à l’ordre du génie de la division le 22 septembre 1918 :
Sous officier d’un courage et d’un dévouement remarquables. S’est particulièrement distingué dans les Flandres au combat de la Visle et plus récemment en exécutant des reconnaissances difficiles et en commandant des chantiers dans des régions violemment bombardés.
Jusqu’à l’armistice, la compagnie de Marcel Gerber va poursuivre ses nouvelles missions : réparation des routes, pontage sur les cours d’eau, et parfois assauts comme le 14 octobre 1918.
Le 11 novembre 1918, Marcel Gerber termine sa guerre à 23 ans, avec presque 4 ans de service et sans avoir été blessé, ce qui est une gageure.
1919- Démobilisation
Marcel est démobilisé le 13 septembre 1919, soit presqu’un an après l’armistice. Il passe ensuite au centre de mobilisation n°10. Titulaire de la croix de guerre avec étoile de bronze et d’argent, il reçoit la médaille militaire le 6 avril 1929.
Après la guerre
Marcel se marie le 11 juin 1921 avec Josephine Dentz (1896-1983). Le couple a un fils Luc, père de Jean-Luc. A côté de sa carrière chez Alsthom, il s’investit dans plusieurs activités associatives, dont le rugby. Il sera nommé officier de l’Education Physique le 31 août 1936, officier d’Académie le 13 février 1939 et médaille d’or de la Fédération Française de Rugby du comité de Franche-Comté. Enfin, il s’investit aussi au conseil presbytéral. Il part à la retraite en 1960 et décède à Belfort le 2 avril 1967.
Je suis très touché par votre beau travail et je vous exprime ma profonde gratitude.
Je suis épaté par la rapidité avec laquelle vous l’avez rédigé et par la qualité des informations.
J’apprends beaucoup de choses grâce à ce document.
Très cordialement.
Merci monsieur Gerber, je suis très heureux d’avoir pu publier avec votre aide cette très belle trajectoire, et de plonger un peu plus dans le parcours des sapeurs du génie pendant la Grande Guerre. Votre grand-père, avec ces quatre belles citations, quatre ans de guerre et la médaille militaire mérite le plus grand respect.