Lieutenant-colonel Dayet

Le courage du soldat Seurre (1/2) : Le désastre du 27 janvier 1915

En janvier 1915, le général Bulot, commandant la 82e brigade, décide de maintenir l’attaque des positions allemandes à La Fontenelle, malgré les interventions du lieutenant-colonel Dayet qui prévoit un échec meurtrier pour cette opération. Ce dernier qui commande le 133e RI s’est vu confier l’attaque le 27 janvier avec des bataillons du 23e RI dont il était l’ancien second. Après une préparation d’artillerie notoirement insuffisante, les fantassins français de la première vague passent à l’attaque à 15h mais tombent sur des positions quasi intactes faites de tranchées blindées. Les soldats essaient de soulever les blindages sans succès. Les mitrailleuses allemandes fauchent la première vague puis la deuxième qui n’est qu’à 6 mètres des positions. L’opération tourne rapidement au fiasco. Dayet sort alors de la tranchée et marche avec sa canne vers les positions ennemis. Après quelques mètres, il tombe mortellement dans le « no mans land ». Comme l’écrit Yann Prouillet, Dayet a préféré un « suicide de l’honneur » face à un ordre qui lui avait été imposé par Bulot et qui allait laisser entre les lignes un grand nombre de tués et blessés français. au milieu de la neige.

Dayet était très aimé de ses hommes. Ces derniers vont se mobiliser avec des officiers du 23e RI pour récupérer son corps. Dans cette opération, un jeune soldat va s’illustrer : Paul Marius Seurre.

(photo entête : le lieutenant-colonel Dayet au milieu d’officiers du 23e RI à Saint-Jean d’Ormont – source Joseph Saint-Pierre, avec l’autorisation de Dominique Saint-Pierre)

Paul Marius Seurre

Paul Marius Seurre nait le 12 février 1893 à Lyon. Il est le fils de François Seurre (1855 – ?) et de Marie-Jeanne Duchesne (1866 – ?), mariés en 1881. Son père et sa mère travaillent tous les deux dans l’industrie textile lyonnaise comme guimpier (fabricant de chemises pour femme). Paul a trois autres frères qui s’illustrent aussi pendant les conflits mondiaux :

  • Jean-Baptiste (1883 – 1914), tué à la bataille de la Marne le 8 septembre 1914
  • Louis, Pierre (1886 – 1944), mobilisé pendant la Grande Guerre au 152e RI, blessé puis passé au 150 RI, militant socialiste après la guerre, engagé dans les FFI en 1943. Il devient l’un des chef du maquis Didier dans l’Ain qui compte près de 800 hommes. Il est fusillé par les SS le 27 août 1944 à Mionnay (voir son parcours ici).
  • Jules-Jean (1897 – > 1967), engagé volontaire en août 1914, d’abord dans la cavalarie (2e chasseurs puis 9e hussard), passé ensuite dans l’infanterie au 140e RI, blessé en 1916 et réformé.

Il perd son père avant la guerre et au moment de l’incorporation, il travaille aussi dans l’industrie textile lyonnaise comme guimpier. Blond, mesurant 1 mètre 79 ce qui est bien au dessus de la moyenne, sachant lire et écrire comme l’indique sa fiche matricule, il est incorporé le 27 novembre 1913 au 133e régiment d’infanterie à Belley. Il entre en guerre au sein de la 8e compagnie (2e bataillon) comme brancardier et participe aux campagnes d’Alsace, à la guerre des cols en septembre 1914 puis à la prise de la Cote 627 et des autres positions du Ban-de-Sapt pendant le même mois. Son bataillon est engagé au sud de La Fontenelle au moment du désastre du 27 janvier 1915.

Le drame du 27 janvier 1915

Le plan initial

Sur la cote 627, Français et Allemands se font face depuis la prise du sommet par le bataillon Barberot en septembre 1914. Ce dernier a puissamment fortifié les secteurs pendant tous les mois qui ont suivi. Aucune attaque sérieuse n’a eu lieu depuis Septembre mais la situation reste fragile, ce qui amène le général de la 41e division à préparer une opération. Plusieurs objectifs sont à l’origine de l’attaque du 27 janvier 1915. Il s’agit d’abord de prendre le contrôle complet de la cote 627. Il s’agit aussi de maintenir un esprit offensif au sein de l’armée, une forme d’obsession qui va jusqu’à Joffre (et qui donneront les offensives meurtrières de Champagne). Enfin, l’armée française anticipe une attaque allemande et souhaite la devancer. La date choisie n’est pas au hasard. C’est celle de l’anniversaire de l’empereur Guillaume II, ce qui doit conférer un aspect symbolique à l’.attaque. 

L’opération consiste en deux mouvements : 

  • Une attaque sur la gauche au petit bois au nord-est de Launois. L’opération  est confiée à un bataillon du 23e RI sous le commandement direct du lieutenant-colonel Dayet. Une section le compagnie 7/2 du génie participe aussi à l’attaque. C’est l’unité du sapeur Gerber, dont le parcours a été publié récemment sur ce blog, mais qui lui même ne l’a pas encore rejoint.
  • Une attaque à droite sur les ouvrages allemands au sud de Launois, visant à occuper le bois Drogan. C’est le 2e bataillon du 133e RI sous le commandant du commandant Baudrand qui reçoit cette mission. 

Les unités prévues pour l’assaut doivent recevoir l’appui de plusieurs batteries d’artillerie de 75, 65, 155 court et de la 18e section d’autos-canons, ainsi que du feu de la troupe du secteur restant dans les tranchées. 

Le secteur de la cote 627 au 27 janvier 1915. Le trait rouge montre les lignes françaises. – Source SHD cote 26 N 45

Pourtant, le lieutenant-colonel Dayet, commandant le 133e RI mais aussi à ce moment là le secteur, conteste l’utilité de l’offensive après une analyse de la situation avec ses chefs de bataillon. Pour lui, elle ne peut mener qu’à une perte inutile d’hommes avec un risque d’échec important. Il va se heurter son chef direct, le général de brigade Bulot.

La responsabilité de Bulot

Joseph Saint-Pierre, dans son carnet (Dominique Saint-Pierre, La Grande Guerre entre les lignes, Bourg-en-Bresse, Musnier & Gilbert Éditions, 2006) raconte les détails de la discussion sur l’attaque qui est prévue. Les trois généraux de brigade n’osent contredire le général de la 41e division, Claret de la Touche. Et c’est le lieutenant-colonel Dayet qui, bien conscient du dispositif ennemi, essaie par tout moyen de convaincre de l’échec meurtrier qui s’annonce. C’est par un procédé psychologique de basse facture, en insinuant son manque de courage, que Bulot impose son ordre, et ce manifestement devant témoin. Or Dayet est connu  justement pour  son courage au sein de tout son régiment. Personne n’a oublié comment il monta lui même à l’assaut au col des Journaux en septembre 1914, juste après sa prise de commandement. 

Denipaire où nous arrivons à la nuit. Nous devons attaquer à La Fontenelle demain. Je tiens du Ct R. les détails suivants : le général de division a réuni ses trois généraux de brigade, et leur a dit : « On me demande s’il y aurait un coup de main à exécuter dans la région. L’un de vous a-t-il quelque chose à me proposer ? Le général de Rémur répond non, le général … également. Le général Bulot commandant notre 82e brigade répond : « J’ai votre affaire ». Le colonel Dayet a essayé de s’opposer à cela, disant la chose impossible. On lui a répondu en mettant son courage en doute, paraît-il. Très piqué, il a décidé de conduire lui-même l’attaque du 23e.

Le rôle de Barberot

Le soldat Louis de Corcelles indique dans ses courriers une information intéressante : le commandant Barberot aurait refusé de mener l’attaque.

On dit par ici que B., le commandant du 1er bataillon, le mien, devait attaquer ce jour-là, mais qu’il aurait énergiquement refusé, ne se chargeant pas de forcer les lignes ennemies et déclarant que c’était sacrifier son bataillon inutilement. Il aurait ajouté que, si on lui donnait l’ordre formel de marcher, il marcherait seul. Les événements lui ont donné raison.

Dans un courrier du 31 mars 1915, Charles Barberot laisse penser que c’est lui qui a alimenté l’analyse amenant le lieutenant-colonel Dayet à refuser énergétiquement l’attaque :

A ce moment et contrairement d’ailleurs aux conclusions de rapports antérieurs que j’avais fournis on a voulu se lancer dans une opération de détail dont j’avais par avance prévu les difficultés, l’inutilité et l’échec.

Tout ce que j’avais prévu est arrivé et malheureusement au-delà.

L’attaque du 27 janvier 1915

Le 27 janvier, après une préparation d’artillerie qui se limite entre 14h et 15h30, et que Frantz Adam qualifie de « notoirement insuffisante », les hommes se lancent à l’assaut. Joseph Saint-Pierre livre un témoignage sans filtre du désastre et de la mort de Dayet :

Départ de bonne heure … En arrivant à La Fontenelle, nous sommes déjà bombardés. Les Boches seraient-ils prévenus de notre attaque ? Nos hommes sont calmes et silencieux … Ce silence est imposant : personne ne dit mot.

Ordre du Dr Epaulard de m’installer à la Vercoste. Notre artillerie n’a oublié qu’une chose : faire la veille des tirs de repérage … Elle tire tout à côté ! beaucoup trop loin … Où sont donc les observateurs d’artillerie pour vérifier les coups ? Dans la tranchée ? Non : au sommet de l’Ormont ! Seul un canon de 65 est dans la tranchée à 80 m. des Boches (lieutenant : Solier) … Mais que peut faire un 65 ? Il faudrait des 150 … Après une heure de préparation d’artillerie, prise d’assaut. On a préparé des escaliers de bois … les hommes bondissent comme des lions sur les tranchées boches qui ne sont qu’à 30m … Les tranchées sont intactes ! Intactes !!!!! Pas un obus n’y a fait le moindre mal. Elles sont couvertes de rails, blindés terriblement. Impossible de sauter dedans. Les hommes essaient de soulever ces rails … Les Boches tirent par intervalles. Puis les mitrailleuses boches se mettent de la partie et fauchent le terrain. Nos hommes tombent comme des mouches. Les 2es lignes boches tirent à leur tour. La 1ère vague est ainsi fauchée. La position est intenable … L’attaque a échoué … L’échec est confirmé … Le commandant Roullet, devant cet insuccès, juge inutile et inhumain d’envoyer une 2e vague à la mort certaine. Il ordonne donc au capitaine Blanchet de rester dans la tranchée. Le colonel Dayet veut avancer seul … Le commandant Roullet et le capitaine Blanchet le retiennent par son manteau … C’est inutile …Il donne au Ct Roullet ses souvenirs de famille et objets personnels … Puis il franchit le parapet et sort. Il marche tout droit, et danseur des soirées de Lons-le-Saunier, la tête toute en rouge … je ne le reconnais pas … il n’avait que des égratignures, mais de tous les côtés, et riait quand même !

Je monte avec le Dr Epaulard sur la cote 627 ; le bombardement boche continue … tous calibres … bruit curieux d’un éclat d’obus, bruit sourd des grenades. Voici donc le bilan d’une la journée, grâce à une mauvaise préparation d’artillerie … Le général Bulot dit : « Mais je n’avais pas dit de faire tuer dans de monde ».

Le bilan humain

Le nombre de tués reste variable en fonction des sources. L’historique du 133e RI indique 220 pertes. Le commandant Barberot indique le nombre de 350. Le journal de marche du 23e RI, 230 pertes dont 130 tués, 70 blessés et 30 disparus. Frantz Adam reprend le chiffre de 230 (dont 150 morts sur place ou juste après). Loys Roux indique 230 pertes dont 130 tués. La base Mémoire des Hommes donnerait un nombre de tués sur les 27 et 28 janvier inférieur à 100 hommes. Enfin, une source allemande (Gefechtsbericht » de la 30e Division de Réserve) indique la capture de 50 prisonniers.

La croix planté en 1915 à l’endroit où le lieutenant-colonel Dayet était tombé (source : Joseph Saint-Pierre, avec l’autorisation de Dominique Saint-Pierre)
Monument Dayet
L’endroit qui marque aujourd’hui près de la nécropole de La Fontennelle le lieu où tomba le lieutenant-colonel Dayet le 27 janvier 1915 (Photo : Philippe van Mastrigt)

Après ce désastre français du 27 janvier 1915, quelques hommes vont se porter volontaires pour une mission périlleuse : récupérer Dayet (prochain article).

2 Commentaires

  1. Cassagnaudit:

    Bonjour M. van Mastrigt.
    Permettez-moi de vous féliciter pour le travail rigoureux et précis que vous menez, je présume en hommage au commandant Charles Barberot, votre grand-oncle. Nous sommes nombreux et nombreuses à apprécier les faits, rien que les faits. Ils sont terribles. Et ont des conséquences jusqu’à aujourd’hui. Spécialiste de droit communautaire, c’est-à-dire de droit européen, aujourd’hui à la retraite, écrivain, sous le pseudonyme d’Anne Parlange, je me tiens à votre disposition si vous souhaitez relier ces faits tragiques et remplis d’une notion de l’honneur qui m’émeut profondément à aujourd’hui.
    Respectueusement,
    Florence Cassagnau

    1. Bonjour madame, un grand merci pour votre message et votre proposition. J’ai pu voir par un recherche que vous aviez vous aussi publié le carnet de votre grand-père, Ivan Cassagnau, engagé en 1914 dans l’artillerie dans les Vosges (https://www.crid1418.org/temoins/2009/02/10/ivan-cassagnau-1890-1966/). Bien respectueusement. Philippe van Mastrigt

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