Sur les traces des premiers morts du 5e BCP

Pour qui tente de connaître les circonstances dans lesquelles des hommes sont morts au combat durant la Première Guerre mondiale, la consultation des journaux de marches et opérations (JMO) peut relever de la pure loterie. Et le moins que l’on puisse dire est qu’en ce début de guerre, les premiers tués – et que dire des premiers blessés… – sont loin d’être à l’honneur dans les pages des JMO. Hélas, les témoignages de frères d’armes ou de témoins des faits, qui seraient susceptibles de compléter ou suppléer les carences des archives militaires, peuvent également faire défaut et tarir ainsi tout espoir d’éclairer les circonstances d’un décès ou d’une blessure. Comme nous allons le voir, les premiers morts du 5e BCP ont tant marqué leurs camarades qu’ils ont eu la chance d’entrer dans l’histoire grâce à eux, par-delà la sécheresse administrative des archives. Mais commençons par faire un saut de 40 ans dans le passé…  

(merci à Eric Mansuy pour ce nouveau plongeon dans les combats des Vosges et les tués du 5e BCP, après celui consacré aux officiers.)

Les journaux de marches et opérations, entre instructions et réalités

La naissance des JMO

Le 5 décembre 1874, le général Ernest de Cissey, ministre de la Guerre, signait une « Instruction pour la rédaction des historiques des corps de troupe », laquelle figure en préambule des JMO tenus, en particulier, durant la Première Guerre mondiale. La partie consacrée aux pertes donnait les directives suivantes :

« On s’attachera à indiquer très exactement les pertes éprouvées par les corps dans chaque affaire, en tués, blessés, prisonniers et disparus. Les officiers, sous-officiers et soldats y seront tous désignés nominativement. On se conformera pour le relevé des pertes après chaque rencontre, quelque peu importante qu’elle soit, au modèle A. Cet état sera intercalé dans le corps du récit, à la suite de l’action qui l’aura motivé. Si, dans la journée, des hommes sont tués ou blessés aux avant-postes ou en reconnaissance, le relevé en sera fait conformément au même modèle. Règle générale : indiquer toutes les pertes au fur et à mesure qu’elles se produisent. Quant aux militaires de tout grade morts des suites de leurs blessures, ou morts de maladie, on en fera mention à la fin de l’historique, en se conformant à l’état modèle B. Enfin, toutes les pertes sont totalisées sur un état modèle C, qui terminera le travail. »

Les listes nominatives à l’épreuve des pertes massives

Dans les faits, il y aura loin de la théorie de 1874 à la pratique de 1914-1918, et particulièrement d’août 1914, pour diverses raisons. Pour s’en faire une idée, il suffit d’observer la manière dont quelques JMO du 7e corps d’armée (constitué des 14e et 41e DI, et opérant à l’aile droite de la Ire Armée), auquel appartenait le 5e BCP, ont fait état de leurs premières pertes de la guerre.

Très concrètement, deux cas de figure s’imposent : soit l’unité concernée a subi ses premières pertes au cours d’une escarmouche ou d’une reconnaissance, soit elle a été engagée dans un mouvement offensif d’ampleur et a subi des pertes conséquentes. Dans le premier cas, il n’est pas rare que les tués et / ou blessés et / ou disparus soient « désignés nominativement », comme le demandait le général de Cissey ; dans le second cas, la tenue du JMO de l’unité dépend grandement des aléas des combats et / ou de son rédacteur – allant d’une absence totale de pertes nominatives à l’établissement d’une liste exhaustive.

Les exemples du 7e corps

A la 14e DI, le 60e RI accuse 50 pertes (tués, blessés, disparus) lors de l’attaque d’Altkirch, le 7 août ; c’est la veille que le régiment a versé le premier sang : « un blessé, le soldat Brignot, à la 11e compagnie », comme nous l’apprend son JMO.

En comparaison, des circonstances qui pourraient être qualifiées de « doublement tragiques » peuvent parfois expliquer certaines carences dans les écritures, puisque si de jeunes hommes perdent la vie, elle leur est ôtée par des balles françaises. C’est ainsi que le JMO du 42e RI, avant même le début du conflit, occulte la mort de Charles Fischer, « tué par la patrouille, n’ayant pu répondre au mot d’ordre » (à en croire ce qui figure sur sa fiche de décès), le 1er août 1914 à 1 heure 15 sur la route de Lepuix-Gy au Ballon d’Alsace.

Le 4 août suivant, ce même régiment, qui semble jouer de malchance, enregistre la mort du soldat Pierre Douhet, « de la 7e compagnie, faisant partie d’une patrouille commandée par le lieutenant Robert, […] par suite d’une méprise, tué par un douanier français à La Chapelle-sous-Rougemont », comme le mentionne le JMO du 42e RI. Tombés dans un relatif oubli, rentrés dans le rang des défunts, Fischer et Douhet figurent – maigre consolation – dans la « liste des militaires du 42e régiment d’infanterie morts au champ d’honneur – campagne d’Alsace – 4 au 24 août 1914 » [sic] de l’historique régimentaire.

Plus étonnante est en revanche l’absence de mention du JMO du 44e RI à Jules André Peugeot, tombé le 2 août 1914 à Joncherey : son nom n’y figure nulle part entre le 2 et le 7 août 1914, date à laquelle le 2e bataillon, auquel il appartenait, rejoint le reste du régiment. C’est justement le JMO de ce bataillon qui relate les circonstances de sa mort.

Quant au 35e RI, le rédacteur de son JMO s’est ravisé : après avoir écrit le 5 août que « le soldat Beaupré (2e compagnie) aux A[vant] P[ostes] a été tué par une patrouille ennemie », cette phrase a été biffée pour être réécrite le 6 août de la façon suivante, « le soldat Beaupré (2e compagnie) est tué ». Si sa fiche de décès porte la mention « blessures en service » ayant entraîné sa mort le 6 août à Vauthiermont, sa fiche matricule donne d’utiles précisions, quoique de manière alambiquée : « Blessé le 5 août 1914 à Vauthiermont par balle dans le dos. A été tué le 6 août 1914 au cours d’une patrouille de couverture ».

Dans les rangs des unités non endivisionnées de la 14e DI (bataillons de chasseurs de réserve, cavalerie, artillerie…), qui ont subi leurs premières pertes en faible nombre, les tués et / ou blessés sont effectivement nommés : Camille Mazué au 45e BCP (mort le 7 août, mais listé dans les pertes du 10), Antoine Bonnetain au 55e BCP (tué le 10 août, cité dans le JMO du service de santé du bataillon), Julien Hippolyte Bassoleil au 11e RCC (capturé blessé le 9 août, grièvement blessé par balle à la face lors d’une reconnaissance) ; Auguste Peyraud au 5e RAC, mort de ses blessures le 10 août, n’est pas nommé et est l’homophone du maréchal des logis Perrot, blessé par balle et cité dans le JMO.

Le cas de la 41e DI

A la lecture des JMO des unités de la 41e DI, les choses se compliquent. Attachons-nous dans un premier temps à ce qui concerne sa 82e brigade, constituée des 23e et 133e RI, deux régiments qui pénètrent dans la vallée de la Thur et combattent à Fellering puis Wesserling lors de leur progression vers Thann.

Si le JMO du 23e RI ne mentionne aucune perte, un soldat de ce régiment, natif de Jujurieux mais demeuré anonyme, note le 7 août dans son carnet : « Nous avons quelques blessés à Wesserling ». De son côté, Henri Bussillet, connu sous le nom de plume de Bussi-Taillefer, médecin aide-major de 2e classe au 23e RI, ne mentionne aucune perte dans ses mémoires. Quant à Joseph Saint-Pierre, médecin aide-major de 1re classe au 23e RI, il écrit dans son journal à la date du 7 août : « Le 133 a un tué ». Georges Gustave Sauthier, s’il n’est pas nommé dans le JMO du 133e RI, est évoqué dans l’historique du régiment, mais sous un patronyme erroné : « Pour protéger le régiment qui devait y cantonner, le 1er bataillon alla aux avant-postes dans la direction de Vieux-Thann. A la sortie de la ville, sur la grand’ place, une balle, tirée par une patrouille de uhlans, tua le mitrailleur Gauthier, ouvrant la liste funèbre, qui hélas, ne se clorait pas de cinquante-deux mois et au prix de laquelle il nous faudrait acheter la victoire. » 

7 août 1914. Les troupes françaises pénètrent dans la vallée de la Thur (coll. part.)

Pour ce qui relève de la 81e brigade, seconde composante de la 41e DI, la tenue des JMO est plus instructive, si ce n’est dans le cas du 152e RI. En effet, la première perte de ce régiment est enregistrée le 4 août, mais reportée on ne peut plus laconiquement : « 1 fantassin et 3 chevaux blessés ». Son nom nous est cependant révélé par le capitaine Paul Boucher, qui a en outre détaillé les événements dans ses carnets en des termes que nous retrouverons dans l’affaire du 5e BCP :

« Quelques coups de feu et tout de suite une rumeur, il y a un blessé. C’est vrai, deux hommes portaient un soldat, figure exsangue, capote dégrafée, chemise sanglante à la hauteur du ventre. C’est Bernard. Chacun est grave, les hommes s’arrêtent et veulent le voir. « Faites passer vite » dit le Général, et « Inutile de regarder ! ». C’est fini de prier, les derniers espoirs s’envolent, voici le sang répandu, oh oui, c’est bien la guerre. »

Le rédacteur du JMO du 15e BCP a pour sa part, a contrario, officié dans les règles de l’art et établi un tableau récapitulatif des pertes de la journée du 7 août qu’il a annoté en marge des noms des tués et des blessés. En l’occurrence, les deux premiers tués du bataillon, passés ainsi à la postérité, sont les chasseurs Auguste Edmond Berguer et Louis Zéphirin Germain, tombés à Wesserling.

Les premiers tués du 5e BCP et leur empreinte

Le JMO et ses premiers tués

Enfin vient le tour du 5e BCP, qui n’accuse aucune perte jusqu’à la funeste journée du 9 août 1914, dont il est fait état comme suit, respectivement, dans les JMO du bataillon et du service de santé du bataillon :

« Patrouilles ennemies devant 1re [compagnie]. Observent et s’en vont sans approcher. Patrouilles ennemies devant 5ème [compagnie]. Une patrouille envoyée vers elles, direction Herrenberg a deux tués : sergent Desbrosses et chasseur Courty. Leurs corps sont inhumés au Schweiselwasen. Une reconnaissance envoyée vers Metzeral rapporte qu’il y a de nombreux fantassins dans ce village. Les habitants disent qu’il y a aussi des canons. »

« Stationnement à Trehkopf. Une patrouille de la 5e compagnie s’est laissé surprendre par rencontrant une patrouille ennemie eut un sergent et un chasseur tués. Le corps de ces hommes fut enseveli sur les positions. »

Si ce qui s’est produit est relaté de manière relativement succincte, mais a au moins la vertu de nommer les deux premiers tués de l’unité, ce qui surprend surtout est l’empreinte laissée par l’événement, parfois durablement, dans la mémoire d’hommes qui ont pourtant connu ensuite l’enfer de quatre années de guerre.

Le témoignage de Georges Poirot à l’inauguration de la stèle du collet du Linge

Tel est le cas de Georges Poirot, « as de l’infanterie », qui en a fait part dans le discours qu’il a prononcé à l’occasion de l’inauguration de la stèle du collet du Linge, reproduit dans l’Historique des 5e, 45e, 107e bataillons de chasseurs à pied :

« Chers Morts du 5e, du 45e, du 107e ; du plus jeune, l’aspirant Kopf Joseph, âgé de 17 ans, au vieux pépère, le père Joie, âgé de 46 ans, et à toi, Sergent Desbrosses, mon camarade, titulaire de l’épinglette du 5e, tué dans les chênes rabougris du Schweiselwasen, le 9 août 1914, vous n’avez pu croire que nous vous avions oubliés. … »

Le capitaine Georges Poirot (http://aufildesmotsetdelhistoire.unblog.fr/)

« Les premiers morts » de Louis Mougenot

La tonalité de ce discours est étonnamment proche de celle du témoignage qu’a laissé Louis Mougenot, élève de la promotion 1909 de l’Ecole Normale d’Instituteurs de Mirecourt :

« Jusqu’au 14 août, nous assurerons une mission de couverture et chaque matin, nous verrons le soleil se lever dans un ciel sans nuages. Cependant notre quiétude n’est pas complète. La guerre est là, présente, et nous allons bientôt faire connaissance avec la mort. Une patrouille quitte le sommet du Grand Ventron et s’enfonce dans les bois. Bientôt éclate une fusillade nourrie et plusieurs chasseurs sortent en courant du couvert des arbres. L’un d’eux a son képi traversé par une balle bien près du crâne. Deux hommes ne sont pas de retour. Une seconde patrouille les ramène : ils sont morts. Le sergent Desbrosses et le chasseur Courty sont couchés côte à côte. Ils ont été tirés, comme des bêtes à la chasse, par les Allemands blottis dans les sous-bois. Leurs pauvres corps paraissent disloqués.

Desbrosses, l’homme bon qui n’avait jamais puni, le camarade qui avait été notre instructeur au peloton des élèves-caporaux. Courty, le maçon limousin, un grand gaillard, une force de la nature.

Toute la compagnie est présente. C’est un peu comme si nous nous inclinions devant la dépouille d’un père, d’un frère. Et nous sentons naître en nous un sentiment de haine lorsque le capitaine prononce ces simples mots : « Vous serez vengés ». Ce premier contact avec la mort a certainement fait réfléchir chacun sur sa destinée. […]

La mort nous devient plus familière encore lors des combats devant Colmar, quand, le 21 août, à Ingersheim, trente des nôtres – pour notre seule compagnie – resteront sur le terrain. Et puis nous connaîtrons les hécatombes où les morts se compteront par centaines. De bons camarades, des amis, disparaîtront, dont j’oublierai les noms et parfois aussi les visages. Mais les deux premiers, je ne les oublierai jamais ! Soixante-quatre ans ont passé. Je ne suis pas retourné au Grand Ventron depuis cette époque, mais il me semble que je reconnaîtrais sans peine les lieux où le drame s’est déroulé, et que je reverrais les corps massacrés, les visages figés dans la mort de mes deux camarades. » 

(in Cent cinquante ans au service du peuple, tome II, de Paul Rothiot)

« L’inhumation » de Marcel Bauduret

L’intense émotion qui n’a pas manqué d’étreindre les participants à l’inhumation de ces deux premiers morts a également été exprimée par le chasseur jurassien Marcel Bauduret :

« A Bramont, nous franchissons la frontière et nous nous installons au Rainkopf. La première nuit, l’ennemi nous est signalé ; aussi nous veillons. Mais l’adversaire si attendu ne se montre pas.

Le lendemain, rien ne se passe. Mais le troisième jour, une patrouille de huit hommes, commandée par le sergent Desbrosses, part reconnaître un petit bois ; le sergent tombe criblé de balles, ainsi que deux soldats. Les autres s’enfuient.

Aussitôt, on réunit des hommes de bonne volonté pour aller chercher les cadavres. Je fais partie de cette patrouille composée de douze hommes, sous les ordres d’un sergent.

Nous approchons avec toute la prudence nécessaire des corps de nos camarades que nous plaçons sur des fusils. Quand notre capitaine découvre les restes si mutilés du sergent, il ne peut cacher son émotion.

Le soir, nous les enterrons à l’ombre d’un arbuste. Nous leur rendons les honneurs. Le capitaine prononce un discours. Nous ne pouvons retenir nos larmes. »

(in Les Camarades, de Roger Boutefeu)

« Le tragique baptême du feu » de Victor Henri Prud’homme

Quant à Victor Henri Prud’homme, il est sans doute celui qui, dans le carnet qu’il a tenu à partir du début de guerre, et en sus de cette même émotion, a évoqué ce tragique baptême du feu avec le plus de détails :

« Dimanche 9.08.1914

Nous restons sous les armes. Une patrouille fournie par mon escouade part en reconnaissance, commandée par notre bon sergent, Desbrosses, et 7 camarades. Cette patrouille se trouve surprise par des douaniers allemands postés qui font sur eux un feu de salves. Le sergent Desbrosses et le chasseur Courty tombent criblés de balles. Les autres chasseurs peuvent s’enfuir et un d’entre eux a eu son képi traversé par une balle, il a même une mèche de cheveux enlevée. L’après-midi se passe à la recherche de ses deux camarades, qui sont retrouvés vers 4 heures et ramenés par les brancardiers dans les civières. 8 de nous sont commandés pour creuser la fosse. Aussitôt fait, notre compagnie et la 2ème forment un carré et nous présentons les armes baïonnettes au canon. Le capitaine nous rappelle leur mort et nous les donne comme exemple en nous disant de les venger, ce que nous ferons. Puis les deux corps emballés dans leur couvre-pieds sont descendus dans leur dernière demeure. Quelques prières sont dites par notre capitaine et un séminariste. Nous faisons un défilé autour de la tombe et le tout est fini. Ces copains d’armes peuvent dormir en paix, nous les vengerons. Nous avons eu tous le cœur bien gros de ces deux premiers morts au champ d’honneur. Tous les yeux étaient remplis de larmes. Le soir l’escouade prend les avant-postes, mais rien ne vient nous troubler. »

« Le guet-apens » du capitaine Delivré et d’A. Gilbert

Si plusieurs témoins s’accordent sur les circonstances des échanges de tirs puis de la recherche des corps et de leur inhumation, l’évocation de la brutalité soudaine de la rencontre avec l’ennemi et son caractère de guet-apens, qui transparaissent nettement, est aussi présente dans deux autres sources. En effet, le capitaine Delivré a, dans son carnet, rédigé ce qui suit :

« 9 août 1914 : Le sergent Desbrosses tombe en patrouille. Le soir, j’aide la compagnie pour aller le chercher… J’ai retrouvé le sergent Desbrosses et le chasseur Courty tués. Ils ont été tués dans le dos. Leurs corps sont ramenés et enterrés vers nous sur la haute-chaume. La 2e compagnie rend les honneurs. »

La chaume du Schweiselwasen (sous le toponyme Schweis Weisen) (extrait de feuille de canevas de tir de Gérardmer, juin 1917 ; coll. part.)

D’autre part, ce qui figure sous le titre « Pages d’Alsace » dans le Livre d’or des enfants de Gérardmer morts pour la France, d’A. Gilbert, prend aussi la tournure de la dénonciation d’une embuscade déloyale :

« Au 27 juillet 1914, les chasseurs de Remiremont étaient en marche. Mais on parle de mobilisation, et vite, ils rentrent dans leurs casernes.

Le 10 août, ils sont en Alsace. C’est l’avance rapide… Mais, sur les hauteurs, ils sont assez mal reçus dans les fermes. Des douaniers allemands cachés dans les fourrés ont même tué à bout portant, un soldat de 2ème classe et un sergent. »

Voilà qui ne peut manquer de faire songer à la partie biffée et corrigée du JMO du service de santé du 5e BCP :

« Une patrouille de la 5e compagnie s’est laissé surprendre par rencontrant une patrouille ennemie eut un sergent et un chasseur tués. »

Qui sont les premiers tués et leurs camarades témoins de leur mort ?

Qu’ils aient été surpris ou non par l’ennemi, ces deux hommes viennent, le 9 août 1914, d’ouvrir le livre d’or de leur bataillon. Il est intéressant de voir, outre qui ils étaient, quels étaient leurs liens avec les témoins de leur mort et / ou de leur inhumation, et le sort qui a attendu ces derniers.  

Hippolyte Elie Courty, natif de la Creuse et maçon de profession, né le 22 août 1893, a été tué avant même de fêter ses 21 ans. Le sergent Pierre Desbrosses, cultivateur originaire de la Saône-et-Loire, né le 8 juin 1891, venait donc d’avoir 23 ans. Si Victor Henri Prud’homme, né en 1885, n’était pas un ancien du 5e BCP (engagé volontaire en 1904, il était passé par les 17e BCP et 20e BCP avant de passer dans la disponibilité en 1907), il n’en va pas de même de Louis Mougenot et Marcel Emile Bauduret. Aussi est-il vraisemblable que Mougenot, arrivé au 5e BCP le 26 novembre 1913, et Bauduret, arrivé le 29 novembre, ont intimement connu Courty, arrivé au corps le 29 novembre lui aussi.

Le destin des témoins

Le 10 puis le 18 août 1914, à Krüth, le lieutenant Charles Delahaye dresse les procès verbaux de décès du chasseur Courty puis du sergent Desbrosses. Les témoins qui comparaissent à cette occasion sont le caporal Louis Adrien Delaunay et le chasseur André Frachet.

Ce sont de sombres lendemains qui sont réservés aux protagonistes connus du baptême du feu du bataillon. Le lieutenant Delahaye sera blessé à l’Hilsenfirst le 2 juillet 1915 d’un éclat d’obus au genou droit. Le caporal Delaunay disparaîtra à Entre-deux-Eaux le 1er septembre 1914, aux côtés du chasseur Frachet qui y sera blessé d’une balle dans le dos.   

Le caporal Mougenot sera capturé à Steinbach mi-décembre 1914 et rentrera de captivité le 16 novembre 1918. Le chasseur Bauduret, blessé au col de Mandray par balle au mollet gauche le 6 septembre 1914, puis blessé à la Cote 425 par éclat d’obus au coude gauche le 15 décembre 1914, sera tué à Cléry le 26 août 1916. Le caporal Prud’homme, très grièvement blessé par balle aux deux bras à Entre-deux-Eaux le 1er septembre 1914, et amputé, sera définitivement renvoyé dans ses foyers le 21 janvier 1915. Quant au capitaine Delivré, il sera blessé au Sudel le 19 avril 1915 d’un éclat d’obus à la jambe droite.

Les sépultures des deux premiers tués

Pendant tout ce temps, Desbrosses et Courty doivent reposer sur la chaume du Schweiselwasen. Car leurs sépultures y sont-elles restées durant toute la guerre ? Rien ne le confirme, rien ne l’infirme. Les corps ont-ils été transférés dans le cimetière communal de Wildenstein plutôt que laissés sur les hauteurs ? Le mystère demeure. Une unique certitude est que la dépouille de Pierre Desbrosses a été restituée à sa famille en 1923, et qu’il est à présent inhumé dans le cimetière communal de Grury.

Conclusion

Comme nous l’avons vu, si des zones d’ombre subsistent autour de ce qui s’est déroulé entre août 1914 et janvier 1923, la mort et l’inhumation de Desbrosses et Courty ont bénéficié d’un éclairage peu commun, grâce à divers témoignages, qui mettent bien en exergue l’effroi causé par l’irruption de la mort, laquelle quitte l’abstraction pour infliger au combattant novice sa violente réalité. Ils font en tous points écho à celui de Jean Marot, publié en 1966 dans l’Almanach du combattant sous le titre « Le premier tué de ma section, août 1914 » :

« Le premier tué… On ne se le figure pas bien, faute d’avoir vu ce qui peut rester d’un homme coiffé par un obus (nous le saurons trop bien, plus tard, et nous la gardons tous, au fond des yeux, l’hallucinante vision des camarades hachés tout vifs). Ce jour-là, nous ne savons pas ce qu’est un mort ; cela reste un mot conventionnel. Ce pauvre Cersot nous a épargné l’horreur de savoir du premier coup… Et puis, après tout… on ne l’a pas vu tué, non ? Alors ? Et tout au fond de nous tous s’obstinent d’obscures illusions, vaticinent les mille voix sans paroles de l’Inconscient : ce n’est pas vrai ; ce n’est pas possible, la mort… Il n’est pas mort… Est-ce qu’on meurt ? Les autres, oui, peut-être, mais moi ? Mais non, je ne veux pas… Pour moi, ce ne sera pas la même chose… Moi, je… »

Espérons que cette brève évocation permettra de préserver le souvenir du sergent Desbrosses et du chasseur Courty et qu’un jour, des visages viendront se placer sur leurs noms.


Quelques liens

Carnets de Paul Boucher : https://www.14-18hebdo.fr/articles/episodes-1914-1

Georges Poirot : https://www.calameo.com/read/0059767891aa52f8196ea

Le premier mort pour la France de Grury : https://www.genealanille.fr/blog/2014/08/09/desbrosses-pierre-mort-france

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