Du 30 août au 10 septembre 1914, le 133e régiment d’infanterie est engagé dans la bataille des cols, et plus particulièrement sur le col des journaux. Ces combats ont été décrits dans plusieurs articles de blog. Mais après la fin des combats débute le « nettoyage » du champ de bataille : identifier les morts, référencer les tombes provisoires, relever le matériel, les uniformes, les armes et autres munitions abandonnés. C’est cette phase souvent oublié de la guerre que ce nouvel article d’Eric Mansuy nous invite à explorer.
Les pertes du 133e RI à la bataille des cols
12 septembre 1914 : dans les bois, aux cols, sur les crêtes et au fond des vallées des environs de Fraize, la Croix-aux-Mines, la Béhouille, Mandray, Entre-deux-Eaux, Saulcy, Saint-Léonard, la bataille vient de cesser après plus d’une semaine de combats. Le 133e régiment d’infanterie y a plus que largement pris sa part, comme le souligne l’historique régimentaire :
« Tant à Saulcy qu’aux Journaux, 37 officiers et 1.100 hommes avaient été mis hors de combat. »
La consultation de la cote 19 N 1153 du Service Historique de la Défense, concernant les pertes du Détachement d’Armée des Vosges, nous apprend que le 133e RI a perdu, pour la seule période du 30 août au 6 septembre, 122 tués, 682 blessés et 210 disparus, soit 1.014 hommes. Alors que près de 30% de l’effectif hors de combat, constitué de tués et de disparus, manque à l’appel, il convient de relever urgemment l’emplacement des corps disséminés dans les parages : il en va du respect dû aux frères d’armes, de la tenue rigoureuse de l’état des pertes, et d’un souci de prophylaxie élémentaire. C’est ainsi que débute l’assainissement du champ de bataille et la recherche, voire la découverte, des disparus en vue de leur inhumation temporaire puis définitive.
Le spectacle du champ de bataille
Le spectacle qui s’offre aux hommes du 133e RI est cauchemardesque, comme en témoigne le sous-lieutenant André Cornet-Auquier dans un courrier du 10 septembre :
« Ce qu’il y a de plus atroce, c’est l’odeur des cadavres. L’autre jour, ma section a été chargée d’en enterrer une trentaine à moitié putréfiés. C’était inimaginable. Ce que j’en ai vu d’horreurs, et de blessures atroces, et de villages en ruines ! ».
(in Un Soldat sans peur et sans reproche)
Une scène similaire est vécue et décrite par le médecin aide-major Joseph Saint-Pierre, du 23e RI, le 12 septembre :
« Je rassemble mes hommes, fais courir mon cheval. La compagnie est rassemblée… Nous descendons au flanc de ce triste sommet par un petit sentier jonché encore de fusils, d’équipements, de sacs… Voici encore un cadavre en bas de la route, un autre au-dessus, quelques-uns sont pelotonnés. Là encore il y en a sûrement un… L’air est irrespirable. »
(in La Grande Guerre entre les lignes)
La besogne des inhumations
Pour procéder à la terrible besogne des inhumations, le service de santé de la 41e DI en confie la tâche à son groupe de brancardiers et aux civils des environs, comme le précise son JMO :
« 12 septembre 1914
A 4 heures du matin, le médecin-chef reçoit l’ordre suivant du médecin divisionnaire : « Le Groupe de Brancardiers de la 41e Division procèdera aujourd’hui 12 septembre à la désinfection du champ de bataille dans la zone occupée par la 41e Division. Cette désinfection se fera par inhumation ou par incinération des cadavres. Un convoi automobile transportant des matériaux de désinfection (goudron, pétrole) sera rendu à 8 h. à Fraize et un autre à Saint-Léonard.
Le 2e ½ groupe opèrera dans le secteur Fraize, col de Mandray, col des Journaux, Mandray.
Le 1er ½ groupe dans le secteur Saint-Léonard, Saulcy, Entre-deux-Eaux.
Le médecin-chef du groupe donnera des ordres au 2e ½ groupe et marchera avec lui. On réquisitionnera les habitants valides des communes du pays pour aider aux opérations. »
Ordre exécuté. On ne trouve que peu d’habitants. En raison de l’étendue de la zone et du nombre de cadavres, travail difficile et incomplètement fait.
A 23 heures, les deux ½ groupes exténués regagnaient leur cantonnement, le 1er ½ groupe à Clefcy, le 2e ½ groupe à Fraize.
13 septembre
A 8 h. 30, réception de l’ordre suivant du médecin divisionnaire : « Regroupez votre formation qui partira à 14 h., se rendant à Saint-Léonard où se grouperont les ambulances 1/63, 2/7, 5/7 et le S.H. 2/7 restant à la disposition de la division. Le Q.G. se porte à Saint-Dié.
Ordre exécuté : le groupe en entier cantonne à Saint-Léonard à partir de 16 heures.
14 septembre 1914
A 6 heures du matin, ordre au 1er ½ groupe de se rendre à Saulcy en position d’attente. Ordre au 2e ½ groupe de continuer la désinfection du champ de bataille entre Contramoulin et Mandray. »
Témoignages de civils
Par chance, car les témoignages de civils sur ce type d’activité n’abondent pas, et c’est peu dire, un participant et un témoin ont laissé ces très instructives relations :
– « A la suite des combats acharnés livrés dans la région, beaucoup de morts étaient restés sans une inhumation que les chaleurs de l’été auraient rendue urgente, mais que la bataille empêchait. Je me suis mis à la tête du service chargé des sépultures. Dès le matin du 13 septembre, par une pluie battante, nous inhumons les cadavres. Travail pénible sous tous les rapports. Les corps pullulent d’insectes rongeurs. Je recueille tous les papiers qui serviront à identifier les morts. Que de fois il faut essuyer sur l’herbe ces pièces d’identité pour ne pas mettre les vers dans les enveloppes. Toutes les sépultures furent identifiées. »
(Emile Haouy, instituteur de Saint-Léonard in Livre du Souvenir, d’Emile Meyer)
– « 12 septembre. […] Dès le matin, grande circulation dans tout Fraize. Des hommes s’en vont par bandes, avec leurs pelles, à la montagne, le long de la crête, et du Col des Journaux, pour enterrer les soldats morts. Chacun des émigrés pour un temps rentre définitivement chez soi. À partir d’aujourd’hui, on recommence à voir passer quelques voitures. Et puisqu’on pouvait maintenant circuler, j’allai jusqu’à l’hôpital, voir comment les pauvres Sœurs avaient passé elles aussi ces jours tragiques. Mais, chemin faisant, que ça paraissait donc drôle, sortant d’où l’on sortait, tout à coup de ne plus rien entendre. Il semblait au premier abord ou qu’on était sourd ou qu’on n’était pas bien éveillé. J’arrivai à l’hôpital. En entrant dans la cour, on amenait à ce moment sur une charrette des soldats tués au Col des Journaux, pour les réunir à l’hôpital avec d’autres, et de là les conduire au cimetière. On les découvrit aussitôt : de pauvres chasseurs du 5e, tous. L’un avait encore les yeux grands ouverts, tel que la mort l’avait surpris, comme s’il visait… Pauvres soldats ! Je pensais, en les voyant, aux leurs, quand ils sauraient… »
(Marie Petitdidier, de Fraize)
La récolte des armes et équipements
Dans le même temps se déroule une autre activité, autrement moins macabre mais en revanche non moins cruciale sur le plan militaire : la « récolte » des armes et équipements abandonnés sur le terrain. C’est à cette occasion que le commandement d’étapes du champ de bataille de Saint-Dié établit une liste époustouflante, intitulée « Evacuation, par journées, des objets recueillis sur le champ de bataille de Saint-Dié (du 19 au 29 septembre 1914) » : elle se décline en « armes » (fusils modèle 1886-93 utilisables, fusils modèle 1886-93 hors de service, fusils allemands, lances, mousquetons d’artillerie modèle 1892, carabines, sabres-baïonnettes français, sabres-baïonnettes allemands, sabres d’adjudant, sabres de cavalerie modèle 1822), « munitions » (caisses de cartouches de 75, caisses de cartouches allemandes, caisses de bandes-chargeurs, caisses de cartouches 1886, obus allemands non tirés de 77, obus français non tirés, douilles de 75, douilles de mortier de 110, douilles de mortier de 150, douilles d’obusiers de 110 allemands, douilles d’obusiers de 155 allemands, douilles allemandes de 77, cartouches de 77 de campagne allemandes en panier, caisses de 75 vides, caisses de cartouches de 65 de montagne, étuis de cartouches modèle 1886, caisses de détonateurs vides, paniers vides pour cartouches de 77 allemandes, paniers pour obusiers de 105, sacs en toile de cartouches 1886, douilles vides de 105, caisses contenant des cartouches de tir à blanc modèle 1897, paniers en osier contenant des obus allemands, paniers vides d’obus allemands), « grand équipement » (bidons, bottes allemandes, cartouchières et ceinturons, capotes, gamelles, havresacs français, havresacs allemands, habillement de grand équipement, képis, musettes, tambours et clairons, pantalons, vestes, sacs en toile contenant des cartouches modèle 1886, sacs en toile contenant des cartouches allemandes en bandes-chargeurs, sacs en toile contenant des étuis de cartouches allemandes), « harnachement » (selles de cavalerie, sellettes, harnachements complets, bâts de mulets pour transport de blessés), « matériel » (affûts de canon, pieds de mitrailleuses, avant-trains de caissons français, avant-trains de caissons allemands, arrière-trains de caissons français, arrière-trains de caissons allemands, timons, caisses de munitions de 75 vides, caisses de munitions de 75 remplacées par des munitions de fusils français et allemands, fourgons modèle 1874, fourragère de cavalerie 1875-1902, roues de rechange, caissons complets de 77 allemands).
Marie Petitdidier, dont le témoignage est ici encore on ne peut plus précieux, en a elle aussi rendu compte le 14 septembre :
« L’après-midi fut employée à visiter le Col de Mandray. C’est une grande tristesse que de voir un champ de bataille au lendemain de la lutte, et tout ce que peut évoquer : les débris éparpillés qui le couvrent, de sacs, de fusils brisés, des cartouchières éparses ça et là, des lettres déchirées, piétinées… »
Puis le 15 :
« Nos hôtes tenaient aussi à voir le Col des Journaux. Et avec eux encore, l’après-midi, nous dirigeons là notre itinéraire, mais à l’entrée du Col seulement. Là, même spectacle que la veille et même tristesse immense qui vous envahissait en le contemplant, mêmes débris gisant à terre : lambeaux de vêtements, crosses de fusils, ceintures coupées, baïonnettes… »
Le sort des tombes provisoires
La fragilité des inscriptions
Le serrement de cœur qu’elle éprouve à plusieurs reprises à la vue de tant de tombes éparses au milieu des reliques des combats pousse Marie Petitdidier à effectuer un relevé des tombes au col des Journaux et dans les environs, à la mi-octobre 1914. Ce désir bien légitime a aussi, voire surtout, été inspiré par un esprit des plus pratiques à la vue de ces inhumations sommaires, ainsi qu’elle l’a exprimé par la suite :
« La petite croix de bois les abritait de son signe d’espérance (O Crux ave spes unica) ; mais ces inscriptions écrites seulement au crayon… au bout de quelques pluies elles auraient disparu, et ceux qui passeraient sur le chemin ne sauraient plus, pour saluer ces héros de la bataille… »
Près de huit mois plus tard, le 22 juin 1915, son déplacement à la Béhouille lui donne raison, hélas :
« En nous enfonçant un peu dans la forêt, nous découvrîmes une tombe adossée à une roche. Là aussi, une croix était attachée à l’un des deux sapins qui étaient à sa tête, contre la roche, et au milieu de la tombe, aussi une petite croix encore, coiffée d’un béret alpin. Ce qui disait qu’on avait mis là, non pas un soldat tout seul, mais plusieurs ensemble. Plus de trace d’inscription sur les croix, le temps les avait déjà effacées. Rien d’étonnant à cela, étant toujours au crayon, à cause de la hâte à enterrer. »
Le travail de relevé des communes
Cependant, heureusement, les divers organes en charge de l’assainissement du champ de bataille et de l’identification des corps ne sont pas restés inactifs depuis septembre 1914. Même si de très nombreuses dépouilles reposent encore dans des tombes collectives, et qu’elles ne pourront être à terme identifiées, bien des tombes, au regard de la quantité considérable de celles-ci, éparpillées des hauteurs aux vallons, ont été associées au nom d’un tué ou d’un disparu. Aussi est-ce ce qui va nous permettre de voir à présent quel sort a été réservé aux combattants du 133e RI morts entre le 30 août et la mi-septembre 1914, dont la dépouille est demeurée dans les Vosges.
Au printemps et à l’été 1915, les communes sur le territoire desquelles les combats se sont déroulés établissent des listes de tombes, portant autant de renseignements que faire se peut sur l’identité des morts et la localisation de leur sépulture.
La commune de La Croix-aux-Mines
La Croix-aux-Mines, le 14 avril 1915, signe un « Etat des tombes relevées à la Croix-aux-Mines et dans le voisinage ». Au cimetière communal se trouvent alors six officiers : le capitaine AUDÉ, le lieutenant DESBAZEILLE, le sous-lieutenant DIRCKSEN, le sous-lieutenant FAIVRE, le sous-lieutenant MILLET, et le capitaine FILLON (ce dernier a été ré-inhumé à la nécropole de Saulcy-sur-Meurthe en 1966). Un article a déjà été consacré ici même à ces officiers : https://charlesbarberot.fr/les-tues-du-133e-ri-a-la-croix-aux-mines/
Dans les environs sont recensées d’autres tombes, bien souvent privées de renseignements sur les malheureux qui y reposent. C’est ainsi que près de la Tête de Béhouille se trouvent « 1 non identifié, 2e classe, 133e régiment d’infanterie, au-dessus de l’usine, à mi-côte » et « 1 non identifié, 2e classe, 133e régiment d’infanterie, près de la Ferme Leclaire, près d’un sapin ». A la Pierre des Raquettes se trouvent « 30 tombes de morts non identifiés du 22e BCA et du 133e RI », au Gréa, « 10 tombes de morts non identifiés du 133e RI », à la lisière du Chipal, « 8 tombes de morts non identifiés du 22e BCA et du 133e RI » et enfin route de Verpellière, « 1 non identifié, à 100 mètres de l’usine de la Croix-aux-Mines, à droite derrière une maison ». Deux noms figurent néanmoins aussi sur cette partie de la liste, mais dont l’authenticité laisse à désirer.
Tel est le cas à Champ de cheval, où est inhumé un « CHIERES, 2e classe, 133e régiment d’infanterie » : très vraisemblablement, cet homme est Clément Gabriel Eugène CLICHE. Une fiche de décès a été établie le concernant au nom incorrect de « CLÈCHE Clément », « décédé du 30 août au 10 septembre 1914, combats de la Tête de Béhouille au col des Journaux ». En revanche, son numéro matricule – 6337 – est exact, et figure sur une seconde fiche de décès, complète celle-ci et portant sa réelle identité ainsi que la date exacte de son décès, le 5 septembre, comme en atteste également le contenu de la transcription de son acte de décès à Ussel d’Allier.
Le second, inhumé en « lisière du bois des Journaux », est un « BARRET, lieutenant, 133e régiment d’infanterie ». Aucun officier de ce nom n’appartenant au 133e RI, il est on ne peut plus plausible que ce corps ait été celui du sergent Louis Etienne BARLET, tué le 5 septembre, qui repose à présent à la nécropole de Saulcy-sur-Meurthe.
Enfin, sont correctement identifiés, au Bois Noir, le lieutenant Jean Marie Anselme Auguste MEURANT, tué le 5 septembre, à présent à la nécropole de Bertrimoutier, et le caporal Albert Auguste Alexandre LAINÉ , tué le 3 septembre. Enfin, c’est aussi le cas, à Sadey, de César Auguste MONNERET, tué le 3 septembre également, et reposant aujourd’hui à la nécropole de Bertrimoutier.
La commune de Saint-Léonard
Saint-Léonard, le 29 mai 1915, fournit sa « Liste des soldats français inhumés sur le territoire de la commune ». Elle porte entre autres les noms suivants :
- VIGNAND Marius, 133e régiment d’infanterie, 26e compagnie [sic], Bellegoutte
- FAUGERON Michel, 133e régiment d’infanterie, Bellegoutte
- METRAL Joseph, 133e régiment d’infanterie, Bellegoutte
- ARNAUD Pierre, 133e régiment d’infanterie, Bellegoutte
- BERTHIER Marius, 133e régiment d’infanterie, Belley 1089, classe 1909, devant Contramoulin
- PEULET Louis, 133e régiment d’infanterie, Bourg 410, classe 1910, devant Contramoulin
- DUMAS Noël, 133e régiment d’infanterie, Rhône Xe arrondissement 779, classe 1909, devant Contramoulin
- BERTHAUD Claude, 133e régiment d’infanterie, devant Contramoulin
- VOISIN, 133e régiment d’infanterie, Bellegoutte
La commune d’Anould
Anould, en date du 1er juin 1915, émet une « Liste des soldats inhumés au cimetière de la commune d’Anould » et une « Liste des soldats inhumés sur le territoire de la commune d’Anould ». Au sein du cimetière communal repose le lieutenant Julien Paul GENESSAY, mort le 2 septembre (aujourd’hui à Viriat, dans l’Ain). Un « lieutenant DANESSAN » du 133e RI figure également sur cette liste : il s’agit vraisemblablement du chasseur Marc Sébastien DAMAISIN, du 13e BCA, tombé à Mandray le 3 septembre (à présent à la nécropole de Saulcy-sur-Meurthe).
La commune de Mandray
Mandray, le 12 juin 1915, produit une « Liste des noms des militaires inhumés sur le territoire de la commune » dans laquelle figurent « 1 alpin et 1 soldat du 133e de ligne, aux Angles », et « MAURICE, lieutenant, 133e de ligne, chez Dufort », en fait Pierre MORICE, sur le cas duquel nous reviendrons.
La commune de Saint-Dié
A Saint-Dié, enfin, reposent, à la nécropole des Tiges, François MARTIN, dont la fiche de décès date la mort au 11 septembre, mais dont l’acte de décès indique la mort le 5 septembre à Saulcy-sur-Meurthe, et Eugène Philibert MORIER, tombé ce même 5 septembre et au même lieu. C’est aussi à Saulcy-sur-Meurthe qu’a initialement été inhumé le capitaine Pierre François Célestin LAFON, tué le 1er septembre, dont le corps a été restitué le 17 novembre 1921. Léon Petitjean a d’ailleurs relaté l’événement dans ses écrits :
« Le combat terminé, vers 17 heures, on profita d’une accalmie pour enterrer avec les honneurs militaires, dans le petit jardin du presbytère, le capitaine Lafon, de la 5e, tué la veille et le curé de Saulcy, l’abbé Jeanpierre, tué le 29 en administrant les blessés. Le chef de bataillon, une section de la 5e Cie, le drapeau et les sapeurs rendirent les honneurs. Un prêtre, le lieutenant Millon, qui devait tomber plus tard capitaine au 90e R.I., dit à son chef l’adieu suprême, lui promettant que tous sauraient, quand il faudrait, se sacrifier comme lui pour la France. »
Plainfaing
Quant au caporal Eugène Pierre MICHEL, tué le 5 septembre, c’est à Plainfaing, où son corps se trouve toujours, qu’il est inhumé.
Les relevés des formations sanitaires
En sus des listes que nous avons détaillées, émises par des communes sur le territoire desquelles des combats se sont livrés, se présente leur complément, à savoir la liste des hommes morts de leurs blessures dans des formations sanitaires.
Gerardmer
A Gérardmer sont décédés Léon Pierre CHASSAGNE et Joseph Auguste DEMONT (le 5 septembre), Jean Marie Pierre MAGNON et Antonin PARDON (le 6 septembre), et Pierre Claudius BENOIT (le 7 septembre). Ces cinq hommes reposent toujours à Gérardmer.
Clefcy
Clefcy, sur sa « Liste des soldats inhumés sur le territoire de la commune » du 28 mai 1915, incluait le nom de « DIENNET Claude, adjudant au 133e régiment d’infanterie, classe 1904, du recrutement de Belley, décédé à l’ambulance n°2 de la 41e division à Clefcy le 9 septembre 1914 ». Son acte de décès porte la mention rectificative : « Le défunt était sous-lieutenant et non adjudant. Le sous-lieutenant Diennet, décoré de la Croix de guerre, prénommé Claude Antoine Marius et non Claude seulement. »
Le Rudlin
Sur le trajet des évacuations entre la ligne de feu et Gérardmer se trouvait, à l’instar de Clefcy, le Rudlin, où des éléments du service de santé se sont établis alors que les combats faisaient rage depuis plusieurs jours déjà. Le 7 septembre, le JMO du service de santé de la 41e DI indique :
« Des blessés nombreux et d’une évacuation difficile étant signalés dans le secteur Est, l’ambulance 5/7 reçoit l’ordre de s’installer au Rudlin où elle arrive dans la journée. Elle recevra les blessés de la région de Louchpach et du col du Bonhomme et évacuera sur Gérardmer avec les voitures automobiles. […] Attaque violente du col des Journaux. »
Et d’y revenir le surlendemain, 9 septembre :
« Les ambulances 2 et 5 fonctionnent à Clefcy et au Rudlin. L’ambulance alpine 1/75 est mise à la disposition de la 41e division. Elle assure principalement le relèvement des blessés dans la région du Louchpach et du Bonhomme. Elle reçoit l’ordre de s’installer au Rudlin. Le médecin chef du ½ groupe de brancardiers reçoit l’ordre de diviser son groupement en deux sections dont l’une reste à Clefcy et l’autre se rendra à Habeaurupt, point plus rapproché du col du Bonhomme où les blessés sont toujours nombreux. Evacuation sur Gérardmer par convoi sanitaire automobile. »
Enfin, l’ambulance alpine 1/65 joint ses services aux formations sanitaires déjà citées, comme le détaille son JMO :
« 10 septembre 1914. Départ pour le Rudlin à 5 h. La colonne passe par le col de Surceneux, le Valtin et arrive au Rudlin à 10 h. Je me présente aussitôt au médecin major de 1re classe, médecin chef de l’ambulance n°5 qui est installée au Rudlin. Il me donne l’ordre d’occuper le rez-de-chaussée du Chalet Schuehmacher pour l’ambulance et de cantonner les hommes et animaux dans deux autres chalets et deux prés. Mauvais cantonnement pour les mulets à cause de l’humidité du sol. On me charge d’un service des brancardiers pour apporter à l’ambulance n°5 les blessés du col du Louchpach et de la région du col du Bonhomme. Je dois réquisitionner deux véhicules. Durant cette journée, le service des subsistances ignorant notre arrivée n’a pu nous donner ni pain, ni viande. J’ai dû y suppléer. 11 – 12 septembre. Séjour au Rudlin. 13 septembre. Départ pour Barançon. »
C’est dans l’une de ces formations sanitaires que meurent Marie Joseph LACOMBE, le 8 septembre, et Jacques Césaire ALBERT, le 15 septembre. Ils sont inhumés respectivement dans les tombes 18 et 15 proches de la chapelle. Marie Joseph LACOMBE repose maintenant à la nécropole de Saucly-sur-Meurthe.
Le cimetière A du Rudlin, dessiné par Marie Petitdidier (coll. part.)
Habeaurupt
Ces deux hommes n’ont pas été les seuls à mourir dans une formation sanitaire entre la zone des combats et Gérardmer : à Habeaurupt sont en effet décédés le sous-lieutenant Philippe GEORGES (le 7 septembre) et Pierre Joseph GARIOD (le 10 septembre, à présent à la nécropole de Saulcy-sur-Meurthe). Ils ont originellement été inhumés dans les tombes 167 et 166, situées derrière l’école.
L’école d’Habeaurupt (coll. part.)
Fraize
Enfin, pour ce qui relève toujours des lieux ayant accueilli des formations sanitaires, Fraize, le 29 mai 1915, émet une « Liste des soldats inhumés sur le territoire de la commune », qui fait un état des lieux des tombes de son cimetière communal et des tombes situées en dehors de celui-ci. Voici ce qu’il en ressort dans le détail, en commençant par les tombes du cimetière communal :
- RANGOT Jean, 133e d’infanterie (mort le 31 août, est toujours à Fraize)
- CLAUDE Ernest, capitaine, 133e d’infanterie (mort le 1er septembre, est toujours à Fraize)
- PRE Benoît, 133e d’infanterie (mort le 1er septembre, est toujours à Fraize)
- CARAT Joseph, 133e d’infanterie (mort le 2 septembre, est toujours à Fraize)
- MOREL Joseph, 133e d’infanterie (mort le 2 septembre, est toujours à Fraize)
- TISSOT Charles, 133e d’infanterie (mort le 2 septembre, est toujours à Fraize)
- BOISSAVY Lucien, 133e d’infanterie (mort le 2 septembre, est toujours à Fraize)
- FESTAS Victor, lieutenant, 133e d’infanterie (mort le 3 septembre)
- GERMAIN Jean Jules, capitaine, 133e d’infanterie (mort le 6 septembre, est toujours à Fraize)
- BATTARD-BOSSET Jean, 133e d’infanterie (tué le 5 septembre, est toujours à Fraize)
- ROMANET Armand Louis, 133e d’infanterie (mort le 2 septembre, est toujours à Fraize)
- LIEVRE Joseph, 133e d’infanterie (mort le 6 septembre, est toujours à Fraize)
- LACOUR Jean, 133e d’infanterie (mort le 5 septembre)
- BALUSSEAU Marcel, 133e d’infanterie (mort le 8 septembre)
- MORICE Pierre, lieutenant, 133e d’infanterie (tué le 4 septembre, est toujours à Fraize)
Cette liste contenait en revanche des erreurs concernant les morts suivants, affectés à tort au 133e RI :
- TEMPERE Marcelin, 133e d’infanterie, Montbrison cl. 1913 – 1790 : du 13e BCA (mort le 1er septembre, est toujours à Fraize)
- DEVAUX Jean, 133e d’infanterie, Montluçon cl. 1911 – 28 : du 13e BCA (mort le 2 septembre, est toujours à Fraize)
- BOUQUET Pierre, 133e d’infanterie, Périgueux cl. 1911 – 852 : en fait BOUQUEY Pierre, du 13e BCA (mort le 2 septembre, est toujours à Fraize)
- VACHET Claudius, 133e d’infanterie, Chambéry cl. 1910 : du 13e BCA (mort le 1er septembre, est toujours à Fraize)
- COTTANCIN Jean, 133e d’infanterie, Montbrison cl. 1913 – 741 : du 23e RI (mort le 6 septembre, est toujours à Fraize)
- JAY Joannès, 133e d’infanterie : du 23e RI (mort le 6 septembre, est toujours à Fraize)
- RAVIER Joseph, 133e d’infanterie : du 23e RI (mort le 8 septembre, est toujours à Fraize)
Le cimetière communal de Fraize (coll. part.)
Quatre autres tombes se trouvaient hors du cimetière, à savoir celles de « 3 non identifiés du 133e RI » et celle de « BONDOUELLE, 133e d’infanterie » : ce dernier est vraisemblablement BRONDEL Elie, tué le 31 août, aujourd’hui à la nécropole de Saulcy-sur-Meurthe.
Au final, un point reste obscur, puisque le corps du lieutenant MORICE, signalé dans le cimetière de Fraize le 29 mai 1915, l’est également sur le champ de bataille de Mandray le 12 juin suivant. La dépouille une fois exhumée et transportée à Fraize, la croix qui ornait la tombe est-elle restée sur place, induisant l’auteur de la liste en erreur ? L’information a-t-elle été fournie par un habitant ? L’énigme, en l’état, reste entière.
Les faux espoirs des familles
Une chose est sure : en ce point du front comme en une multitude d’autres, de nombreuses familles ont espéré, entre septembre 1914 et l’établissement de ces listes, voire bien plus tard encore, que l’être aimé, dont nul n’avait plus de nouvelles, était en vie. Les fiches de renseignements du Comité International de la Croix-Rouge sont, à ce titre, instructives, et sont aussi, hélas souvent, le miroir de la vaine attente des proches, comme nous pouvons le voir :
- ARNAUD Pierre Joseph, de la 7e compagnie, n’a plus donné de nouvelles depuis son passage en Alsace. Quoique porté sur la liste de Saint-Léonard, le 29 mai 1915, et enterré à Bellegoutte, il fait l’objet d’une tragique méprise : il est confondu par la Croix-Rouge avec un homonyme du même régiment, natif de Haute-Loire et fait prisonnier le 1er juin 1918 dans l’Aisne, qui rentrera de captivité le 8 décembre 1918. La famille du tué du 7 septembre 1914 avait-elle espéré durant tout ce temps ? Toujours est-il que la fiche de renseignements de la Croix-Rouge, au sujet de la captivité qui en concernait un autre, porte la mention finale « Communiqué famille. 14.11.18 »…
- BERLION-MARASSAT Jean Marie, de la 5e compagnie, qui n’avait pas donné de nouvelles depuis le 20 août, « blessé le 5 septembre au combat de Soly [sic, pour Saulcy] et disparu », sera finalement retrouvé mort, et inhumé à la nécropole de Saulcy-sur-Meurthe.
- BERTHAUD Claude Camille, de la 7e compagnie, « disparu les premiers jours de septembre, présumé blessé », a été tué le 7 septembre et repose aujourd’hui à la nécropole de Saulcy-sur-Meurthe.
- BOULDOIRES Pierre, de la 10e compagnie, dont un avis officiel a informé la famille qu’il avait été « blessé aux combats des cols des Journaux et de Mandray du 30 août au 10 septembre 1914 », a été tué le 8 septembre et est à présent à la nécropole de Bertrimoutier.
- BRONDEL Elie, de la 2e compagnie, « disparu le 31 août, combat de Mandray », a bel et bien été tué ce jour, et repose maintenant à la nécropole de Saulcy-sur-Meurthe.
- CUILLERIER Etienne Lucien Auguste, sous-lieutenant de la 4e compagnie, « disparu le 3 septembre 1914 près du col des Journaux », a effectivement été tué à cette date.
- DELORME Hector Joseph, arrivé au 133e RI le 12 août 1914, « disparu depuis fin août », voit sa mort confirmée par avis ministériel du 21 novembre 1915 et avis du régiment du 9 janvier 1916 ; primitivement inhumé sur le territoire de Ban-de-Laveline, il est à présent à la nécropole de Bertrimoutier.
- DUMONT Amédée Joseph, qui « aurait été blessé dans les Vosges avant le 25 août 1914 » et dont le « dépôt télégraphie qu’il n’a sur lui aucune nouvelle officielle », tué le 30 août, repose à la nécropole du Ban-de-Sapt.
- FAMY Jean Marcel, dont les dernières nouvelles remontent au 15 août, a été tué le 1er septembre à Saulcy-sur-Meurthe, et est aujourd’hui à la nécropole de Bertrimoutier.
- FAUGERON Michel Marius, de la 11e compagnie, qui n’a donné aucune nouvelle depuis la mobilisation, tué le 7 septembre et enterré à Bellegoutte, repose maintenant à la nécropole de Saulcy-sur-Meurthe.
- GENESSAY Julien Paul, lieutenant à la 7e compagnie, « blessé entre le 30 août au 10 septembre » [sic], originellement enterré dans le cimetière communal d’Anould et signalé comme tel par cette commune le 1er juin 1915, a regagné son lieu de naissance de Viriat, dans l’Ain.
- GENIN Hippolyte, de la 9e compagnie, « disparu vers le 31 août au col des Journaux (Alsace) » [sic], a en fait été tué le 30 août, et repose à la nécropole de Bertrimoutier.
- GEOFFRAY Gaston Claude, de la 12e compagnie, « disparu à Mandrès [sic] (Vosges) le 31 août », comme tel a en effet été le cas, a été inhumé à la nécropole de Bertrimoutier.
- GIRIER Louis, de la 11e compagnie, « blessé le 7 septembre, combat Fraize (Vosges) (selon le dire d’un camarade) », a bel et bien été tué ce jour, et est aujourd’hui à la nécropole de Saulcy-sur-Meurthe.
- HUDRY François, de la 12e compagnie, dont la fiche portait la mention « inconnu » dans la rubrique « date et lieu de la disparition, blessure ou internement », a été tué le 7 septembre, et est à présent à la nécropole de Bertrimoutier.
- LACHIZE Joseph Emile, de la 4e compagnie, « disparu le 5 septembre », a été tué ce jour, et repose à la nécropole de Saulcy-sur-Meurthe.
- LAMBERT Fernand Etienne, de la 5e compagnie, « disparu le 1er septembre 1914, combat de Saulay [sic], blessé », est associé dans les recherches de la Croix-Rouge à un homonyme – fait prisonnier – du 33e RI sur une liste en date du 24 octobre 1914, puis le 3 mars 1915 ; tué le 1er septembre, il est inhumé à la nécropole de Saulcy-sur-Meurthe.
- METRAL Joseph, de la 7e compagnie, « disparu » et « sans nouvelles depuis le 22 août 1914 », est assimilé à un homonyme du 133e RI de la classe 1913, tué à Cernay le 10 août 1914 ; tombé le 7 septembre à Bellegoutte et figurant sur la liste du 29 mai 1915 de la commune de Saint-Léonard, il est aujourd’hui à la nécropole de Saulcy-sur-Meurthe.
- MONNERET César Auguste, « blessé et disparu depuis le 30 août dans les Vosges », a été tué le 3 septembre, et repose à la nécropole de Bertrimoutier.
- PEGON Jean Baptiste Lucien, de la 7e compagnie, « disparu le 2 septembre à Sauley [sic] sur Meurthe (Vosges) », a été tué ce même jour, et se trouve aujourd’hui à la nécropole de Saulcy-sur-Meurthe.
- PEULET Louis, de la 6e compagnie, « blessé le 30 août, combat du col des Journaux et fait prisonnier », est tombé le 7 septembre devant Contramoulin, figure sur la liste de Saint-Léonard, et est à la nécropole de Saulcy-sur-Meurthe.
- RAMBAUD-RAFFINET Eugène, de la 5e compagnie, « disparu aux environs du 2 septembre, combats d’Alsace », a été tué le 1er septembre, et repose à présent à la nécropole de Saulcy-sur-Meurthe.
- ROCHARD Pierre, de la 9e compagnie, « disparu le 5 septembre 1914 aux col des Journaux, Vosges, bois de Mandray », a effectivement été tué ce jour, et est maintenant à la nécropole de Bertrimoutier.
- ROYER Eugène Antoine, « blessé combats du 30 août au 10 septembre au col des Journaux », y a été tué le 31 août, et repose à la nécropole de Ban-de-Sapt.
- RUBIN Jean Marie, n’ayant plus donné de nouvelles depuis le 21 août, est mort le 8 septembre, et a été inhumé à la nécropole de Saulcy-sur-Meurthe.
- SOUPE Jean, « disparu le 30 août 1914 au col des Journaux et de Mandray », a bel et bien été tué ce jour, et repose à la nécropole de Bertrimoutier.
- SOURLLY dit SORLIER Etienne, de la 4e compagnie, « disparu le 1er septembre », est associé par la Croix-Rouge à Aimé SORLIER, du 133e RI, fait prisonnier à Cernay, renseignement communiqué à sa famille le 8 juin 1915 ; tué le 1er septembre, il est aujourd’hui à la nécropole de Bertrimoutier.
- VERNE Marie Jules, de la 2e compagnie, « disparu du 30 août au 10 septembre au col des Journaux », a été tué le 3 septembre, et est à présent à la nécropole de Bertrimoutier.
- VIGNAND Marius Alfred Frédéric, « disparu du 25 août au 16 septembre 1914 au col des Journaux ou Saint-Léonard », qui figure sur la liste de Saint-Léonard, est tombé à Bellegoutte ; sa fiche de décès et son acte de décès datent et localisent cependant sa mort au 15 septembre, à la Fontenelle.
Les inconnus
Si ces recherches, malgré bien des vicissitudes, ont souvent été bien orientées – en ce qui concerne la date de la disparition des intéressés surtout – il est évident que nombreux sont ceux qui sont restés des « inconnus » lors des exhumations effectuées sur le terrain. Une fois le conflit achevé, et alors que les nécropoles sont constituées, autrement dit durant les années 1920, des interrogations se font jour quant à l’identité pouvant potentiellement être attribuée à certaines dépouilles. Vient alors le temps des « objets vitrine » et « objets caractéristiques ».
L’identification par les objets
Afin d’associer un nom à un corps, est publié à partir du 5 août 1922, sous l’égide du Ministère des Pensions, dans le Journal des Mutilés, Réformés et Blessés de guerre, un « Tableau par Secteur d’Etat Civil des objets recueillis sur les corps de militaires qui n’ont pu être identifiés jusqu’à ce jour et qui reposent dans des tombes individuelles exactement repérées. » Ce tableau, dont le contenu sera relayé par la presse locale et souvent affiché en mairie, « a été dressé par le Ministère des Pensions avec la collaboration de l’Œuvre Les Nouvelles du Soldat, 10, rue Laffitte à Paris, qui recrute les délégués officiellement agréés pour représenter les familles aux opérations du Service de l’Etat Civil et des sépultures militaires. Les familles qui croiraient reconnaître les objets indiqués comme ayant appartenu à un des leurs peuvent aller les voir au Bureau de l’Etat Civil du Secteur où ils sont actuellement déposés. Si les objets sont définitivement reconnus par elles, l’identification du décédé en résultera et les ayants droit pourront demander et obtenir la restitution gratuite du corps. » Pour ce qui concerne le 133e RI et ses pertes dans le triangle Fraize – la Croix-aux-Mines – Saint-Léonard, cette démarche incombe au Bureau de l’Etat Civil Militaire de Saint-Dié. Sur cette première liste figurent
Minces indices, inexploitables, et qui ont sans doute condamné ce malheureux à l’anonymat et à une inhumation définitive en ossuaire…
En lieu et place de « F.B. », il semble raisonnable de penser qu’il fallait lire « F.G. » : le sergent-fourrier François GIROUD, dont le décès a été fixé au 2 septembre, s’était marié à Pauline Boucher le 3 décembre 1910.
Sur la liste du 16 septembre 1922 figure ensuite :
Dans ce dernier cas, s’agit-il de Louis GIRIER, dont la fiche de décès et la transcription de l’acte de décès indiquent la mort au col des Journaux le 7 septembre ? Natif du Rhône et y résidant à la mobilisation, que faire alors de ce « Beaurepaire » ? Vouloir s’en tenir à un indice aussi ténu rappelle un passage de La Vie et rien d’autre :
« Exhibant un quart écrasé dont elle montrait le fond au militaire, elle prenait à témoin l’homme qui l’accompagnait.
– Demandez à mon frère, demandez-lui !…
[…]
– C’est sûr, voyez-vous, que c’est le gobelet de mon gars ! Son oncle peut le dire. (« Oui, oui », opinait le feutre.) Et la petite aussi.
Elle fit passer devant elle, collée à la table, une fillette au physique ingrat, minces lèvres sur le trou des dents. Elle aussi acquiesçait :
– Il nous l’avait écrit : « Comme nous voilà tranquilles, je me suis essayé à graver une marguerite au cul de mon quart. » C’est-y vrai ?…
« C’est vrai », confirmèrent la fillette et l’oncle d’un même mouvement de tête.
– Il voulait nous faire un vase dans une douille d’obus, comme ses camarades… mais avec ses grosses mains !… Pour s’essayer, il a commencé par ce gobelet.
Le sous-officier observait le trio, peu convaincu par la démonstration. Comprenant que leur patience l’emporterait sur la sienne, il céda dans un soupir et prit un bordereau posé sur la table, devant lui.
[…]
– J’oubliais… mais la fiancée de mon Jacques, elle s’appelait Marguerite. Ce serait bien la raison du dessin…
– La raison, oui, voilà, c’est la raison ! éructa l’oncle.
Le sergent reposa la liste, tira vers lui le registre d’enregistrement des pièces étiquetées.
– Bon ! Marchons… » (Jean Cosmos, La Vie et rien d’autre)
La Vie et rien d’autre, de Bertrand Tavernier
La réalité est plus prosaïque : dans l’annuaire du commerce Didot-Bottin de 1922 apparaît, à Beaurepaire, en Isère, l’horloger Girier. Peut-être est-ce en quête – qui sait ? – d’un résident isérois ou drômois qu’il faudrait alors se mettre. Vaste est le champ des possibles…
Conclusions
Moins hypothétiquement, quelles conclusions tirer de ce faisceau d’éléments ?
Entre le 30 août et le 10 septembre, les journées les plus meurtrières ont été le 7 septembre (14 décès), le 30 août (13 décès), le 2 et le 5 septembre (11 décès lors de chacun de ces deux jours), le 3 septembre (9 décès). Ces 58 décès en cinq jours représentent plus de 74% de l’ensemble des morts du 133e RI reposant encore dans les Vosges, c’est-à-dire 78 sur 89 des hommes que nous avons croisés dans cette étude.
Voyons à présent où reposent les morts de ces cinq jours de combat.
Pour le 7 septembre :
Sur 14 morts, 10 ont été regroupés à la nécropole de Saulcy-sur-Meurthe, 1 est à la nécropole de Bertrimoutier, 1 à Fraize, 1 à Gérardmer, 1 restitué. 8 d’entre eux sont tombés près de Saint-Léonard.
Pour le 30 août :
Sur 13 morts, 6 (dont 5 officiers) se trouvent à la Croix-aux-Mines, 4 à la nécropole de Bertrimoutier, 3 à la nécropole de Ban-de-Sapt. 11 d’entre eux sont tombés au col des Journaux.
Pour le 2 septembre :
Sur 11 morts, 5 sont à Fraize, 4 à la nécropole de Saulcy-sur-Meurthe, 1 à la nécropole de Bertrimoutier, 1 restitué. 6 d’entre eux sont morts dans une formation sanitaire (hôpital ou ambulance).
Pour le 5 septembre :
Sur 11 morts, 2 sont à la nécropole de Saulcy-sur-Meurthe, 2 à la nécropole de Bertrimoutier, 2 à la nécropole de Saint-Dié, 2 à Gérardmer, 1 à Fraize, 1 à Plainfaing, 1 restitué. Leur nombre se répartit équitablement entre les tués au combat et les morts en formation sanitaire.
Pour le 3 septembre :
Sur 9 morts, 6 sont à la nécropole de Bertrimoutier, 3 ont été restitués. 8 d’entre eux sont tombés au col des Journaux ou environs.
Au final, sur 89 identifiés, en mettant à part 11 restitués, restent 78 morts : 53 reposent dans une nécropole, soit près de 68% d’entre eux. Le carré de la Croix-aux-Mines, qui abrite 5 officiers, reste un cas à part dans ce grand rassemblement d’après-guerre qui a consisté, lors de la création des nécropoles, à regrouper cette effrayante cohorte de frères d’armes. Ces combattants de l’Ain, du Rhône, des Alpes mais aussi de Charente, de Dordogne, voire de l’Aveyron, se côtoient aujourd’hui comme ils se côtoyèrent au combat, dans les rangées de ce que Lord Byron, le premier, a nommé « les cités silencieuses des morts », eux qui sont restés en ces lieux dont ils ont payé la défense de leur vie, et qui conservent ainsi, c’est bien le moins, leur souvenir.
Nos sincères remerciements à Marie Durlewanger.
Bonjour Philippe
Magnifique travail, merci de le partager…
Philippe
Merci Philippe. Je transmets à Eric. Je sais que vous avez vous même contribué à un important travail sur les morts pour la France du 133e RI :
https://www.lebugey.org/le-133eme-regiment-d-infanterie-de-belley/liste-des-morts-pour-la-france-du-regiment-introduction