La défense victorieuse de Battant de Bourras (2/3) : le combat

Dans la nuit du 14 au 15 mai 1915, les Bavarois tentent un coup de main contre le hameau de Battant de Bourras, poste quelque peu isolé et occupé par une escouade française du 133e RI. Sous l’impulsion du sergent Dumas, les poilus vont résister avec acharnement et repousser un ennemi en bien plus grand nombre. Après les préliminaires de l’article précédent, c’est la défense victorieuse de Battant de Bourras, qui s’est déroulée il y a exactement 105 ans, que retrace cet article.

(Cet article fait suite au premier épisode : préliminaires)

Photo aérienne (1918) du secteur de Battant de Bourras

La résistance victorieuse du 15 mai 1915

Outre les témoignages présentés dans le prochain article, les événements de cette nuit sont longuement décrits dans l’historique du 133e RI ainsi que dans les Journaux de Marche du régiment, de la 82e brigade et mentionnés dans ceux de la 41e division et VIIe armée. Plusieurs éléments varient en fonction des sources, mais en voici les principales phases.

La relève

Depuis le 29 avril 1915, des escouades de la 1ère compagnie du 1er bataillon du 133e RI se relaient à Battant de Bourras, avant-poste isolé à quelques centaines de mètres en avant des lignes françaises, situé face aux lignes Allemandes et occupé depuis janvier par les Français. Dans cet hameau de plusieurs maisons, les français n’en occupent que deux en aménageant leur défense : fenêtres condamnés, murs crénelés, caves aménagées…

La relève vient d’être effectuée le soir et un premier poste est occupé par un sergent (Dumas) et 8 hommes (Tissot, Géranton, Berard, Feldbinger, Mathieu, Magin, Dumoulin et Comte – d’après les écrits du soldat Comte).  Plus loin (deux cents mètres d’après Louis de Corcelles et Comte), une deuxième maison est occupée par un caporal et quatre hommes. L’escouade est familière du lieu puisqu’il alterne les gardes à Battant de Bourras avec l’arrière. Les hommes sont au premier étage de la maison, une sentinelle se tient à l’extérieur. Une patrouille surveille deux fois par nuit le chemin qui mène du poste jusqu’aux premières tranchées françaises.

L’alerte

A une heure du matin, la sentinelle entend marcher et lance un appel dans la nuit. Aucune réponse. Quelques minutes plus tard, même alerte. Cette fois-ci, le sergent ordonne à la sentinelle d’ouvrir le feu. Un coup de feu répond à la sentinelle et le blesse à la cuisse. Il parvient à se traîner à l’intérieur du poste. Un détachement de Bavarois – on ne saura combien ils sont – vient de s’infiltrer en déplaçant les chevaux de frise, puis en passant entre le hameau et les positions de Gemainfaing, pour mener enfin son coup de main par l’arrière, via le boyau d’approche.

La suite montre que le détachement ennemi cherchait à prendre le poste par la ruse : l’attaque par l’arrière comme s’il était la patrouille française, des ordres donnés en Français, la présence de ficelle dans les objets retrouvés le lendemain, utile pour ligoter les occupants du poste.

La fusillade

Une fois le coup de feu tiré, c’est une fusillade intense qui se déclenche. Les Allemands chercher à faire irruption dans la maison. Les français les repoussent à coups de grenades lancés du premier étage.

Les combats durent plusieurs dizaines de minutes. Un homme – le sergent d’après l’historique, le soldat Comte d’après son propre témoignage – monte sur le toit de la maison et utilise la corne fourni par le lieutenant Cornet-Auquier pour sonner l’alerte. Celui-ci entend l’appel au secours et contacte tout de suite par téléphone le 2e bataillon pour mobiliser le peloton en réserve.

La retraite

L’un des projecteurs français installés au Ban-de-Sapt (notamment sur la cote 583 au-dessus de Gemainfaing), photographié par le docteur Joseph Saint-Pierre.

Les projecteurs français positionnés au niveau de la cote 583 au dessus de Gemainfaing éclairent le poste. Les Allemands sont surpris, à la fois par la résistance rencontrée et par l’exposition aux projecteurs. Ils battent rapidement en retraite sans laisser d’hommes sur le terrain, mais une partie de leur matériel et armes. On trouvera la ficelle, des haches, des munitions.

Le peloton de réserve de la 7e compagnie est mobilisé mais n’a pas besoin d’intervenir. Il relèvera simplement le détachement après l’attaque. Côté français, deux hommes sont blessés grièvement et un plus légèrement (sergent Dumas).

Félicitations

La résistance acharnée vaut au sergent et à ses hommes une pluie de félicitations, jusqu’à au général de Maud’huy, commandant la VIIe Armée. Les hommes sont cités à l’ordre du régiment le 30 mai 1915. La citation de Comte est :

Dans la défense d’un petit poste avancé, assaillis par des forces dix fois supérieurs, ses camarades et lui ont contribué par leur énergie leur sang froid et leur courage à intimer l’ennemi par la résistance faite et l’obligeant à se retirer.

Après l’échec du coup de main

Nouvelle tentative allemande

Après l’échec du coup de main, les Allemands tentent d’approcher à nouveau l’avant-poste français le 22 mai 1915. Le caporal Louis de Corcelles écrit ainsi à sa mère :

Avant-hier, pendant la nuit, alerte au poste du B. de B. Les 4 sentinelles entendent distinctement le toc-toc que font les pinces coupant le fil de fer des chevaux de frise et le frou-frou des pas dans l’herbe haute. Immédiatement on se place aux créneaux de combat, je fais faire un feu de 4 cartouches à mes huit hommes ; puis tout se calme. Dix minutes après, à deux heures du matin, on entend le cri du coucou partant de deux endroits assez éloignés l’un de l’autre et fort gauchement imité. C’était une patrouille allemande de reconnaissance.

Nous avons fait du hameau un réduit inabordable : ceinture de chevaux de frise, trois maisons fortes maintenant.

Le 25 mai 1915, les sentinelles de Battant de Bourras remarquent un rassemblement dans le village de Launois (peut être la préparation d’un nouveau coup de main ? ), non loin de là. Un projecteur est dirigé vers le groupe allemand, qui se disperse, non sans tirer abondamment vers le projecteur.

Battant de Bourras pendant les jours du 22 juin, 8 juillet et 23 juillet 1915

Lors de l’attaque surprise allemande du 22 juin qui lui permet de conquérir la cote 627, le poste ne semble pas être une cible allemande, comme ne l’est pas Gemainfaing et la Cote 583. Le poste, pourtant vulnérable, ne tombe pas.

La contre-attaque française victorieuse du 8 juillet permet de dégager la position et de s’installer devant Launois. En construisant des boyaux d’approches à partir du poste, les Français parviennent lors du deuxième assaut du 23 juillet à occuper une partie de Launois et à écarter définitivement Battant de Bourras de tout nouveau coup de main jusqu’à la fin de la guerre.

Dernières mentions

Les unités continuent de se relayer sur le poste à intervalles réguliers. Dans ses carnets publiés par son arrière-petit-fils Eric Mansuy, le sergent Georges Curien du 43e régiment d’infanterie territorial écrit :

Le 27 [juillet 1915], nous allons ma section et moi occuper une position plus avancée, le Battant de Bourras. Nous sommes dans trois maisons crénelées et entourées de fils de fer. Nous devons y rester jusqu’au 10 août.

Le poste est aussi aménagé pour renforcer la défense du secteur. Le capitaine Piébourg du 133e RI qui prend le commandement de la compagnie de mitrailleuses après la reprise de La Fontennelle, s’investit dans ces aménagements. Le 20 décembre 1915, il notera sa visite au poste dans son carnet :

Je vais dans l’après-midi à Battant de Bourras et au Bois Ducos pour examiner de ces points les pentes Nord de 583 où je suis allé hier soir et me rendre compte exactement du terrain, pour la construction des blockhaus. Le sous-lieutenant B., de la 9e, qui occupe Battant de Bourras, me demande mon avis pour compléter l’organisation du Bois Ducos. Quand la nuit tombe, nous examinons le problème. Je lui indique un procédé assez simple dont j’ai eu l’idée pour permettre de se rendre compte de la forme du terrain la nuit et savoir si les balles le raseront : envoyer un homme dans la direction que l’on veut battre de ses feux ; le faire ensuite marcher sur soi, avec une lampe électrique de poche qu’il maintient au ras du sol (en masquant la lumière, bien entendu, aux vues de l’ennemi). On reste soi-même à l’emplacement choisi pour la tranchée à édifier et l’on met la tête au ras du sol. Si on voit la lumière tout le temps, c’est qu’il n’y a pas d’angle mort.

Avec le calme du secteur jusqu’à la fin de la guerre et des positions françaises en avant du hameau, dans une partie de Launois, Battant de Bourras reste français jusqu’à la fin de la guerre.

Prochain épisode : les témoignages

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