En 1915, la lutte contre la typhoïde, « maladie des mains sales »

Alors que le monde fait face à la pandémie du coronavirus et que le gouvernement français vient de renforcer les mesures de confinement, c’est l’occasion de rappeler la lutte qui s’engagea en 1915 contre la typhoïde, la « maladie des mains sales« , et que le journal de marche du 133e RI évoque rapidement. Un épisode moins connu que celui de la grippe espagnole de 1918.

La Typhoïde

La fièvre typhoïde est une infection potentiellement mortelle due à la bactérie Salmonella typhi (et diffère donc du Covid-19, qui est un virus). Elle se propage habituellement par l’eau ou les aliments contaminés. Les symptômes sont les suivants : fièvre prolongée, fatigue, céphalées, nausées, douleurs abdominales, constipation, diarrhée et parfois éruption cutanée. Dans les cas sévères, elle peut entraîner la mort.

Aujourd’hui, la prévention passe par un accès à l’eau potable et à des services d’assainissement suffisants, l’application des règles d’hygiène par ceux qui manipulent la nourriture et la vaccination antityphoïdique. Le lavage des mains est aussi clé pour limiter sa propagation. Au début de la guerre, avec l’apparition des tranchées et leurs conditions d’hygiène déplorables, on peut imaginer le défi qui se pose aux armées quand la typhoïde frappe durement les troupes.

La (grande) guerre contre la typhoïde

France 3 a diffusé en 2015, pendant le centenaire, un petit documentaire fort intéressant sur la bataille qui fut menée contre cette maladie qui ravage les unités à partir de novembre 1914 :

 

Maladie ancienne et bien connue des armées en campagne (la moitié des pertes de la guerre de Crimée  lui furent dues), elle avait reculé avec les mesures de prophylaxie prises au début de la IIIe république. Mais à partir de novembre 1914, la situation se détériore dans les armées avec la consommation d’eau non potable et l’état lamentable de l’hygiène dans les tranchées.

La réponse du service de santé est le vaccin antityphoïdique qui devient obligatoire, et se retrouve consigné dans un carnet. Ce vaccin faisait déjà l’objet de recherches et de mises au point avant la guerre, sous l’impulsion dès 1888 de l’élève de Pasteur, André Chantemesse et son élève, Fernand Widal, puis du médecin militaire Hyacinthe Vincent  à partir de 1910. Des tests ont lieu en 1910 parmi les troupes d’Afrique du Nord.

Le vaccin fait néanmoins peur car les rumeurs quant à ses effets secondaires sont nombreuses. Les vaccins ont toujours inspiré la crainte, et dans le cas présent, les réactions passées chez les anglais n’ont pas été anodines … Il est néanmoins administré dès 1915 à l’ensemble des hommes et cette politique énergique jugule victorieusement la typhoïde sur le front occidental jusqu’à la fin de la guerre.

Le vaccin s’améliore durant la guerre, en associant au vaccin contre la Salmonella typhi, ceux contre les Salmonella paratyphi A et B, pour former le vaccin TAB, administré aux armées à partir de 1916. Les statistiques établies par le ministère de la guerre indiquent dans la zone des armées, durant les cinq derniers mois de 1914, 45 078 cas de fièvre typhoïde, avec 5 479 morts. Durant toute l’année 1917, il n’y eut plus que 1 678 cas avec 124 morts.

La campagne de vaccination des 133e et 23e régiments d’infanterie

Dans le journal de marche du 133e régiment d’infanterie, la vaccination contre la fièvre typhoïde est mentionnée rapidement. Pour le 1er bataillon (Barberot), il a lieu 31 mars. Après la période éprouvante de février-mars 1915 où Barberot reçoit le commandement de la Fontenelle et où son bataillon glisse de l’Ormont vers la Cote 627 pour contenir la contre-attaque allemande du 9 février, l’unité est relevée le 25 mars pour cantonner au château d’Etival où il peut se reposer avant de recevoir la « piqûre ». Le 29, l’opération de vaccination commence pour tout le régiment suivant les modalités reprises dans le JMO :

En exécution de la note n°63 T/1 du 22 mars 1915, de Mr le général commandant le détachement d’armée des Vosges, le régiment sera vacciné contre la fièvre typhoïde, par bataillons successifs de manière à avoir toujours deux bataillons disponibles.
Cette opération commence aujourd’hui par le 2e bataillon et sera continuée dans l’ordre ci-après :
1er bataillon, 3e bataillon, compagnie HR et compagnie de mitrailleuses à 2 jours d’intervalle.

L’écart de 2 jours qui est indiqué est la durée pendant laquelle les hommes sont souvent terrassés par l’injection. En procédant par bataillons entiers avec cet espacement, on maintient l’objectif de deux au moins d’opérationnel.

Parmi les différents témoignages du 133e RI, le sujet est absent. Peut être un événement de peu de poids et associé au repos, après une période d’intenses combats, ou un mauvais souvenir collectif rapidement oublié. Ou tout simplement une campagne de vaccination qui s’était bien passé… Le soldat comte du 133e RI rapporte néanmoins dans son journal :

Le 29 mars, 5 avril, 12 avril, 20 avril, vaccination antityphoïdique, ce qui nous a même très fatigué.

Le 23e RI

Pour le 23e RI, il y a quelques témoignages des médecins et brancardiers. Le docteur Frantz Adam écrit sobrement dans son ouvrage « Sentinelles … Prenez Garde à Vous … » paru en 1933, page 53 :

Le premier mai on nous envoya à l’arrière pour être vaccinés contre la fièvre typhoïde.

Le journal de marche du 23e RI détaille les opérations de vaccination par bataillon :

  • Le 1er bataillon le 2 puis le 9 mai (2e injection)
  • Le 2e bataillon le 4 mai puis le 11 et le 18 mai (la 2e injection est peut être étalée entre les hommes, car il n’y a pas de 3e injection). 
  • Le 3e bataillon le 6 mai puis le 13 et 20 mai
  • Les « hors rang » le 12 mai pour une 2e injection (la 1ère n’est pas mentionnée)

Loys Roux, prêtre-brancardier-photographe du « régiment des photographes » va, comme Frantz Adam, immortaliser plusieurs séances de vaccinations anti-typhoïdiques du 23e RI, régiment-frère du 133e. La première se situe à l’école de la Pêcherie (aujourd’hui maison de quartier) le soir du dimanche 16 mai 1915. Loys Roux photographie Frantz Adam alors que celui-ci vaccine un brancardier puis le vaccinateur photographie le vacciné vaccinant une jeune fille, peut-être l’institutrice du lieu. Dans son journal, Loys dit :

Soir vaccination (..) j’ouvre les tubes de vaccin.

Le lendemain, il déclare :

Pluie, froid. Je suis plus fatigué de la vaccination. Mais grâce à une couverture supplémentaire, j’ai eu chaud. En général, tous sont fatigués, quelques-uns beaucoup.

Loys diffère ici dans son astuce pour passer la vague « post-opératoire » d’Emile Chartier, dit Alain, qui lui déclare quant à lui dans ses souvenirs (page 179) qu’après l’injection il faut « boire à mort et dormir 24 heures ». Le régiment sera à nouveau vacciné le 29 octobre 1916 au camp de Haut Battis en Argonne. Loys commente à cette deuxième occasion :

L’une des innombrables séances de vaccination anti ou para-typhoïdique. Le service de santé perdit complètement la tête au grand dam des poilus.

Frantz Adam vaccine un soldat du 23e RI
(Cliché Loys Roux, fonds Jean-Louis Suchel/Edhisto)
Le vacciné vaccine une jeune femme, peut-être l’institutrice
(Cliché Frantz Adam, fonds AFP/Arnaud Bouteloup)

Le médecin Joseph Saint-Pierre donne un témoignage plus douloureux. Il écrit le 1er juin 1915 :

Vaccination … Je me fais vacciner pour donner l’exemple. Mais au lieu du repos prescrit avant et après, je viens d’exécuter une marche de plusieurs heures. Puis aussitôt après l’injection, les Boches attaquent. Je dois courir de tous côtés. Je me porte au bois du Cerisier, en 1ère ligne … Là, ça claque bien et dur … Je me sens malade : frisson, vomissement … Tant pis, je continue …. Je grimpe la côte qui me sépare du bois en y vomissant à droite et à gauche … Cette côte ou colline, face aux Boches, est une vraie butte de tir. Les balles coupent les ailes de sapins à droite et à gauche de ma tête … Je continue et j’arrive en haut … Revenu au poste de commandement, je m’étends, malade comme un chien … fièvre de cheval. Le vaccin m’a fauché littéralement.
(Dominique Saint-Pierre, La Grande Guerre entre les Lignes, M&G Editions, 2006, page 404)

La date du 1er juin ne semble pas exacte, mais cette partie du témoignage est rédigée bien plus tard. Peut être les personnels de santé sont vaccinés séparément et à d’autres dates… Il n’en demeure pas moins que les suites de l’injection le mettent à plat. Le 21 juin, il indique dans son journal qu’il est toujours fiévreux … Le 22 juin, alors que débute l’attaque allemande sur la Fontenelle qui verra tomber la Cote 627 entre leurs mains, il sera couché, toujours terrassé par la température. 

4 Commentaires

  1. […] inédite de confinement et d’attente, c’est l’occasion idéale – après l’article consacré à lutte contre la typhoïde – d’évoquer la guerre des mines que se livrèrent Allemands et Français durant […]

  2. Bonjour aux lecteurs de ce blog,
    J’ai revu et enrichi cet article après sa publication, notamment grâce aux apports de Yann Prouillet d’Edhisto, et la prise en compte du commentaire de Dominique Saint-Pierre.
    Bonne lecture.

  3. Saint-Pierre Dominiquedit:

    Bonjour
    Intéressant
    Pour la vaccination des 23 et 133 RI, voir La guerre entre les lignes, 1er juin 1915, Joseph journal, et suite.
    le docteur Joseph SP, qui ne s’est pas reposé, après s’être fait vacciné pour donner l’exemple, a été malade et a du quitter le front.
    Bien à vous

    1. Merci monsieur,
      Je n’ai effectivement pas recherché dans la Guerre entre les Lignes, mais je vais rajouter votre référence dans l’article. J’avais trouvé une petite mention dans « Sentinelle, prenez-garde » du docteur Adam, pour le 23e RI. Je vais le rajouter aussi.
      Bien à vous

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