Dans les Annales de l’Ain consacré à l’année 1915, un long article d’Alain Gros est consacré à plusieurs écrivains de la Grande Guerre. Parmi eux, un officier du 133e RI, le commandant Jacques Piébourg. En écho à cet article, voici un résumé du parcours de cet officier tombé le 18 août 1918.
Né le 16 février 1879 à Fontainebleau, Alfred Jacques Marie Pierre Piébourg est issu d’une famille bretonne, avec toutefois un grand-père maternel alsacien, juge à Strasbourg. Son père est officier. Il réside à Brest lorsqu’il intègre l’école militaire spéciale de Saint-Cyr en 1899. Sorti 438e sur 546 élèves en 1901 (promotion IN SALAH), il rejoint comme sous-lieutenant le 133e RI en 1901 à Belley. Il passe lieutenant en 1903. En 1904, il épouse Louise Lorette, dont il aura deux filles. Il réside notamment au Fort de Pierre-Châtel, de 1908 à 1910. Pendant cette période, le lieutenant fréquente les autres officiers, dont le capitaine Barberot.
Il participe à l’offensive d’Alsace début août 1914 au sein du 2e bataillon du 133e RI. Il passe par ailleurs capitaine le 10 de ce même mois et prend le commandement de la 6e compagnie (appartenant au 2e bataillon, commandé par le chef de bataillon Baudrand). Lors de la bataille des cols, il est blessé le 1er septembre par un tir d’artillerie, soigné d’abord par le médecin Joseph Saint-Pierre, évacué ensuite vers l’hôpital de Gap, puis en convalescence à Belley (sa femme s’est engagée comme infirmière). Pour son action lors de ces combats, il reçoit le 13 novembre une citation à l’ordre de l’armée. Il repart au front le 24 octobre et rejoint le régiment dans le secteur de La Fontenelle. Le 30 décembre 1914, il est nommé chevalier de la Légion d’Honneur. Il participe aux différents combats qui vont marquer le premier semestre 1915 : échec de l’offensive de fin janvier 1915 et lutte pour conserver le sommet de la cote 627, offensive sur la cote 830 et la vallée de Metzeral en juin 1915, reprise de La Fontenelle après l’attaque surprise du 22 juin 1915…L’historique du 133e l’indique comme commandant la compagnie de mitrailleuses du régiment, le 7 juillet.
Le 10 mars 1916, il passe capitaine adjudant major au 1er bataillon du 133e RI. Il est engagé dans l’offensive de la Somme en juillet 1916. Il reçoit une citation à l’ordre du régiment le 3 juillet, prend le commandant du 3e bataillon, puis reçoit une autre citation un peu plus tard, après avoir été blessé par un coup de feu au thorax :
« Le 30 juillet 1916, malgré un tir de barrage des plus violents, est parti à l’attaque à l’heure fixée, avec un enthousiasme tel qu’en vingt minutes, il avait, seul de la ligne, atteint ses objectifs et nettoyé la partie du bois de Hem qui lui revenait. Malgré les pertes cruelles dues à de violentes contre-attaques convergentes qui absorbèrent ces premières vagues, se cramponna avec ténacité, bien qu’en flèche, au terrain conquis, et favorisa ainsi la progression de nos lignes les jours suivants. A été grièvement blessé. »
Le 25 mars 1917, il passe enfin chef de bataillon mais doit quitter le régiment en juin 1917, suite aux mutineries qui affectent fortement le 133e RI. Il rejoint le 10e régiment d’infanterie.
Le 18 août 1918, alors que la contre-offensive qui mènera à la victoire finale entraîne toute l’armée française dans une nouvelle guerre de mouvement, il mène avec son bataillon une attaque qui réussit avec brio. Il est malheureusement tué au moment où il examine le terrain pour une nouvelle progression.
Après la guerre, ses carnets sont publiés et un article élogieux est rédigé dans Ouest-Eclair le 5 février 1923, qui dresse finalement ce que l’homme était au quotidien. Un officier humble, qui aimait avant tout son métier et ses hommes :
D’où vient qu’en lisant la très simple biographie du commandant Piébourg, j’ai ressenti une admiration plus parfaite et une émotion peut-être plus profonde que ne m’en avaient communiquées d’autres innombrables ouvrages de même nature ? C’est que j’ai reconnu dans ce modeste officier commandant le type accompli du chef à la grande façon de France. Nous ne sommes pas aveugles sur les qualités de certains capitaines d’Allemagne ils ont leur génie, leur courage, leur ténacité, leur sens de la discipline. Mais toutes ces qualités ont quelque chose qui nous heurte ou nous froisse et qui nous retient de leur accorder le beau nom de mérites. Il y a dans leur génie, une part mécanique et systématique, alors que celui de notre race est fait surtout de prompte et souple intelligence. Il y a dans leur courage un fonds de férocité, d’orgueil de race et de caste, alors que nous voulons que le nôtre garde un air chevaleresque et un fond généreux. Ils se plient à la discipline, alors que nous aimons que l’homme y adhère par raison et l’accepte par vertu. L’esprit diffère entre eux et nous, non moins que le cœur, et notre plus grande fierté est de nous sentir plus pleinement humains.
Le commandant Piébourg est animé par deux sentiments magnifiques : il aime sa tâche, et il aime ses hommes. Dans cette vie si dure des tranchées, il ne néglige aucune occasion de se perfectionner. Non par orgueil, ni par désir d’arriver, mais pour mieux servir. Il sait reconnaître les supériorités de l’ennemi, lorsqu’elles existent : supériorités d’outillage aussi bien que d’organisation. Cette constatation ne lui inspire aucun découragement, mais la volonté d’un effort mieux adapté. Les fautes ou les erreurs de notre commandement ne lui échappent point et il ne cherche ni à les dissimuler, ni à les pallier, mais il ne se croit pas pour autant délié du devoir de l’obéissance stricte. Je ne dis point passive, car elle ne l’est en aucune manière – au contraire, active et volontaire. Surtout, il aime ses hommes, de l’amour le plus viril. Lorsqu’il s’agit de ses hommes, il est capable de tout, même de ce qui est le plus pénible à un soldat : de répondre : non à ses chefs. Plutôt que d’exposer inutilement un seul de ses hommes, il est prêt à donner sa vie – pis encore à encourir le blâme et peut-être une sorte de déshonneur. Le commandant Piébourg a le plus rare des courages : celui de prendre toute sa responsabilité.
Jamais je ne me serais douté avant la guerre de ce que peut être la difficulté créée par un ordre dont l’exécution ne paraît pas possible. J’ai été élevé dans les habitudes de la discipline passive de l’ancienne armée, je ne croyais pas qu’on pût être amené à élever la voix contre un chef. On ne peut pourtant pas, au nom de la discipline, laisser mettre en oeuvre des erreurs désastreuses. Que Dieu daigne m’éclairer et qu’il me donne la force de ne pas me plier, si tel est mon devoir, à l’exécution d’un ordre irréalisable. Il y a évidemment des cas où l’on doit sans hésiter exposer la vie de cinq cents hommes et il y en a d’autres où l’on n’a pas le droit de risquer l’existence d’un seul.
Ce que le commandant Piébourg n’ajoute pas, tant cela lui semble « aller de soi » , c’est qu’il n’a jamais exposé la vie de ses hommes sans exposer aussi la sienne. Cet amour pour le soldat, que celui-ci sait si bien sentir et rendre, ce fut la grande vertu des vrais chefs pendant la longue guerre. C’est elle qui fut le ciment moral qui maintint jusqu’au bout la cohésion et la volonté de vaincre de notre armée démocratique. Dans cette armée, le commandant Piébourg s’est appelé Légion. Aussi, quand ils tombaient, ils avaient cette incomparable gloire. la plus pure de toutes la seule qui ne puisse être usurpée d’être pleurés par leurs soldats. Nul témoignage ne vaut celui-là.