Dayet ! Dayet ! (2/2) : défendre la mémoire

(Cette deuxième partie « défendre la mémoire » fait suite à la première partie : « le héros de La Fontenelle« ).

Lorsque les hommes du 23e RI et 133e RI accompagnent le 3 février 1915 le lieutenant-colonel Dayet au cimetière de Saint-Jean d’Ormont, ils ne rendent pas un simple hommage à leur chef. Ils veulent exprimer leur fidélité à un officier qui les a conquis dès ses premiers jours de prise de commandement au col des Journaux, et leur ressentiment face à une mort jugée évitable. Tout au long de la guerre, dans leurs témoignages personnels comme dans leurs actions, ils ne l’oublieront pas. 

Aujourd’hui, la tombe offerte par ses hommes à leur chef a été fortement dégradée sans que le financement n’ait pu être trouvé depuis 20 ans. Avec Dayet, c’est la « deuxième mort » des poilus, celle des sépultures privées de « Morts Pour la France »  en déshérence et menacées, qui est posée. Mais récemment, des avancées ont été constatées dans ce dossier. Récit de cette mémoire qui n’a cessé d’être entretenue jusqu’ à ce jour.

(photo d’entête : les représentants de l’Amicale du 133e RI devant la tombe Dayet lors des célébrations de la victoire de la Fontenelle le 4 juillet 2025

Rien n’est oublié

Les suites de la mort de Dayet ne s’arrêtent pas au début février 1915. L’événement marque profondément les hommes de troupe et les officiers, et creuse un fossé avec le commandement supérieur, tenu responsable du désastre du 27 janvier. Plusieurs « secousses » ont lieu tout au long de la guerre.

Bourrage de crâne

Les communiqués et récits officiels tentent d’occulter les véritables circonstances de la mort de Dayet. Il y a d’abord une citation à l’ordre de l’armée, conférée à titre postume et publiée le 21 mars 1915 au Journal Officiel, qui ne trahit pas les circonstances mais, bien entendu, ne détaille pas les conditions réelles de cette mort :

DAYET (Emmanuel-Paul-Amédée-Louis-Alexandre), lieutenant-colonel commandant le 133e rég. d’infanterie : officier supérieur d’une haute valeur militaire et morale, chef de corps plein d’abnégation et de dévouement, s’est fait tuer, le 27 janvier, à quelques mètres des tranchées ennemies en donnant à tous le plus bel exemple de courage et de mépris du danger. 

Le Journal de l’Ain publie un article qui est repris par le Petit Comtois le 12 février 1915. C’est un récit bien loin de la réalité, mais peut-on penser qu’autre chose eut pu être publié ? 

Pourtant, les véritables circonstances sont diffusées par la troupe vers l’arrière, qui n’est pas dupe. La mère d’Amand Saint-Pierre écrit le 21 février 1915 sur un autre article, qui semble avoir été moins élogieux :

Avez vous lu sur les journaux divers articles sur le colonel Dayet ? Il n’y a pas un mot exact ! Nous en avons tous ri tellement c’est curieux. Mais quelle  belle vie que celle de cet homme et quelle belle mort. Quel héros sans peur et sans reproches. Or la version donnée ainsi : qu’ayant mené ses hommes trop imprudemment de lui-même prendre une tranchée imprenable et les voyant tomber de tous côtés, il avait pris une canne, allant sur la tranchée pour y mourir aussi – ce qui a été fait. 

La reprise de La Fontenelle le 8 juillet 1915

C’est encore la mémoire du lieutenant-colonel qui est « mise à l’honneur » lors de l’assaut du 133e RI pour reprendre les positions de la Fontenelle, tombées aux mains des Allemands le 22 juin précédent. Cette victoire est comme une vengeance de sa mort lors de l’échec calamiteux du 27 janvier.  Le docteur Frantz Adam écrit dans son livre de 1933, « Sentinelles … Prenez garde à vous … », comment son nom fut utilisé comme un cri de ralliement : 

Le colonel Dayet était un preux. Ses soldats l’adoraient et quand, en juillet 1915, le 133e se lancera à l’assaut de la Fontenelle, ce sera au cri de ralliement de « Dayet, Dayet » qu’il enlèvera brillamment (mais non sans pertes !), la position.

Les mutineries de 1917

Lors des mutineries de 1917 dans lesquelles le 133e et 23e RI prirent une part active, c’est au général Bulot que les mutins vont rappeler sa responsabilité dans la mort de Dayet. Confronté par ses propres troupes au Chemin des Dames qui le molestent, il est qualifié d' »assassin » et de « buveur de sang », et on lui dit sur la légion d’honneur qu’il porte : « votre décoration, c’est le cimetière de La Fontenelle ! ».

Figure d’après guerre

Après la guerre, le souvenir de Dayet ne s’éteint pas. Le 19 mai 1919, Joseph Saint-Pierre termine ainsi ses carnets :

Je quittais l’uniforme, mais, depuis, combien de fois ai-je pensé à la guerre 14-18 !
La guerre … cette école de l’homme, cette épreuve, où l’on apprend à le connaître :
Les chefs : les bons chefs, ceux qui sont dignes de ce nom. Qui dira les qualités splendides, l’ascendant moral d’un colonel Dayet, mourant « pour l’honneur » le 27 janvier 1915 … d’un capitaine Gaillard, tombé au moment où, rassemblant ses hommes, il criait « en avant » … d’un commandant Roullet, un saint en uniforme, sortant, à La Fontenelle, sous un déluge d’obus, se tenant calme sous cette tempête tandis que les éclatements faisaient, autour de nous deux, un splendide feu d’artifice …
Ce sont là des « patrons » qui rayonnent, qui émettent des vibrations dynamiques, perçues par les hommes, lesquels hommes les adorent et les suivent partout. Il existe aussi des chefs « neutre » que l’on suit parce qu’ils sont chefs, mais sans conviction. 
Il existe aussi, hélas, des chefs nettement mauvais : soit qu’ils soient déficients, insuffisants … soit qu’ils soient froussards, et cela existe … soit qu’ils soient injustes, partiaux ou parfaitement idiots … De ceux-ci, mieux vaut ne pas citer les noms. Ils ne méritent pas la postérité, même sous cette forme. 

Monument Dayet
La Croix Dayet photographiée en 2015.

Une croix « en dur » va ensuite être érigée après 1921 à l’endroit où Dayet tomba entre les lignes. Jean-Claude Fombaron, de la Société Philomatique Vosgienne, m’a transmis son histoire : cette croix en ciment du monument Dayet provient de la nécropole des Tiges où elle avait été dressée dès le début des premières inhumations sur le site. Remplacée par le monument en granit, elle a été transférée sur le cénotaphe de Dayet complétée par la plaque commémorative de bronze. Cette plaque a été scellée le dimanche 19 octobre 1929 par le président de la section vosgienne du Souvenir Français sur la croix fraîchement installée.

La croix associe à cette mort celle du capitaine Jean Burelle, tombé lui le 10 juillet 1915 lors de la prise de La Fontenelle. 

Restaurer la sépulture de Dayet

Tombe privée … de financement

Comme toutes les tombes exposées aux intempéries, la sépulture du lieutenant-colonel Dayet s’est dégradée avec le temps et son état nécessite une restauration. Or le statut de la tombe a posé très tôt la question de son financement, estimé à la somme actuelle de 10 000 € (ce qui est un montant conséquent). 

En 2005, lors d’un premier séjour, le lieutenant-colonel Jean-Louis Pierret, président de l’Amicale du 133e RI, avait constaté l’état dégradé de la tombe du colonel Dayet. Le maire de St Jean d’Ormont n’avait pas d’information sur cette tombe. L’Amicale avait alors pris contact avec le Souvenir Français au niveau départemental. Cette dernière avait répondu que cela n’était pas de son ressort, mais de celui du service des sépultures à Metz, car la tombe était dans un cimetière militaire. Ce dernier, interrogé, avait précisé ne pas s’occuper de cette tombe car c’était une tombe réalisée par la famille.

La « deuxième mort » des poilus

Il faut rappeler que dès 1915, la loi du 29 décembre institue une sépulture perpétuelle, aménagée et entretenue aux frais de l’Etat pour tout individu reconnu « Mort pour la France ». Cet entretien est fait dans les nécropoles nationales, ou les carrés dit « militaires » des cimetières communaux. Toutefois, face aux demandes des familles, l’article 106 de la loi du 31 juillet 1920 permit à ces dernières de récupérer le corps et de l’inhumer dans un caveau familial. Il était aussi possible de récupérer le corps pour une sépulture privée dans un carré militaire (on parle alors de carré mixte, comme c’est d’ailleurs le cas de la tombe du commandant Barberot). La contrepartie était un choix définitif et irréversible, et l’application du régime de sépulture privée. L’entretien est exclusivement à la charge des familles, et les concessions perpétuelles en déshérence, susceptibles d’être reprises par la commune. Les dépouilles sont alors transférées vers l’ossuaire municipal. C’est pour cela d’ailleurs que nous assistons depuis plus de 20 ans à la « deuxième mort » des poilus, la disparition massive des tombes individuelles privées de « Morts pour la France » dans les cimetières français. Un article du blog avait d’ailleurs soulevé ce problème pour la tombe de Louis de Corcelles. A la conférence Barberot du 11 juillet 2025, le sujet fut d’ailleurs largement débattu à la fin de la présentation (voir ici la séquence). 

Nouvelles tentatives

Le Souvenir Français a poursuivi ses efforts pour trouver une solution mais sans succès. En juillet 2016, lors des cérémonies au cimetière à l’occasion de la victoire de La Fontenelle auxquelles j’assistais, le sujet était évoqué par le chef d’escadron Albert Denizot, un des responsables locaux de l’association. Il terminait son intervention en évoquant la dégradation de la tombe du lieutenant-colonel Dayet, et le problème de son statut qui restait un obstacle majeur pour trouver une solution. A cette date, cette sépulture était toujours présentée comme privée, car érigée par sa famille après la guerre, son entretien n’incomberait pas à l’état.

C’est ce que m’a confirmé plus récemment Jean-Luc Depp, secrétaire du Souvenir Français, au Comité de Senones, que j’avais rencontré en juillet à la libraire de Salm. Lui même avait très tôt tenté avec Christian Harenza aujourd’hui décédé, de solliciter les autorités pour sa restauration. Mais il avait été répondu à Christian Harenza qu’il ne pouvait y avoir d’aide de l’État la tombe étant privée. Le financement direct par le Souvenir Français restait alors la seule éventualité. 

10 ans plus tard, le dossier n’a pas réellement bougé, jusqu’à récemment …

Tombe du lieutenant-colonel Dayet, pour lequel un projet de restauration est lancé (photo prise par Philippe van Mastrigt en 2016 lors de la 101e commémoration annuelle des combats de La Fontenelle).

Nouvelle donne sur le statut de la tombe de Dayet

Comme le démontre cet article, la tombe n’a jamais été érigée par la famille après la guerre. C’est par une souscription des soldats du 133e RI et du 23e RI et ce dès 1915. Par ailleurs, elle se trouve dans un carré militaire (point qui reste à confirmer officiellement, la tombe étant en bordure). Cela change tout car alors, la sépulture tomberait sous les dispositions de la loi et son entretien sous la responsabilité de l’Etat. 

 

Vue de l’entrée du carré militaire de Saint-Jean d’Ormont. La tombe de Dayet se trouve dans l’entrée (photo : Philippe van Mastrigt, 2016)

C’est à cette même conclusion qu’était arrivé cette année le Souvenir Français avec l’aide de Yann Prouilllet, après avoir relancé les investigations au moment des réunions préparatoires au 110e anniversaire de la victoire de La Fontenelle. Et c’est lors de ma dédicace à la librairie de Salm à Senones que j’ai pu assister à l’échange du résultat, entre Yann Prouillet et Jean-Luc Depp

L’intervention de l’ONaCVG (Office national des combattants et des victimes de guerre) régional serait donc possible, à la fois techniquement et financièrement. Par ailleurs, lors des cérémonies de La Fontenelle en juillet 2025 était présent monsieur Sami Thellier (chargé d’études des sépultures militaires, basé à Paris). Son service pourrait aussi intervenir mais pas avant 2027. Des éléments sur les combats du 133° RI dans les Vosges seraient nécessaires pour étayer une demande de financement. 

Il reste maintenant à coordonner l’effort et à trouver le bon « cheminement » administratif. Espérons que cette fois-ci, les démarches aboutiront enfin.

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