Il y a cent ans, le 8 juillet 1915, les troupes françaises engagèrent une contre-attaque pour reprendre La Fontenelle, prise par les Allemands le 22 juin. L’attaque permit dans un premier temps de reprendre une partie des lignes perdues, et sera suivi d’une deuxième action le 24 juillet qui permit de repousser définitivement les Allemand. L’attaque engagea plusieurs bataillons, dont les deux du 133e RI qui s’étaient illustrés quelques semaines plus tôt, le 15 juin, à la cote 830. Le bataillon Barberot, qui venait de changer de chef, fut aux premières lignes.
Cette opération causera un traumatisme profond au sein des Bavarois. Les français firent plus de 1 500 prisonniers.
A l’occasion de ce centenaire, voici le détail de cette journée comme elle est narrée dans l’historique du 133e RI :
Du sommet de la colline, chauve désormais, car la lutte n’avait rien laissé subsister du petit bois qui jadis en garnissait le faîte, le Boche plongeait dans nos lignes. Sous son regard, tout déplacement ou ravitaillement de jour nous était impossible. La grande voie de la vallée de la Meurthe, de Saint-Dié à Raon l’Étape) nous était interdite. Une telle situation était intolérable. Il fallait déloger l’ennemi sans retard. Or, à qui confier cette mission, si ce n’était au 133ème, puisqu’à Metzeral, d’un seul élan, il avait su enlever une position que des échecs successifs avaient fait réputer imprenable ? Dès le lendemain de son retour d’Alsace, le 1er bataillon était en ligne et s’employait à creuser les parallèles de départ le 4, le régiment en entier fut ramené à l’arrière pour prendre quelque repos, en vue de l’effort qui allait lui être demandé. Entre temps, les officiers reconnurent les positions à attaquer.
Enfin le 8, au matin, les bataillons étaient rendus avant le jour à leurs emplacements de départ : le 1er bataillon au bois Martignon, le 2ème au bois du Palon, le 3ème à la Vercoste et à la Fontenelle. A 14 heures 30, commença la préparation d’artillerie. Tous les calibres y prirent part. Les 65 de montagne, juchés presque derrière les tranchées, miaulaient avec rage. Dominant le roulement des 75, les 120 longs de Saint-Jean d’Ormont poussaient, au-dessus des lignes, leurs sifflements doux, tandis que les 220 du col de Robache passaient avec un vrombissement d’avion. Le tir, d’une violence extrême, était entrecoupé de pauses, de périodes rapides et d’allongements, destinés à faire croire à l’imminence de l’assaut. L’adversaire s’énerva et réagit violemment. Il cribla de projectiles les parallèles et les places d’armes, éprouvant les troupes qui s’y trouvaient entassées.
Les 1er bataillon (commandant Gauthier) et le 3ème bataillon (commandant Boudet) avaient pour mission de reprendre la cote 627 et d’atteindre la route Launois-Moyenmoutiers. Le 2ème bataillon (commandant Coipel) devait déborder la cote 627 par le Nord et atteindre le chemin Launois-Laître, sur le rebord de la croupe où est posé ce dernier village. L’assaut devait se déclencher à 18 heures 30. Mais, une heure avant l’attaque, la compagnie Accoyer (10ème du 23ème), qui devait attaquer le bois Caduc, à droite du 1er bataillon, rendait compte que, devant elle, les réseaux n’étaient pas encore entamés. La préparation fut alors prolongée d’une demi-heure, et l’assaut reporté à 19 heures.
A droite, le 1er bataillon devançant, dans son impatience, de deux minutes l’instant prescrit, franchit sous un feu violent tous les obstacles et atteignit d’un seul bond la route Launois-Moyenmoutiers, son objectif, où il arriva en même temps que nos derniers obus. «Nous avons débouché sous une pluie d’obus, écrivait le capitaine Cornet-Auquier. Quelle mitraille ! Quel enfer ! Puis ce fut la course sous les obus à travers la fumée, la course folle sous les balles, et puis la victoire, la victoire totale, les Boches se rendant par paquets de 20, 30, 50, 100, abrutis, implorant, les mains jointes, les bras au ciel.» Emportés par leur élan, le lieutenant Gardet, 2 caporaux et 13 hommes de la 2ème compagnie avaient même dépassé leur objectif et s’étaient installés au point M, où, isolés du reste du régiment, entourés de tous côtés, ils tinrent tête à l’ennemi et restèrent seuls, jusqu’au 9 au soir, sur des positions battues par le feu des deux artilleries.
Au centre, à 19 heures, à la minute fixée, avec un ensemble émouvant, les quatre compagnies du 3ème bataillon débouchèrent de leurs parallèles sous les obus, tandis que derrière elles, d’un seul coup, tout le village de la Fontenelle s’embrasait. La 9ème compagnie vit tomber sous le barrage ses deux chefs de section de la première vague (lieutenant Fenech, aspirant Piquet). La 10ème compagnie perdit son chef, le capitaine Charry, qu’un guetteur allemand, resté dehors malgré nos obus, blessa mortellement d’une balle au ventre, au moment où il atteignait la première tranchée boche. Mais ces pertes n’arrêtèrent pas l’élan du bataillon. Les derniers obus de notre artillerie, qui maintenant allongeait son tir, éclataient encore sur le plateau, que les capotes bleues y avaient déjà pris pied. La 9ème, arrêtée par un fortin (1), le tourna, et, en commençant le nettoyage dont elle était chargée, s’empara de deux mitrailleuses et d’un canon-revolver de 59, en batterie à la Tour d’Angleterre. Les 10ème,11ème,12ème franchirent sans y descendre les tranchées du plateau, puis dévalèrent jusqu’à la route de Launois, où elles s’emparèrent du chef de bataillon allemand, commandant la position. Un autre commandant de bataillon, capitaine venu prendre les consignes en vue d’une relève, fut capturé avec lui. Les éléments de tête du 3ème bataillon, emportés par leur ardeur, dépassèrent même la route de Launois, fixée comme objectif final, et poussèrent sur Laître, où ils furent arrêtés par notre propre barrage. Derrière eux, sur le plateau, les prisonniers sortaient en foule des abris, criant «Pitié, Moussié» aux nettoyeurs, qui les poussaient en troupeau vers le village de la Fontenelle.
A gauche, le 2ème bataillon progressait difficilement. Rassemblé à 18 heures dans le bois Mermod, il avait été pris sous un violent tir de 77, qui l’obligea à se replier plus à l’Ouest. A 21 heures, il était de nouveau prêt à déboucher, mais il tomba sous les violentes rafales des mitrailleuses ennemies établies sur le plateau à l’est du bois en Y. A la faveur de la nuit, le mouvement fut repris; la 6ème compagnie parvint à prendre pied, à 21 heures 30, dans l’ouvrage 38. A 23 heures, le reste du bataillon, se créant des passages dans les réseaux de fils de fer non détruits, débordait largement la position par le nord, encerclant et faisant prisonniers ses derniers défenseurs. Dans le bois au sud-sud-est de Laître, une compagnie allemande fut si vite surprise par ce mouvement qu’elle s’enfuit en abandonnant armes, équipements et vivres. Le café était chaud à point et fit la joie des nouveaux arrivants.
Vers 20 heures, le nettoyage était à peu près terminé. Seul résistait encore le petit fortin auquel s’était heurtée la 9ème compagnie (il devait tomber le lendemain matin) et, sur la droite, le bois Caduc, dont l’héroïque compagnie Accoyer (10ème du 23ème), qui appuyait à droite l’attaque du 133ème, n’avait pu franchir les réseaux intacts (2). Au lever du jour, nos troupes avaient non seulement rétabli leur ancienne ligne, mais encore occupé l’ensemble des positions allemandes jusqu’à la route Launois-Moyenmoutiers. Ce succès ne nous coûtait que de faibles pertes. L’honneur, il faut le reconnaître, en revenait pour une bonne part à notre artillerie, dont la préparation fut si complète que l’organisation défensive allemande avait été pratiquement annihilée. Elle comprenait pourtant cinq lignes de tranchées et de boyaux, des ouvrages organisés pour le tir sur deux faces, en cas de débordement de la position, des blockhaus protégés par des rondins et des rails, avec boucliers aux embrasures. Les abris souterrains étaient très profonds. Mais l’impétuosité de notre élan fut telle que les défenseurs, qui s’y étaient terrés, n’eurent souvent pas le temps d’en sortir avant l’arrivée de notre infanterie. Celle-ci, en effet, se précipita sur les positions ennemies, en marchant presque dans le barrage de notre artillerie. Un chef ennemi a lui-même rendu hommage à cette impétuosité, en écrivant : « L’attaque ennemie du 8 juillet nous apprend comment l’infanterie montant à l’assaut doit savoir utiliser le feu de sa propre artillerie. Là où l’infanterie française a immédiatement suivi le puissant rempart du feu de son artillerie, malgré les pertes qu’elle subissait de ce fait, elle a réussi à pénétrer dans notre position.» (Quartier Général de Saint-Blaise . VON EBERHARDT.)
L’attaque principale, qui prit pied au centre sur la hauteur 627, avait réussi en moins de dix minutes. C’était un spectacle impressionnant de voir, à travers la fumée des projectiles, nos hommes aborder les retranchements allemands et marcher droit sur leurs objectifs les plus éloignés, sans arrêt et sans souci de l’enchevêtrement de nombreux boyaux et tranchées, le fusil d’une main et l’autre main dans la musette à grenades. Dans leur sillage s’avançaient deux bataillons du 357ème R. I., couverts par quelques unités du 23ème et du 43ème territorial, chargés de nettoyer les ouvrages allemands, bouleversés par nos projectiles, une fois que les troupes d’attaque les avaient dépassés. Les corps rivalisèrent d’élan. Même ceux à qui était confiée la garde des tranchées voulurent avoir leur part de gloire. Quelques unités d’un régiment catalan (253ème R.I.), envoyées pour ravitailler en munitions les troupes d’assaut, participèrent au nettoyage de la position et contribuèrent à faire tomber un blockhaus, d’ou sortirent 90 prisonniers. «C’est trop beau !» s’écria un artilleur des canons de tranchées, en voyant l’infanterie s’élancer à l’assaut. Et, prenant un fusil, il partit à l’assaut avec ses camarades. Aussi la totalité de la garnison du point d’appui (deux bataillons de la 5ème brigade d’Ersatz bavaroise) fut tuée ou faite prisonnière. 881 prisonniers, dont 21 officiers (parmi lesquels un officier supérieur), les uns surpris par l’attaque centrale, les autres débordés et cernés par notre action de flanc, tombèrent entre nos mains au cours des combats des 8 et 9 juillet. Ces prisonniers ont avoué leur terreur devant la supériorité de notre artillerie et leur surprise devant la soudaineté de l’attaque. Tous étaient encore sous le coup de la dépression nerveuse causée par le bombardement. «On ne peut imaginer un pareil enfer !» disaient-ils, et la plupart ne cachaient pas leur satisfaction d’échapper pour l’avenir à de telles émotions. Les officiers, presque tous à bout de nerfs, exprimaient eux aussi leur horreur de ce pilonnage. «A chaque coup, disaient-ils, nos abris étaient secoués comme une boîte.» Tous étaient officiers de réserve, professeurs, employés d’industrie et de banque. Deux jours après sa capture, au moindre bruit, l’un des plus ébranlés, un étudiant en théologie, croyait encore entendre l’éclatement d’un obus. Seul, le chef de bataillon (Major Michaelles, du 11ème bataillon d’Ersatz), qui commandait le secteur et appartenait à l’active, avait conservé son calme et ne cachait pas son admiration pour le «travail» de notre artillerie et de notre infanterie. La capture du capitaine von Bülow réjouit particulièrement les populations vosgiennes qui avaient gardé, de sa cruauté pendant l’occupation allemande de Saint-Dié, un si mauvais souvenir.
Le butin ramassé sur le terrain de l’action, assez restreint d’ailleurs (800 mètres sur 600), fut considérable. Une quantité énorme de fusils et de munitions, 4 mitrailleuses, 2 lance-bombes, un appareil à oxygène contre les gaz asphyxiants, un dépôt de cartouches et de grenades de tous modèles, des appareils téléphoniques, un canon-revolver allemand de 59 et le canon français de 37 dont l’ennemi s’était emparé le 22 juin, tombèrent entre nos mains. Nos pertes, relativement légères, s’élevaient à moins du quart de celles de l’ennemi. Mais la lutte avait néanmoins été meurtrière, et, sur 500 hommes mis hors de combat, il fallait, hélas ! compter 120 morts, dont le commandant Gauthier, qui depuis dix jours seulement commandait le 1er bataillon; les capitaines Charry, du Vachat, Burelle; les sous-lieutenants Fenech, Rejol et Madala
Dès 20 heures, l’artillerie ennemie, se rendant compte que la position était perdue, avait commencé un de ces tirs de vengeance si chers aux Allemands. Mais ses pièces étaient mal pointées : on sentait que l’adversaire ne savait pas au juste où nous trouver. Il allait attendre huit jours pour essayer un mouvement offensif, se contentant, jusqu’au 16 juillet, de nous accabler de mitraille, sans interruption de l’aube au coucher du soleil. Cela ne devait pas du reste empêcher les vainqueurs d’organiser la position sur laquelle l’infanterie allemande allait venir se faire décimer, le 16, en pure perte.
Pourquoi n’est-il pas question du capitaine Juvanon du Vachat commandant la 12° Cie tué au début de l’attaque ?
Bonjour monsieur,
je viens de vérifier l’historique et effectivement, le capitaine n’est pas mentionné dans l’historique du 133e RI, qui est l’extrait publié. Le capitaine a été mis à l’honneur à Belley l’année dernière. J’ai profité de votre commentaire pour indexer ses deux fiches sur Mémoire des Hommes. Je propose de publier un article publier dans les prochains jours.