(Cet article, consacré au secteur du Ban-de-Sapt, est le premier d’une série annoncée dans un article précédent).
Tout au long de la guerre, les différents états-majors publient des communiqués officiels concernant les combats. Textes filtrés et pesés, il s’agit de donner une vision des combats qui ne mine par le moral de l’arrière, et dans certains cas d’officialiser les mauvaises nouvelles. Ce premier article tente de rassembler les communiqués liés aux combats de La Fontenelle et du secteur du Ban-de-Sapt, sur la période où le bataillon Barberot y est engagé. Il ne comporte pas tous les communiqués, certaines périodes n’ayant pu être trouvées sur Gallica.
Durant la première période, qui va de début septembre jusqu’à l’attaque désastreuse du 27 janvier 1915, il y a peu de communiqués sur le secteur. Le plus souvent, le secteur des Vosges est décrit comme calme. Sur le secteur du Ban-de-Sapt et autour de St Dié, deux annonces sont un peu plus détaillées.
20 septembre 1914
Dans les Vosges, [l’ennemi] a tenté de prendre l’offensive aux abords de Saint-Dié, mais sans succès. Nos attaques progressent lentement de ce côté, en raison des difficultés du terrain, des organisations défensives qu’elles rencontrent et du mauvais temps.
Le texte est vague et le secteur n’est pas précisément nommé. On peut toutefois deviner qu’il relate les durs combats autour de la cote 627, avec une première prise de la cote 627 par les Allemands (14 septembre 1914), puis la contre-attaque victorieuse le 16 septembre, où le bataillon Barberot reprend la position, s’y installe et se met à fortifier le site. Les écrits de l’époque confirment que les combats se font sous une pluie continue, qui ne rend pas les progressions les plus aisées. Quant aux organisations défensives, les Allemands ont suffisamment renforcés leurs positions pour arrêter la contre-attaque française en haut de la cote, et conserver le contre-bas.
12 octobre 1914
A notre aile droite. — Dans les Vosges, l’ennemi a attaqué de nuit, dans la région de Ban-de-Sapt, au nord de Saint-Dié; il a été repoussé.
Si les combats, tirs et bombardements se poursuivent entre le 20 septembre et le 12 octobre 1914, il n’y a pas de véritable contre-attaque générale allemande sur le secteur. La période permet surtout aux deux camps de consolider leurs positions sur la cote 627, au village de Gemainfaing, sur le Spitzemberg et le bois d’Hermanpaire. Le communiqué reste très imprécis.
En janvier 1915, le commandement décide d’engager une attaque contre les positions allemandes dans le secteur du Ban-de-Sapt. Mal préparé, l’assaut tourne au fiasco et coûte la vie au lieutenant-colonel Dayet. Profitant de l’affaiblissement des positions, les Allemands lancent une contre-attaque qui leur permet quelques jours plus tard, le 9 février 1915, de pénétrer dans les positions françaises. Le bataillon Barberot, installé au Spitzemberg, est appelé à la rescousse pour contrer l’offensive. Le bataillon va engager un travail de consolidation des positions, tout en engageant un combat avec un ennemi installé seulement à quelques mètres. Dans un courrier envoyé à ses parents et publié dans l’ouvrage vendu sur ce site, il décrit cette période comme la plus épuisante et critique depuis le début de la guerre. Pourtant, les communiqués du mois de janvier et février restent vagues. A aucun moment, la situation critique n’y est évoqué.
27 janvier au 6 février 1915
Dans les Vosges, une épaisse couche de neige, où l’on enfonce à certains points jusqu’aux aisselles, a empêché toutes opérations de quelque importance.
Les seules actions qui ont eu lieu n’ont mis aux prises que des effectifs insignifiants. Elles nous ont permis de conserver le bénéfice de notre attitude agressive, mais il ne pouvait être dans la pensée du commandement de passer outre aux difficultés d’ordre naturel que les troupes rencontraient devant elles.
C’est pourquoi aucun effort n’a été tenté pour un élargissement important de notre front.
Nous avons cependant gagné du terrain sur certains points notamment aux environs de Senones, dans le Ban-de-Sapt, dans la région d’Altkirch et dans celle d’Ammertzviller. Ces gains représentent suivant les points, de 200 à 400 mètres.
Ces rencontres locales ont permis une fois de plus d’apprécier l’énergie et l’entrain de nos troupes. Mais aucune d’entre elles ne mérite un commentaire particulier et n’est de nature à modifier la situation générale dans cette partie du front.
Contrairement à ce que le communiqué affirme, l’attaque désastreuse du 27 janvier 1915 ne permet aucun gain de terrain dans le secteur du Ban-de-Sapt, bien au contraire. Les pertes subies par le 23e régiment d’infanterie et le 133e régiment d’infanterie sont considérables, sans n’avoir pu toucher les tranchées adverses. L’absence de préparation d’artillerie sérieuse rendait cette opération vouée à l’échec. Mais c’est l’obstination du commandement, et la volonté de conserver l’esprit d’offensive, qui la maintiendront. L’impact du désastre ne sera pas sans conséquence sur les hommes. Lors des mutineries de 1917, les hommes du 133e s’en prendront directement au général Bulot, à l’origine de l’opération, en lui reporchant sa légion d’honneur par les mots : « C’est le cimetière de La Fontenelle que tu portes là ! ».
10 février 1915
Dans les Vosges, à la Fontenelle (Ban-de-Sapt), une attaque ennemie a été enrayée.
20 février 1915
On peut signaler seulement quelques petites attaques allemandes, toutes repoussées, le 9, à l’est de Badonvillers, le 10 à la Fontenelle et à Manonviller, le 13 dans la haute vallée de la Lauche.
L’attaque mentionné le 10 février est la contre-attaque allemande, qui profite des positions ouvertes par les français pour leur assaut du 27 janvier, mais aussi d’une sape patiemment creusée. Elle se déroule en fait le 9 février, et parvient à prendre la tranchée Daubert, après un violent bombardement. La réaction française permet de reprendre un partie des positions, mais pas totalement. Le commandant Barberot est nommé responsable du secteur, et avec le capitaine du génie Cassoly, va activer le renforcement des positions jusqu’au 3 mars.
Après la période de consolidation, une guerre de mines et de contre-mines s’engage autour de la cote 627. Français et Allemandes creusent dans une lutte à mort, un véritable poker où il s’agit d’être plus rapide que l’adversaire pour faire sauter la position en face, ou ensevelir les mineurs ennemis par une contre-galerie. Le journal officiel va publier un compte rendu détaillé de ces combats, après la publication par l’état -major d’un communiqué général. Ce compte-rendu est remarquable par les détails qu’il contient, descriptions au niveau du combattant même, avec un grand réalisme.
7 avril 1915
Dans le Ban-de-Sapt, à La Fontenelle, nous avons fait sauter à la mine un ouvrage ennemi.
La guerre des mines a commencé dès début mars. Les Français repèrent les creusements allemands et entament des contre-mines à l’aide d’un perforeuse électrique. Les deux camps font exploser leurs mines le 6 avril. D’autres explosions vont suivre sur les jours suivants. Le bataillon Barberot a quitté à cette date la cote 627 pour aller cantonner à Etival.
27 avril 1915 – Journal Officiel
Les sapes de La Fontenelle.
Dans les Vosges, comme en Artois, en Champagne et en Argonne, la proximité des tranchées française et allemande et la puissance des organisations défensives ont contraint les deux adversaires à recourir, partout où la nature du terrain le permet, aux procédés de la guerre de siège, à la sape et à la mine. Les actions, toutes locales, qui se sont déroulées dans la région du Ban-de-Sapt dans la première quinzaine d’avril ont eu ce caractère de lutte lente et méthodique, amenant des décisions d’une extrême brutalité. A l’est de La Fontenelle, au sommet d’une colline portant sur la carte d’état-major la cote 627, nous avons, par le travail ingénieux de longs mois, organisé une ligne de résistance très puissante, protégée par des ouvrages avancés.
Les Allemands ont mis le siège devant cette colline. A la fin de mars, leurs tranchées se trouvaient à 20 ou 25 mètres de notre position. Des bruits suspects révélèrent à ce moment que la lutte souterraine commençait. L’ennemi, renonçant à enlever de vive force les organisations de la cote 627, s’apprêtait à les ronger peu à peu à la mine. Mais le sous-sol de cette région, d’un roc très dur, ne peut être entamé que lentement au burin et au pic, et nous avions déjà devancé l’adversaire en poussant en avant de nos ouvrages des rameaux de contremine.
Premiers contacts
Le 6 avril, la pioche d’un pionnier allemand crevait la mince épaisseur de roche séparant sa sape de l’un de nos rameaux. Nous faisions aussitôt exploser une charge contre la paroi de séparation. L’adversaire ripostait en mettant le feu à un fourneau qui entamait notre première ligne.
Le 9 avril, ayant constaté la présence d’une sape allemande marchant parallèlement à l’une des nôtres, à une distance d’environ 2 mètres, nos sapeurs préparaient un fourneau de 3oo kilos de poudre dont l’explosion produisit un entonnoir de près de 14 mètres de diamètre, dans lequel disparurent le rameau allemand et une partie de l’abri crénelé où il avait son point de départ.
Lutte autour d’un ouvrage avancé
L’action la plus vive se déroula autour d’un ouvrage avancé de notre ligne devant lequel nous avions réussi à camoufler la sape allemande. Nos adversaires organisèrent alors à fleur du sol un fourneau fortement surchargé. Le 10 avril, à 18h3o, deux explosions renversaient et ensevelissaient sous la terre du parapet les défenseurs qui occupaient les créneaux de l’ouvrage. Les Allemands pénétraient dans la tranchée par une brèche en faisant pleuvoir devant eux une grêle de grenades et de projectiles explosifs. Pendant toute la nuit, nos fantassins, avec quelques sapeurs du génie, luttèrent pied à pied, à coups de grenades et de pétards de mélinite, détruisant les barrages en sacs à terre que l’ennemi cherchait à élever et à pousser en avant dans les boyaux. L’ennemi se trouva ainsi cantonné dans un élément de notre tranchée de première ligne, longue d’une douzaine de mètres.A même hauteur, quelques-uns de nos hommes avaient réussi à se maintenir dans la partie droite de l’ouvrage, séparée de l’ennemi par un entonnoir de mine. Mais ils se trouvaient dans une situation précaire, le boyau qui les reliait à notre deuxième ligne passant à très courte distance de la tranchée occupée par l’ennemi. Tout ce combat s’était livré au-dessous du. niveau du sol, dont la surface était balayée par les mitrailleuses. C’est là une des caractéristiques de cette guerre de sape. Toute tête s’élevant au-dessus de la tranchée est abattue: offensive et défensive se traduisent par des luttes d’homme à homme dans les boyaux. De chaque côté un combattant tire pendant que ses camarades, serrés à la file derrière lui, lui passent leur fusil approvisionné et lancent des projectiles explosifs. Le moindre barrage de sacs à terre rapidement élevé et défendu par un fusil constitue un obstacle qui ne peut être renversé que lorsque son défenseur a été tué à coups de grenades ou de bombes.
Le 13 avril, vers 20h3o, les Allemands, profitant d’une obscurité très opaque, tentèrent un coup de main sur la partie droite de l’ouvrage. Couvrant la position de bombes et de grenades, ils franchirent l’espace qui les séparait du boyau de communication et, croyant avoir encerclé les défenseurs de la tranchée, ils crièrent : « Franzose, rendez-vous! )). Mais nous avions, la veille, creusé un nouveau boyau de cheminement qui permit aux défenseurs d’évacuer le poste. Celui-ci avait été préalablement miné.
Dès que les Allemands s’y furent installés, ordre fut donné de provoquer l’explosion. L’homme chargé de mettre le feu au fourneau, au moment où il approchait l’allumette de la mèche lente, fut renversé par une grenade; son voisin le remplaça aussitôt. Une détonation d’une extrême violence fit trembler tout l’ouvrage, suivie de cris de terreur et de douleur. 100 kilos de cheddite avaient projeté dans les airs le poste et l’ancien boyau. Nous établissions aussitôt un barrage, contre lequel, pendant plus d’une heure, l’ennemi vint se briser. On entendait les officiers crier dans la nuit, cherchant à pousser leurs hommes en avant, mais ceux-ci, terrorisés par l’explosion, répondaient en gémissant : « Nein ! Nein! » Notre artillerie et nos lance-bombes, guidés par des projecteurs, avaient ouvert le feu sur les ouvrages ennemis. Des hurlements révélaient l’efficacité du tir.
Toute la nuit, les automobiles sanitaires allemandes roulèrent sur les routes de Laître et de Launois. Au petit jour, on put juger des effets de l’explosion : des débris humains restaient accrochés à nos défenses accessoires. Les cadavres broyés gisaient au milieu des madriers. Une plaque de tôle de 1 centimètre d’épaisseur fut retrouvée à 3oo mètres en arrière de nos lignes, tordue et chiffonnée comme une feuille de papier.
Ainsi s’achevèrent à La Fontenelle les travaux de sape des Allemands.
Dans tout le secteur, les combats entre Français et Allemands vont se poursuivre. Le haut commandement n’annonce qu’une fois l’un de ses accrochages. Sur les semaines qui vont suivre, l’actualité va se déplacer vers la vallée de la Fecht et la bataille de Metzeral. La Fontenelle reviendra sur le devant de l’actualité lorsqu’elle sera prise partiellement prise le 22 juin, puis reprise magistralement le 7 juillet.
1er juin 1915
Dans les Vosges, près de La Fontenelle (nord de Saint-Dié), au cours de la nuit du 30 au 31,une attaque allemande, menée par deux compagnies,a été repoussée avec de lourdes pertes pour l’ennemi.
Dans la nuit du 30 au 31 mai, le journal de marche du 133e RI indique que les positions sont prises sous un feu ennemi intense, suivi d’une attaque allemande qui est repoussée. Il semble que le 133e RI n’est concerné que par sa 1ère compagnie, les autres venant d’être relevés par le 23e RI. Étonnamment, aucun communiqué ne signale l’échec du coup de main des Allemands contre la position avancée de Battant-de-Bourras le 15 mai, où 12 hommes parvinrent à mettre l’attaque en échec.
Prochain article – Les combats du commandant Barberot par les communiqués officiels : Metzeral
L’article « Les combats du commandant Barberot par les communiqués officiels : Ban de Sapt (1/5) me permet de connaître le cadre dans lequel mon grand’père, le capitaine Joseph Juvanon du Vachat a rédigé sa correspondance presque bi-hebdomadaire entre novembre 2014 et le 8 juillet 1915, date de sa mort à la bataille de La Fontenelle.
Je vous recommande un autre ouvrage, que vous avez peut-être déjà : La Guerre dans les Vosges, du capitaine Dupuy. Le livre retrace en détail les combats en Alsace, puis autour de la Fontenelle. Il a été réédité en 2004