Les écrits du soldat Louis Chevrier de Corcelles sont une source précieuse sur la vie au sein du bataillon Barberot. Publiés après sa mort dans un recueil par son père (A la mémoire de mon fils Louis. Aspirant du 23ème d’infanterie tombé pour la France, à 21 ans à Maurepas (Somme), le 30 juillet 1916. 86p. Imprimerie Protat-Ambutrix, 1921), ils donnent de nombreuses précisions sur les épisodes de combats comme de vie quotidienne que les hommes du bataillon traversent. J’avais publié sur ce blog le récit de la prise de la cote 830. La transmission de l’intégralité de l’ouvrage par un membre du forum 14-18 (que je remercie vivement) est l’occasion, pour cette nouvelle année, de publier ce qu’il écrivit sur cette même période fin 1914 puis fin 1915 (pour d’autres témoignages, un article avait été publié l’année dernière sur la Bonne Année 1915 ? du bataillon Barberot, ainsi qu’un autre sur le Noël 1914 du 3e bataillon).
J’adresse à tous mes lecteurs mes meilleurs voeux pour cette nouvelle année 2017 !
Le Noël 1914 de Louis Chevrier de Corcelles
Le 25 décembre 1914, le bataillon Barberot occupe les positions françaises sur l’Ormont, juste à côté du Spitzemberg, où il sera relevé le 30 décembre. Le front est calme, il y a peu d’échanges. Les hommes ont le temps d’écrire. Louis Chevier de Corcellesl rédige ce courrier à son père le jour même de Noël :
Cher Papa,
Un mot rapide pour vous renouveler, entre deux travaux, mes souhaits de bonne année et vous remercier aussi des cinq colis, tous arrivés les 24 et 25, tous délectables ; ils ont magnifiquement fourni le singulier réveillon de mon escouade, à minuit un quart.
J’ai bien pensé à vous tous et prié pour les chers absents. Je m’en souviendrai de ce réveillon ! Les Allemands tiraient et chantaient tout à la fois. Le Choral de Luther, à minuit, au fond des bois, sous la neige, m’a vivement impressionné. Nous étions tout près d’eux, c’était émouvant au possible.
Je vous en supplie, ne m’envoyez pas de pantalon bleu ; je n’en veux sous aucun prétexte, quand ce ne serait qu’une question d’amour-propre. Il n’y a plus que les Vétérans d’Alsace, du Col des Journaux et de Saint-Jean d’Ormont qui portent le rouge. Les autres, arrivés plus tard, portent le bleu, je n’aborderai donc cette couleur que sur un ordre formel des autorités compétentes. Avant-hier soir, une vingtaine d’Allemands, voulant se rendre, couraient sans armes, en levant les bras, vers les tranchées de la 2e compagnie, voisine de la mienne, qui les reçut en tirant sur eux à toute volée. Pourquoi, puisqu’ils venaient se rendre ? Cela m’a mis en fureur !
La nouvelle année 1915
Le 8 janvier 1915, le bataillon vient de terminer sa mise au repos au village de Marzelay. Louis rédige une nouvelle lettre à son père, où il échange sur ses lectures. Situé à droite de l’échiquier politique, fin lettré, il continue de lire la presse, notamment l‘Action Française et échange sur les derniers articles parus.
Cher papa,
Merci du délicieux colis renfermant journaux, cigares et pudding.
Un article de Barrès m’a particulièrement intéressé : le récit de la mort de Péguy, un poète que je commençais à connaître et à aimer. Barrès cite de lui ces beaux vers :
Heureux ceux qui sont morts pour une juste guerre,
Heureux les épis mûrs et les blés moissonnés,
Heureux ceux qui sont morts dans les grandes batailles,
Couchés dessus le sol à la face de Dieu.
Nous arrivons à l’instant sur le front, dans la vallée d’Hermanpère, sous le col du Chariot, entre les bois de Robache et le Spitzemberg – peu intéressant – ma section est en second ligne. Comme toujours, sapin et tranchées.
7 heures du soir. – Très peu intéressant. Nous sommes véritablement enfouis sous les sapins, nous ne voyons rien et n’entendons que quelques coups de fusil. Je vous écris d’une cahute ; la pluie passe à travers, sous forme de gouttes intermittentes et injurieuses.
L’Echo de Paris du 25 décembre parle bien d’un bond en avant sur le Ban-de-Sapt. Ce dont il ne parle pas, c’est d’un grand bond en arrière, effectué cinq jours plus tard. Parbleu, la tranchée prise, collée à celle de l’ennemi, était trop en l’air. Les impériaux sont toujours redoutables ! Que dites-vous de ce terme : impériaux ? Cela ne vaut-il pas mieux que le mot « Boche », bien vulgaire et que le mot : Cimbre, vraiment trop vétuste ?
Voilà donc terminé notre repos de 8 jours à Marzelay, repos agrémenté, comme toujours, d’histoires de tavernes suivies de consignes. Après tout, ce sont des orgies excusables, rappelant celles des anciens condottieres entre deux combats.
Noël 1915 et le passage à 1916
Un an plus tard, beaucoup de combats ont jalonné le parcours du bataillon. Le 24 décembre 1915, à la veille du second Noël en guerre, il écrit à ses parents et reprend les événements de l’année passée. Il évoque notamment la mémoire du commandant Barberot, et décrit une des versions de sa mort :
Cher Pa, chère Ma
Nous ne serons point réunis cette année encore pour la fin de 1915 et le début de 1916, et comme l’an passé, c’est des mêmes glorieuses montagnes que vous envoie mes voeux les plus tendres.
16 mois de guerre et cinq affaires célèbres chez nous, au 133e : St-Jean d’Ormont, Gemainfaing, la Fontenelle, Metzeral et encore la Fontenelle. Grâce à Dieu, cette formidable année 1915 ne vous aura pas apporté de douleurs comme en 1914. Nous nous en sommes tirés sains et saufs, et nous sommes toujours solides au poste avec un moral excellent.
Avez-vous lu l’article du diable au cor sur le Commandant Barberot. J’ai appris qu’il est tombé mortellement atteint das les bras du docteur Voiturier, de Chazey, major de son bataillon de Chasseurs. Voilà les hasards de la guerre.
Nous attendons Noël avec impatience. Il y aura bonne chère et liesse chez les ss-officiers de la compagnie pour le Réveillon. Voici le menu, à nos frais, bien entendu: escargots, dinde aux marrons, salade, gâteaux et champagne (Moët et Chandon), le tout sortant des meilleurs gargotiers de St-Dié .
Si vos colis de provisions arrivent à temps, comme je l’espère, ils seront joints au menu.
Le 28 décembre, nouveau courrier où il évoque la messe de Noël et le capitaine Cornet-Auquier, son capitaine de compagnie, mais toujours une intense activité intellectuelle qu’il partage avec ses parents :
Je vous renouvelle mes voeux de bonne année les plus tendres et les plus respectueux, et je ne saurais jamais assez vous remercier des bontés que vous avez eues pour moi et des soins que vous m’avez prodigués à distance, qui ont tant adouci pour moi cette année de guerre.
Je suis toujours où vous savez et j’ai pu assister à la messe de Noël, dite dans une grange par un prêtre-soldat. Mon lieutenant y était et pas mal de mes camarades. Mon capitaine C. A., bien que protestant, a assisté à une messe de minuit dite à 4 kilomètres d’ici au 115e territorial. Des artistes parisiens ont chanté et C. A. s’est délecté à un « Minuit Chrétien » et à un « Ave Maria » de Gounod. Mon Capitaine, avec qui j’ai souvent de longues conversations, est un homme très intelligent, lettré et instruit, agrégé d’anglais et professeur de français à Glasgow. Vous le connaissez d’ailleurs pour l’avoir vu à Etival. Nous parlons souvent ensemble de l’Ecole des Chartes. Vous savez que depuis longtemps, je rôdais autour de cette école mais je ne me suis décidé, vous le savez aussi, qu’en janvier 1913. Je pense déjà, et souvent, à ma thèse de 3e année : elle portera sur un des sujets auxquels je pense depuis quatre ou cinq ans : l’affaire de la Valteline, l’organisation militaire de la Savoie au XVIe siècle, la guerre de Savoie et le traité de Lyon ; histoire du marquisat de Saluces jusqu’en 1815 ; la féodalité en Bugey et ses grandes divisions, les ordres religieux et militaires du duché (Annonciade, Ripaille, saints Maurice et Lazare) ; histoire de Charles-Emmanuel-le-Grand J’irai fouiller les archives de Chambéry et de Turin !
Je vous quitte sur tous ces beaux projets qui font ma joie.
Enfin, le 4 janvier 1916, il accuse réception d’un colis :
Cher Pa,
Je vous remercie du superbe colis arrivé le 1er janvier au matin. Quel à propos ! La journée s’est donc passée agréablement dans la tranchée, au fond d’un confortable abri avec l’adjudant et tous mes excellents camarades.
Un prochain article rendra un hommage complet à Louis de Corcelles, en retraçant les grandes étapes de son parcours singulier.