Après le deuxième épisode consacré à l’affaire du 65 Chardon, Eric Mansuy aborde dans cette dernière partie la question plus large des artilleurs mis en accusation par le commandement de la brigade de chasseurs. Un différend qui conjugue un reproche général dans une séquence d’échec avec des questions plus personnelles entre chefs.
Merci à Eric pour ce dernier volet de son analyse magistrale du 4 août 1915 au Linge.
Brissaud-Desmaillet (et Messimy, d’Armau de Pouydraguin, de Maud’huy…) et les artilleurs
Georges Brissaud-Desmaillet commande la 3e brigade de chasseurs depuis le 17 janvier 1915. Parmi ses subordonnés se trouve Adolphe Messimy, qui prend le commandement, le 11 mars 1915, d’un groupe de bataillons de chasseurs. Brissaud-Desmaillet et Messimy ont été camarades de promotion à l’Ecole Spéciale Militaire et à l’Ecole Supérieure de Guerre. Il est intéressant de voir ce qu’écrit le premier au sujet du second, dans un rapport du 1er novembre 1915 :
Officier supérieur de la plus rare valeur, audacieux, très pondéré, d’une énergie de fer, soldat dans l’âme adoré de ses chasseurs. Sait imposer sa volonté à l’artillerie mise à sa disposition et la forcer à être le soutien de l’infanterie. Parfaitement qualifié pour commander une brigade de chasseurs et au plus fort groupement de trois armes.
(in Christophe Robinne, « Adolphe Messimy (1869-1935), Héraut de la République », thèse pour obtenir le grade de docteur de l’Université de Lille, 2019)
Les passages sur le « pondéré » Messimy et sa capacité à « imposer sa volonté à l’artillerie » prennent tout leur sel à la lecture d’un autre passage, tiré du témoignage de l’artilleur Georges Maurice (in « Quand je les observais ») :
(24 juillet 1915) Le téléphoniste Casser, en surveillant la ligne qui nous réunit à l’Artillerie Divisionnaire, y avait vu Messimy, ancien ministre de la Guerre et lieutenant-colonel commandant d’une Brigade de Chasseurs. Nous savions déjà qu’il y stationnait à demeure en y faisant la loi. Casser était à portée d’oreille quand un message venu des 155 Rimailho à la Cote 917 annonçait des pertes. L’oraison funèbre tombait alors de la bouche de Messimy : « Enfin, l’Artillerie a des morts ! » »
En remontant le temps, nous découvrons de quelle manière les rouages des critiques et de l’acrimonie de Messimy et de Brissaud-Desmaillet envers l’artillerie – et les artilleurs – ont fonctionné et sont devenus patents, plusieurs mois déjà avant l’offensive du Linge, comme le relate Christophe Robinne :
« Si l’on en croit le compte rendu d’un sous-officier, témoin de la scène, Nollet aurait ainsi reproché à Messimy « d’avoir été au-dessous de tout », l’accusant de pusillanimité et le jugeant coupable tout autant d’avoir « fourni des renseignements tendancieux pour empêcher le déclenchement de l’attaque centrale » du 20 juillet, que d’avoir manqué de courage en étant resté « terré dans son abri.
Il n’est pas impossible que ces accusations aient été effectivement portées à l’encontre de Messimy, surtout quand on connaît l’antagonisme qui existe entre les deux hommes. Il faut en fait remonter à 1911 pour retrouver l’origine probable du contentieux dont la dimension politique doit être soulignée. Polytechnicien et artilleur de formation, le général Charles Nollet, futur ministre de la Guerre du premier gouvernement Herriot en 1924, lors du Cartel des Gauches, a servi longtemps à la Direction de l’artillerie avant de prendre le commandement du 60e régiment d’Artillerie à Troyes, tout en exerçant la direction du cours de tir d’artillerie de campagne et la présidence de la commission d’études de tir. Lors de la discussion de la loi des cadres de l’artillerie, il a eu avec le ministre Messimy « une énorme friction d’opinion […] » au point que, « il n’est pas de cochonneries que les artilleurs n’aient faites à ce moment-là » [Lettre du colonel Brissaud-Desmaillet au colonel de Boissoudy du 11 juillet 1915, AN – 509AP8, Fonds privé Adolphe Messimy]. N’ayant manifestement rien oublié de cette passe d’armes, Nollet, qui n’a aucune confiance en Messimy, semble bien décidé à prendre sa revanche. Dépourvu d’expérience politique, il ne manque cependant pas de relais, ayant été commandant militaire du Sénat avant-guerre. Alors que les conditions de l’opération sur le Linge se préparent dès le 11 juillet, il envisage de le relever de son commandement pour lui laisser uniquement la responsabilité des communications. Il faut toute la persuasion du colonel Brissaud-Desmaillet et du colonel de Boissoudy, ad latus de Nollet, pour « lui éviter cet affront ». En outre, d’autres sources non identifiées le soupçonnent également « d’avoir voulu son petit combat, et que s’il y a eu des pertes notables, c’est de [sa] faute ». Les rumeurs vont donc bon train.
Afin de circonscrire ces ragots, Brissaud-Desmaillet et au moins vingt-trois officiers de plusieurs bataillons de chasseurs et de régiments, des grades de chef de bataillon à lieutenant, rédigent des rapports en faveur de Messimy. Dès lors, le commandement décide de mettre fin à cette campagne de dénigrement, un peu tard puisque certaines « des calomnies […] répandues sont parvenues jusqu’à monsieur Abel Ferry, secrétaire d’État aux Affaires Étrangères » [Rapport n°4s du 21 août 1915 du colonel Brissaud-Desmaillet, commandant la 3e Brigade de Chasseurs, à Monsieur le général commandant la 47e DI. AN – 509AP8, Fonds privé Adolphe Messimy]. Tous soutiennent que le lieutenant-colonel Messimy, particulièrement actif, « donnant ses ordres avec autant de calme que de précision », a rarement quitté les premières lignes et qu’à diverses reprises, il a fallu au contraire le prier « de se dissimuler davantage derrière le parapet afin d’éviter l’accident dont il semblait d’ailleurs ne pas se soucier ». Et de souligner par exemple que « le seul reproche que l’on puisse lui faire, c’est de trop s’exposer et de ne pas tenir assez compte de sa propre vie », n’hésitant pas à admonester « vertement et [poussant] à leur devoir avec l’énergie que méritait leur conduite, des brancardiers qui hésitaient à aller […] relever nos malheureux blessés ». Il se situe à l’opposé de la plupart des élus mobilisés qui sont très nombreux à être affectés dans les services de l’arrière, avant de choisir, suite aux propositions de Joffre, le congé illimité qui leur permet de prendre part aux travaux de la Chambre.
En revanche, ces différents rapports critiquent pour la plupart l’artillerie, jugée peu efficace, incapable de mettre « aucun coup au but, condition essentielle pour la destruction de défenses accessoires. En particulier, les 220 avaient pour déplorable tendance à tirer trop long, […] des écarts parfois regrettables. A partir de 12 heures, le tir se poursuit lamentablement, sans aucune intensité, comme essoufflé ». [Capitaine Gœtschy, commandant la compagnie de mitrailleuses de la 3e Brigade, 20 août 1915. AN – 509AP8, Fonds privé Adolphe Messimy]
Ces propos déplaisent fortement au général Nollet qui ne supporte plus les remarques récurrentes de ses commandants de brigade et chefs de corps. Le 9 mars 1915, il avait vertement écrit à titre personnel à Brissaud et Messimy pour leur signifier que leurs critiques sur « l’artillerie « hors d’état de faire une riposte quelconque » avaient certainement dépassé [leur] pensée », et qu’ils ne pouvaient s’en prendre qu’à eux-mêmes si l’artillerie allemande était capable de se prémunir des tirs de contre-batterie. En l’absence de sources, nous ne savons rien de la réaction de Messimy après cette admonestation. » (Christophe Robinne, op. cit.)
Si la réaction de Messimy à cette « admonestation » est inconnue, il n’en demeure pas moins que les critiques qu’il adresse à Brissaud-Desmaillet au sujet de l’artillerie perdurent en avril, et remontent jusqu’au général d’Armau de Pouydraguin, commandant la 47e DI, qui se rallie à ces critiques :
VIIe Armée / 47e Division / 3e Brigade de Chasseurs
Sous-secteur Weiss – Wettstein
N° 145/S
Le 18 avril 1915
Le Lieutenant-colonel Messimy
Commandant le Groupe de Bataillons de Chasseurs Alpins
A M. le Colonel commandant la 3e Brigade de Chasseurs
J’ai l’honneur de vous rendre compte que dans la journée d’hier, l’artillerie de 95 des Hautes-Chaumes a, à deux reprises, effectué le réglage de son tir sur nos tranchées de la croupe des 3 Pitons et sur nos abris du Collet du Noirmont.
Vers 14 heures 20 et à 16 heures 30, des obus ont atteint la croupe des 3 Pitons.
Vers 14 heures 20, 5 obus sont tombés à quelques mètres de nos abris du Collet du Noirmont.
Le capitaine Pigeaud, informé par téléphone, a pu faire cesser le feu par l’intermédiaire du capitaine Gensollen, commandant la batterie de 120.
Il n’y a pas eu de pertes.
Cette méprise serait absolument normale dans la guerre de mouvements et l’infanterie doit s’attendre à en subir d’analogues.
Dans la guerre actuelle, surtout lorsque l’artillerie bénéficie de positions dominantes comme les Hautes-Chaumes, de semblables erreurs n’ont pas d’excuses.
Je crois, du reste, que si le compartimentage entre artilleurs et fantassins n’était pas aussi strict, elles ne se produiraient jamais. Il eût suffi au commandant de l’artillerie des Hautes-Chaumes, nouveau venu dans les Vosges, et forcément mal familiarisé avec ce terrain mouvementé, de demander le concours du 30e chasseurs dont le poste de commandement est au Lac Noir, en-dessous de ses batteries, pour que cette erreur fût évitée. Je suis absolument certain que ce concours lui eût été donné, non seulement sans difficulté mais même avec joie.
En signalant ce fait, je tiens à bien souligner qu’il ne s’agit pas là d’une réclamation, qui serait fort déplacée ; je vous prie de n’y voir que l’affirmation renouvelée et pressante, de la nécessité de la camaraderie de combat la plus intime et la plus cordiale entre les fantassins et les artilleurs.
Messimy » (SHD 24 N 1158)
Le ton et la tournure de ce dernier paragraphe en disent assez long pour se passer de commentaires. La « camaraderie de combat la plus intime et la plus cordiale entre les fantassins et les artilleurs » y tranche cruellement avec son « Enfin, l’Artillerie a des morts ! » prononcé ultérieurement.
Toujours est-il que le colonel Brissaud-Desmaillet, sans y apporter de commentaires, communique ces éléments, le 19 avril à 17 heures, au commandant de l’artillerie de la 47e DI, le lieutenant-colonel Edmond Cambuzat, ainsi que deux copies : l’une part vers les pièces du Reichberg, alors que la seconde prend la direction de la Cote 917.
Ce même jour, le général d’Armau de Pouydraguin s’adresse à son tour au lieutenant-colonel Cambuzat dans les termes suivants :
J’ai l’honneur de demander :
- Que l’artillerie lourde veuille bien nous informer de l’heure de ses tirs pour que notre infanterie puisse se mettre à l’abri de ses coups ;
- Que ses observateurs viennent se placer dans nos tranchées de 1re ligne afin de mieux voir les coups qui échappent à l’observation des postes du Noirmont et du Hörnleskopf.
Nos chasseurs ont pris l’habitude de recevoir stoïquement les coups de notre artillerie aussi bien que ceux de l’artillerie adverse, mais il y aurait intérêt à ne pas trop montrer à l’ennemi que nos projectiles sont souvent plus dangereux pour nous que pour lui. (SHD ibid.)
Là aussi, le ton et la tournure de l’expression en disent beaucoup, et les coups ne sont même plus retenus. A la suite de ces événements, le général d’Armau de Pouydraguin enfonce le clou, comme le prouve ce courrier du général de Maud’huy :
Q.G., ce 24-4-15
Le Général de Maud’huy, commandant la VIIe Armée
A Monsieur le Général commandant en chef
S.C. de Monsieur le Général commandant le G.P.E.
J’ai l’honneur de vous rendre compte que M. le Général de Pouydraguin, commandant la 47e Division, tout en reconnaissant les brillantes qualités d’intelligence et d’énergie du Lt. Colonel Cambuzat, commandant l’A.D. 47, ne trouve chez cet officier supérieur ni la compétence nécessaire dans les questions d’artillerie lourde dont il est fait un large emploi dans son secteur, ni l’initiative suffisante pour mener à bien les nombreux problèmes de déplacement et d’installation de batteries en pays de montagne.
Dans ces conditions, je crois devoir demander le déplacement du Lt. Colonel Cambuzat et son affectation à un commandement d’artillerie moins important que celui de la 47e Division.
Le commandement de l’A.D. 47 pourrait être confié à M. le Lt. Colonel Landel, commandant l’A.D. 15, dont je connais la réelle valeur.
Signé : de Maud’huy (SHD 19 N 1157)
La démarche du général d’Armau de Pouydraguin est favorablement reçue : le colonel Marie Joseph Marchal prend le commandement de l’artillerie divisionnaire de la 47e DI par décision de Joffre, le 4 mai 1915. Une affaire, en date du lendemain même, montre à quel point le général de Maud’huy peut lui aussi se montrer sanguin envers les artilleurs. A l’issue des résultats insatisfaisants de l’attaque de la Cote 830, il fait parvenir au général d’Armau de Pouydraguin une série de questions accompagnées d’une conclusion aux airs de couperet :
N°49/M
Remiremont, Q.G., le 7 mai 1915Le Général de Maud’huy, commandant la VIIe Armée
A Monsieur le Général commandant la 47e Division
[…] 4./ Causes du retard des contre-batteries. Où étaient les observateurs ? Qui les avait placés ? Quelle était leur zone de surveillance ?
Je vous prie d’établir les responsabilités et de me proposer les sanctions nécessaires, punitions, révocations, traductions en conseil de guerre.
Le Général commandant la VIIe Armée
Signé : de Maud’huy » (ibid.)
Un nouveau courrier est émis le surlendemain :
N°51/M
Remiremont, Q.G., le 9 mai 1915
Le Général de Maud’huy, commandant la VIIe Armée
A Monsieur le Général commandant la 47e Division
Vous m’avez fait connaître par message téléphoné que la 27e batterie du 5e régiment d’artillerie de campagne (batterie Lallemand) avait eu 4 hommes blessés le 5 mai.
En admettant même que cette batterie ait eu ces 4 hommes touchés au moment où elle devait tirer, j’estime que ce n’était pas là une raison suffisante pour ne pas ouvrir son feu.
Elle a été ainsi, en grande partie, la cause de l’échec d’une opération importante et de pertes sensibles pour notre infanterie.
Je vous prie donc de me proposer une mesure sévère contre le capitaine de la batterie.
Signé : de Maud’huy (ibid.)
Après que des courriers, visant à faire la lumière sur ce qui vient de se produire le 5 mai, ont circulé le 8 mai entre le général Gabriel Falque, commandant l’artillerie de la VIIe Armée et le colonel Marchal, puis du colonel Marchal au général d’Armau de Pouydraguin, ce dernier adresse ses conclusions au général de Maud’huy :
Q.G., le 11/V/1915
Le Général d’Armau de Pouydraguin, commandant la 47e Division
A Monsieur le Général commandant la VIIe Armée
En réponse à vos lettres n°49/M et 51/M du 7 et 9 mai, j’ai l’honneur de vous rendre compte du rôle joué par la 27e batterie du 5e régiment d’artillerie de campagne (batterie Lallemand) dans la journée du 5 mai. […]
Il ne me paraît pas, en résumé, y avoir lieu à une punition disciplinaire pour le capitaine Lallemand qui a parfaitement rempli son premier rôle, et n’a pu accomplir le second que pour des motifs indépendants de sa volonté. Il n’y a là qu’une leçon dont chacun profitera. (SHD 19 N 1261)
Cette fois, les protagonistes s’en tirent à bon compte.
Mais pour en revenir au 4 août 1915, Messimy n’a plus l’occasion à cette date de s’insurger contre quoi que ce soit qui puisse être lié à l’artillerie : il a été blessé le 27 juillet de deux éclats d’obus à la cuisse droite. En contrepoint, force est de reconnaître que Brissaud-Desmaillet, soufflant le chaud et le froid, ne manque pas – à l’occasion – de se montrer magnanime, comme le prouve ce passage du JMO de la 26e batterie du 31e régiment d’artillerie de campagne (31e RAC), en date du 27 juillet :
A 14 h. 45, le chef d’escadron transmet à la batterie les félicitations du colonel commandant l’A.D. 129 pour la brillante préparation de l’attaque de ce jour. La batterie avait reçu précédemment communication de l’ordre de félicitations ci-après du chef d’escadron, relatif aux opérations des journées des 20 juillet au 22 juillet :
Le Chef d’escadron aux batteries 24e, 25e, 26e et 12e du 33e régiment.
A plusieurs reprises au cours de la préparation de l’attaque d’aujourd’hui, le Général commandant la brigade de chasseurs a exprimé toute sa satisfaction pour la précision des tirs du groupement des batteries de l’Eber-Wald. Il a témoigné tous ses remerciements à ces batteries pour l’effort qu’elles ont fourni au cours de l’attaque. Le Chef d’escadron commandant le Groupe savait en promettant au Général l’appui de ses batteries jusqu’à la limite de leurs moyens qu’il n’allait pas au-delà du dévouement et de la bonne volonté de ses artilleurs. Il les remercie tout particulièrement de leur belle tenue au feu depuis 48 heures et adresse ses chaleureuses félicitations aux lieutenants des batteries pour leurs efforts constants dont il apprécie toute la valeur. (SHD 26 N 962/19)
Malgré tout, le 6 août, pour les artilleurs de la 41e batterie du 1er RAM, le mal est fait, le poison du doute instillé, l’opprobre déjà diffusé. Et tout ne s’achève pas là, puisque vient le temps des récompenses décernées… ou non.
L’attribution des lauriers et louanges
Une fois passé le coup de boutoir allemand du 4 août, le colonel Brissaud-Desmaillet s’adresse très rapidement à ses troupes dans un texte dont le contenu laisse songeur :
VIIe Armée / 129e Division / 3e Brigade de Chasseurs
5 août 1915, 10 h. 30
Le Colonel Brissaud, commandant la 3e Brigade de Chasseurs Alpins aux chefs de corps des troupes Linge – Schratzmännlé
Officiers, sous-officiers, caporaux, clairons, chasseurs et soldats des troupes de défense de la position conquise Linge – Schratzmännelé.
Le Commandant de la 3e Brigade de Chasseurs, commandant les troupes, est heureux de transmettre aux 5e, 14e, 15e, 27e, 30e, 54e, 106e, 115e et 121e bataillons de chasseurs, ainsi qu’au 7e bataillon du 359e Régiment, les félicitations du Général commandant la 129e Division, pour leur opiniâtre et glorieuse résistance sur les positions conquises.
La consigne était de tenir jusqu’au bout. Elle a été observée d’une façon parfaite. Sur le seul point, très limité, où l’ennemi a réussi à prendre pied, les chasseurs sont morts au poste d’honneur, sans reculer d’une semelle. Honneur à ces braves écrasés par la mitraille avant d’avoir pu combattre à la baïonnette.
Le bombardement infernal, sans précédent dans cette guerre, de l’aveu même des officiers d’artillerie, qui a bouleversé, pendant douze heures consécutives, vos tranchées et vos abris, n’a pu troubler votre calme. Serrant les rangs, vous n’avez pas cessé de réparer les brèches causées par les obus, et vous vous êtes retrouvés en pleine possession de vos moyens pour repousser les retours offensifs ennemis et exécuter de vigoureuses contre-attaques à la baïonnette et à coups de grenades.
Je vous exprime toute ma satisfaction et mon admiration pour votre vaillance. Je suis fier d’être votre chef.
Signé : Brissaud
Pour copie conforme : le capitaine Masseran (SHD 24 N 2381)
Si la réalité des combats, et de ses effets immédiats, est relativement lissée, le plus dérangeant est ailleurs. Puisque le commandant de la 3e brigade de chasseurs transmet ici les félicitations du commandant de la 129e DI, il est étonnant, pour ne pas dire plus, de ne voir mentionnés que des chasseurs et le bataillon du 359e RI ayant participé aux combats. C’est indéniable : l’écrasante majorité des tués du 4 août est constituée de chasseurs et de fantassins. Ils n’ont cependant pas été les seuls engagés. Quid du génie, des territoriaux, du train, du service de santé, et de l’artillerie ?
Chez les artilleurs, en sus de celles du 1er RAM (le sous-lieutenant Marcel Arnaud étant également blessé le 4 août), des pertes sont en effet enregistrées au sein de plusieurs régiments d’artillerie, entre le 20 juillet et ce fatidique 4 août : le 9e RAC, le 31e RAC, le 33e RAC, le 44e RAC, le 8e régiment d’artillerie à pied (8e RAP), ou encore le 1er régiment d’artillerie lourde (1er RAL). Dans ce dernier régiment, 9 hommes sont blessés le 4 août. Si le général d’Armau de Pouydraguin avait, en avril 1915, « l’honneur de demander » que les observateurs de l’artillerie lourde « viennent se placer dans nos tranchées de 1re ligne afin de mieux voir les coups qui échappent à l’observation des postes du Noirmont et du Hörnleskopf », son vœu a été exaucé. En effet, parmi ces 9 blessés du 1er RAL, le lieutenant Félix Jombart, dont la citation de septembre 1915 indique qu’il a été « blessé le 4 août 1915 alors qu’il observait aux tranchées de première ligne pour sa batterie », a été touché par des éclats d’obus, puis a développé une gangrène gazeuse et a dû être amputé de la jambe gauche. Le maître ouvrier Louis Lesne, grièvement blessé, est amputé de la jambe gauche lui aussi. Quant au 2e canonnier servant Victor Poix, il y perd l’œil droit. Ce dernier n’obtient pas même une citation pendant que la 129e DI et la 3e brigade de chasseurs procèdent aux demandes de récompenses pour les participants aux combats du 4 août.

Ainsi, le 7 de ce même mois, le général Nollet adresse au général de Maud’huy les recommandations suivantes :
La 3e Brigade de Chasseurs quitte aujourd’hui le Linge après dix-huit jours de rudes combats. Cette admirable troupe a fait preuve, pendant cette période, de la plus grande bravoure et d’une exceptionnelle ténacité. J’ai l’honneur de vous demander de la citer à l’Ordre de la VIIe Armée.
Je me permettrai d’appeler votre bienveillante attention sur son jeune Chef, le Colonel Brissaud-Desmaillet, et sur son adjoint, le Lieutenant-Colonel Messimy. Je vous demande de les citer à l’Ordre de l’Armée pour les motifs ci-après :
Colonel Brissaud-Desmaillet, Commandant la 3e Brigade de Chasseurs. A préparé avec un soin extrême et un grand sens d’organisation les opérations du 20 juillet au 6 août. A fait preuve des plus belles qualités d’endurance, d’entrain, de bravoure personnelle pendant ces opérations. »
Lieutenant-Colonel Messimy, Commandant un Groupe de Bataillons de Chasseurs. A rendu des services absolument exceptionnels dans la préparation et l’organisation des opérations du 20 juillet au 6 août. Brillante attitude au feu pendant ces opérations. Atteint le 27 juillet, à 8 heures du matin, de deux éclats d’obus, ne s’est rendu à l’ambulance qu’à huit heures du soir ; a continué, pendant douze heures, à remplir sous le feu, la mission qui lui avait été confiée, donnant ainsi à tous le plus bel exemple d’énergie et de sentiment du devoir.
Je vous demanderai, pour le Lieutenant-Colonel Messimy, la rosette d’Officier de la Légion d’Honneur.
J’ai prescrit au Colonel Brissaud d’établir pour sa troupe les propositions de récompenses qu’il juge méritées. Je vous transmettrai, avec mon avis personnel, le dossier de ces propositions dès qu’il me sera parvenu.
Mais je juge opportun de vous signaler dès maintenant, les quatre chefs de corps de cette Brigade, savoir :
Les Commandants de Reyniès, du 14e Bataillon de Chasseurs
Et Bouquet, du 30e,
Qui se sont qualifiés, au cours de ces opérations, pour recevoir au plus tôt le commandement d’un Régiment à trois bataillons ;
Le Commandant L’Eleu, du 70e Bataillon, atteint d’une blessure très grave, pour lequel je vous ai demandé la rosette de la Légion d’Honneur et auquel vous avez bien voulu l’accorder.
Le Capitaine Touchon, Commandant le 54e Bataillon, qui, atteint de trois blessures, a conservé son commandement, l’a exercé dans les circonstances les plus difficiles, avec le brio le plus remarquable et a su donner à sa troupe, composée en majeure partie de territoriaux, la résistance des meilleures troupes avec l’entrain des plus jeunes bataillons.
Le Capitaine Touchon a été proposé pour Chef de Bataillon à titre temporaire ; cette promotion régulariserait sa situation. La rosette de la Légion d’Honneur serait la juste récompense de sa belle conduite.
Je vous adresserai en temps utile des propositions concernant tous ces officiers supérieurs.
Signé : Nollet (SHD 24 N 2381)
Le général Nollet semble ne plus faire montre de griefs envers Messimy ou Brissaud-Desmaillet, et aucun artilleur n’est mentionné, et ce qui se produit sur le terrain, ce 7 août, ne saurait améliorer les choses : à 15 heures 30, le chef de bataillon Achille Dussauge, du 15e BCP, fait parvenir au colonel Mariano Goybet, commandant la 81e brigade, une courte note manuscrite portant ces mots .
Le capitaine Petitpas signale que notre artillerie tire sur les éléments les plus avancés de la 3e compagnie du 27, c’est-à-dire à 70 mètres environ au Sud Ouest de H. » (SHD 24 N 2380).
Si des avis convergents ont déjà visé l’artillerie depuis plusieurs mois, les critiques portées contre les artilleurs n’en sont donc pas à leur terme, bien au contraire. Au « Rapport sur l’historique, la préparation et l’exécution des attaques de la 3e brigade sur la position Linge – Schratzmännele », rédigé par le colonel Brissaud-Desmaillet peu de temps après la relève de sa brigade est jointe une annexe intitulée « Journée du 20 juillet. Témoignages d’officiers au sujet de l’insuffisance de la préparation d’artillerie sur les réseaux de fil de fer de la Courtine et sur flanquements » (SHD 24 N 2381).
Ces 16 pages, qui sont une charge violente contre l’artillerie, rassemblent les déclarations du capitaine Charles Gœtschy (commandant la compagnie de mitrailleuses de la 3e brigade), du lieutenant François Herbette (de l’état-major de la 3e brigade), du sous-lieutenant Henri Vallon (de l’état-major de la 3e brigade), du chef de bataillon Louis Bouquet (commandant le 30e BCA), du capitaine Marie Joseph de Fabry-Fabrègues (du 30e BCA), du capitaine Joseph Berge (du 30e BCA), du capitaine Robert Donnadieu (du 30e BCA), du lieutenant Pol Magne (du 30e BCA), du lieutenant Marcel Doligez (du 30e BCA), du lieutenant François Graglia (du 30e BCA), du sous-lieutenant Parfait Chazot (du 30e BCA), du chef de bataillon Roger L’Eleu (commandant le 70e BCA), du capitaine Guillaud (du 70e BCA), du capitaine Marius Brun (du 70e BCA), du capitaine Camille Marion (du 30e BCA).
S’il est tout à fait exclu de discuter le contenu de ce qu’ont exprimé ces combattants, il n’en demeure pas moins que leurs déclarations concordent avec ce qu’en a écrit Christophe Robinne, dans un extrait de sa thèse cité ci-dessus et que nous reprenons afin d’en souligner la teneur et le rôle :
[…] En outre, d’autres sources non identifiées le soupçonnent également « d’avoir voulu son petit combat, et que s’il y a eu des pertes notables, c’est de [sa] faute ». Les rumeurs vont donc bon train.
Afin de circonscrire ces ragots, Brissaud-Desmaillet et au moins vingt-trois officiers de plusieurs bataillons de chasseurs et de régiments, des grades de chef de bataillon à lieutenant, rédigent des rapports en faveur de Messimy. Dès lors, le commandement décide de mettre fin à cette campagne de dénigrement, un peu tard puisque certaines « des calomnies […] répandues sont parvenues jusqu’à monsieur Abel Ferry, secrétaire d’État aux Affaires Étrangères » [Rapport n°4s du 21 août 1915 du colonel Brissaud-Desmaillet, commandant la 3e Brigade de Chasseurs, à Monsieur le général commandant la 47e DI. AN – 509AP8, Fonds privé Adolphe Messimy]. » (in Christophe Robinne, op. cit.).
Et ce même auteur d’ajouter en note :
Brissaud-Desmaillet lui conseille de rédiger un rapport sur l’affaire du Linge, « sur la genèse, la préparation, l’exécution », en écrivant tout ce qu’il y a d’intéressant. [Rapport n° 5134 du 19 août 1915 du colonel Brissaud-Desmaillet, commandant la 3e Brigade de Chasseurs, Bruits circulant sur le compte du lieutenant-colonel Messimy ; Lettre du colonel Brissaud-Desmaillet du 29 août 1915. AN – 509AP8, Fonds privé Adolphe Messimy]. (ibid.)
Or, il rappelle en outre un élément essentiel :
La 3e Brigade de chasseurs est placée en première ligne, avec un dispositif articulé comme suit : à droite, le 22e BCA sous les ordres du chef de bataillon Richard, a pour objectifs la conquête du Barrenkopf et du nord de la Courtine. Au centre, les 30e et 70e BCA, commandés par le lieutenant-colonel Messimy, doivent occuper le sud de la courtine et la grande carrière du Schratz. Cette action ne doit être déclenchée que si les attaques latérales réussissent et couvrent ses flancs. A gauche, les 14e et 54e BCA du chef de bataillon de Reyniès ont pour mission de s’emparer du Lingekopf puis de Schratzmännele par la crête. Un bataillon du 359e RI doit assurer la défense du front dans le sous-secteur Sud. (ibid.)

SHD 24 N 2396
Ce décalage chronologique entre les attaques des flancs et celle du centre a déjà fait l’objet d’études et de critiques dont la moindre n’est sans doute pas celle du général René Pichot-Duclos, alors attaché à la division de l’aéronautique du G.Q.G. :
[…] le colonel Brissaud, commandant de l’infanterie, avait prévu un décalage pour la partie centrale de son attaque, confiée à deux bataillons que devait commander Messimy alors que les deux ailes partaient à l’heure H. La raison, je l’avoue, m’en avait échappé quand j’avais eu en main le plan de l’attaque avec mission de formuler un avis à son sujet ; Hergault et le général de Boissoudy m’ont confié depuis que leur sentiment avait été conforme au mien, mais les intéressés tenaient tellement à ce décalage qu’on l’avait accepté ; Messimy avait même obtenu de l’augmenter légèrement ; ce fut de ma part une erreur de m’y rallier dès le principe ; je l’avais supposé justifié par un détail topographique dont je n’avais pas le moyen d’apprécier la valeur de Chantilly, alors qu’il eût été plus prudent de m’en tenir à la sagesse des nations, « le mieux est l’ennemi du bien » ; or ce décalage fut catastrophique : impressionné, pendant la progression des bataillons partis à l’heure H, par des feux émanant d’organes qui semblaient intacts dans la zone placée devant lui, Messimy avait demandé un complément de préparation et finalement n’avait pas lancé sa fameuse attaque décalée ; son abstention eut pour résultat de maintenir sous des tirs d’écharpe prolongés, ses voisins, de sorte que les contre-attaques déclenchées dès la nuit nous firent perdre la majeure partie du terrain conquis. En raison de cette attitude difficilement justifiable, le général de Maud’huy signifia que le lieutenant-colonel Messimy n’exercerait plus de commandement et serait confiné dans le rôle de ad latus de Brissaud ; comme sa bravoure personnelle était hors de cause, j’ai toujours pensé que redoutant un insuccès pour ses deux bataillons, il avait cherché à l’éviter sans se rendre compte qu’on ne peut pas en vouloir à ceux qui, ayant un front d’attaque ingrat, ne réussissent pas pour eux mais font réussir l’ensemble ; une autre cause de la limitation du succès fut située dans le manque d’entraînement de nos bombardiers, mis en batterie sur des emplacements découverts où leur tir trop lent les avait fait repérer par les fumées. (général Pichot-Duclos, « Réflexions sur ma vie militaire. Au G.Q.G. de Joffre »).
Au final, rien ne semblait faire sens dans ce qui s’était produit, et dans ce sinistre enchaînement d’événements : ces attaques d’infanterie décalées mais approuvées, une préparation d’artillerie effectivement inefficace, puis des bataillons sacrifiés tant sur les ailes qu’au centre – à savoir dans les rangs des 30e et 70e BCA. Or, parmi les 15 signataires des témoignages inclus dans l’annexe au rapport de Brissaud-Desmaillet précédemment cité, 12 appartenaient à l’un ou l’autre de ces deux bataillons. Qu’ils aient judicieusement témoigné de ce qu’ils ont vécu sur le terrain, et de l’inefficacité de la préparation d’artillerie sur leurs objectifs, ne se discute nullement, que Brissaud-Desmaillet ait pu faire feu du bois de leurs écrits pour alléger les critiques pesant sur Messimy est autrement plus problématique, mais la ficelle paraît pourtant bien grosse. Au final, le pan de l’histoire du Linge concernant ces deux officiers trouve sa conclusion quelques mois plus tard, comme en atteste ce courrier du commandant de la VIIe Armée :

En fin de compte, c’est là qu’émerge une autre question : celle de la mission donnée par le commandant de la 3e brigade de chasseurs à ces artilleurs du 1er RAM.
Le 1er août, cette mission est remplie en fin de journée grâce à des tirs sur les pentes Est du Schratzmännele. Comme nous l’avons vu, cette pièce semble être inemployée le lendemain et le surlendemain. Le 4 août, à 12 heures 45, le colonel Brissaud-Desmaillet ordonne que cette pièce reprenne son tir sur les mêmes objectifs. A 16 heures 40, il informe les chefs de corps des 106e, 5e et 14e bataillons de chasseurs que « la pièce de 65 va tirer en tir rapide toutes ses munitions, ceci fait elle sera reportée à l’arrière du poste de commandement du commandant du 54e bataillon. » Enfin, souvenons-nous de ce qu’a déclaré le capitaine Ernest Le Masson dans son rapport :
Le lieutenant Chardon avait reçu du colonel commandant la 3e brigade, l’ordre verbal de mettre sa pièce en 2e ligne puisqu’elle ne servait à rien, étant au Linge depuis le 26 juillet et en batterie depuis le 1er août pour tirer en tout 26 obus par-dessus les arbres, dans la direction du Schratzmännele, seule direction possible. Le lieutenant n’avait pu exécuter encore cet ordre, exécutable de nuit seulement.
A tout le moins étrange apparaît l’allusion à une pièce qui « ne servait à rien », appelée pourtant à rester ensuite sur un emplacement si proche de la première ligne. Les volées de bois vert dispensées depuis plusieurs mois par deux fantassins de formation, Messimy et Brissaud-Desmaillet, ne peuvent que faire planer le doute, pour le moins, sur le peu de cas fait de ces artilleurs, mais aussi sur une compréhension très relative (et très personnelle) de leur emploi dans la guerre de montagne.
Ceci posé, revenons aux propositions de citations et promotions faites le 7 août par le général Nollet, et aux suites qui leur ont été données :
- Le colonel Georges Brissaud-Desmaillet est cité à l’ordre de l’Armée fin août 1915 (dans les termes proposés par le général Nollet).
- Le lieutenant-colonel Adolphe Messimy est cité à l’ordre de l’Armée fin août 1915 (également dans les termes proposés par le général Nollet). Cependant, il n’obtient la rosette d’officier de la Légion d’honneur qu’en octobre 1916.
- Le commandant Antoine de Seguin de Reyniès, du 14e BCA, ne passe au 402e RI (et non au 102e RI, comme l’indique sa fiche matricule) que le 25 mars 1916, puis au 48e RI début avril 1916 comme lieutenant-colonel.
- Le commandant Louis Bouquet, du 30e BCA, est tué le 17 septembre 1915.
- Le commandant Roger L’Eleu, du 70e BCA, officier de la Légion d’honneur depuis le début août 1915, est tué le 20 juillet 1916.
- Le capitaine Robert Touchon, du 54e BCA, est promu chef de bataillon à titre temporaire le 15 août 1915, et affecté au 115e BCA ; il n’est fait officier de la Légion d’honneur qu’en octobre 1917.
Et les autres…
Outre les officiers – tous chasseurs – cités ou promus, il convient de se demander ce qu’il est advenu des autres parties prenantes de cette affaire, impliquées de plus ou moins près, à des titres divers.
- Le peloton de mitrailleuses du 54e BCA , comme le souhaitait le colonel Brissaud-Desmaillet, est effectivement cité : « Le peloton de mitrailleuses du 54e bataillon de chasseurs, sous le commandement du lieutenant Vidal : s’est mis en batterie en terrain découvert à moins de 50 mètres des blockhaus ennemis et, par sa fermeté, a permis aux troupes voisines de se maintenir malgré les attaques violentes de l’ennemi. » (Journal Officiel de la République Française, 28 octobre 1915).
- Le lieutenant-colonel Etienne Segonne : engagé volontaire pour 5 ans au titre de l’Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr en 1886 ; chef de bataillon à l’état-major de la 14e DI à l’entrée en guerre ; lieutenant-colonel à la 5e brigade de chasseurs du 5 mai au 25 août 1915. Cité à l’ordre de l’Armée en août 1915 (« N’a cessé de se faire remarquer depuis le début de la campagne d’abord comme chef d’état-major d’une division d’infanterie, puis comme adjoint au commandant d’une brigade, notamment le 22 juillet 1915, a fait preuve d’une superbe énergie dans la conduite d’une attaque contre une position ennemie formidablement défendue, a fait preuve de belles qualités militaires dans l’organisation et l’exécution des attaques du 20 juillet au 6 août. »).
- Le lieutenant-colonel Ange Cornu de la Fontaine : engagé conditionnel d’un an en 1887, puis sursitaire, admis à l’Ecole Polytechnique en 1888, placé hors cadre en 1906. Il est fait officier de la Légion d’honneur en septembre 1915.
- Le chef de bataillon Louis Braquet : engagé volontaire pour 3 ans au titre de l’Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr en 1891 ; chef de bataillon en octobre 1914. Il est fait chevalier de la Légion d’honneur fin octobre 1915.
- Le lieutenant Victor Heitzmann : lieutenant de réserve au 10e BCP à la mobilisation ; passé au 121e BCP le 4 avril 1915. Sa citation est la suivante : « Placé à un poste extrêmement dangereux, a par son ascendant, sa belle attitude au feu, son exemple, maintenu à son poste 2 pièces mises hors de service. »
- Le lieutenant Gaston Vidal : sous-lieutenant de réserve en 1911, lieutenant en janvier 1915. Cité à l’ordre de l’Armée en septembre 1915 (« Officier d’un rare courage et d’un dévouement absolu, a rendu les plus grands services au bataillon du 20 au 23 juillet par son intelligence, son ardeur et son mépris du danger. »).
- Le sous-lieutenant Adolphe Germain : engagé volontaire pour 5 ans en 1912, admis à l’Ecole Centrale en 1913, sous-lieutenant de réserve en août 1914.
- Le capitaine Ernest Le Masson : engagé volontaire pour 3 ans au titre de l’Ecole Polytechnique en 1892 ; capitaine au 1er RAM en 1911. Blessé le 7 octobre 1915 par éclat d’obus, amputé de la cuisse droite. Sa citation est la suivante : « Officier d’élite, a commandé avec distinction un groupement de plusieurs batteries au cours de juillet-août 1915 ; a donné de nouvelles preuves de ses remarquables qualités professionnelles et de sa bravoure ; grièvement blessé, a été amputé de la jambe droite. »
- Le lieutenant Robert Le Masson : incorporé en 1908, aspirant à l’Ecole Militaire de l’Artillerie et du Génie en 1911, sous-lieutenant en 1912, lieutenant au 33e RAC en octobre 1914 ; blessé par éclat d’obus à la cuisse gauche le 4 août 1915. Cité à l’ordre de l’Armée en septembre 1915 (« Détaché pour une attaque auprès du commandant de l’infanterie comme observateur, a rendu des services exceptionnels et fait preuve du plus profond mépris du danger. A permis des réglages de précision sur les organes de flanquement ennemis en se portant à moins de cent mètres de ces organes. »).

- Le lieutenant Charles Chardon : admis à l’Ecole Polytechnique en 1907 ; engagé volontaire pour 4 ans en 1909 ; sous-lieutenant de réserve en 1910, lieutenant de réserve en 1913. Cité à l’ordre de l’Armée en octobre 1915 (« A poussé une pièce de 65 dans la tranchée de première ligne pour aider la progression de l’infanterie ; a montré dans sa mission la plus grande bravoure et l’initiative la plus intelligente. Au moment d’une offensive adverse, a défendu sa pièce à coups de grenades, puis est tombé mortellement blessé. »).

(https://www.polytechnique.edu/bibliotheque/actualites/chardon-charles-x1907)
- Le lieutenant Paul Leandri : engagé volontaire pour 4 ans en 1902, lieutenant en avril 1911. Cité à l’ordre de l’artillerie divisionnaire en janvier 1916 (« A conduit une section de 65 dans les bois pour appuyer à courte distance l’action de l’infanterie arrêtée dans ce bois. »).
- Le maréchal des logis André Brisson : incorporé au 1er RAM le 6 septembre 1914, maréchal des logis avec le titre d’élève officier de réserve en mars 1915, passé à la 41e batterie du 1er RAM en mai 1915.
- Le maréchal des logis Jean Verger : mobilisé en tant que 1er canonnier servant au 1er RAM, brigadier en septembre 1914, maréchal des logis en juillet 1915. Cité à l’ordre de l’Armée en septembre 1915 (« Chef de pièce dans une section de montagne portée à hauteur des tranchées de première ligne, a fait preuve de la plus belle énergie en maintenant l’ordre autour de lui, sous un bombardement violent, son chef de section venant d’être tué à ses côtés. »).
- Le maître pointeur Jules Charpin : incorporé au 2e RAM en octobre 1909, passé au 1er RAM en 1911 ; rappelé au 1er RAM, arrivé le 6 août 1914.
- Le maître pointeur Alexandre Bordon : mobilisé en tant que maître pointeur au 1er RAM, blessé par balle (fracture de l’humérus gauche) le 4 août 1915. Cité à l’ordre de la division en septembre 1915 (« Belle tenue au feu ; blessé à son poste sous un violent bombardement. »).
- Le canonnier Jean Gouny : incorporé en septembre 1914 au 1er RAM, blessé par éclat d’obus (région sous-claviculaire gauche) le 4 août 1915. Cité à l’ordre de la division en septembre 1915.
- L’infirmier François Larrivé : mobilisé en tant que 1er canonnier conducteur au 1er RAM. Cité à l’ordre de la division en septembre 1915 (« Accompagnant une section de 65 de montagne qui avait pénétré dans le bois appuyer de très près une attaque, a donné tout seul les soins médicaux à de nombreux blessés pendant 2 heures et sous un bombardement en attendant l’arrivée du médecin. »).
Dans leur très grande majorité, ces hommes sont restés dans l’ombre. De l’engagement des artilleurs dans ces combats, l’histoire n’a retenu que quelques noms, d’officiers surtout, ainsi :
- au 1er RAM :
Le lieutenant Charles Victor Rollet, de la 41e batterie, blessé d’un éclat d’obus à la tempe gauche le 26 juillet ;
- au 9e RAC :
Le sous-lieutenant Jean Philippe Raymond Guinard et le capitaine Pierre Félix Tourniol, de la 29e batterie, blessés par éclats d’obus le 20 juillet ;
L’aspirant Louis Auguste Lalande, de la 29e batterie, blessé à la cuisse droite par éclats d’obus le 22 juillet ;
- au 31e RAC :
A la 25e batterie, le 20 juillet, le lieutenant Jean Baptiste Belleil, blessé au visage par éclats d’obus, et le sous-lieutenant Henri Jules Foubert, grièvement blessé à la cuisse gauche, amputé, et mort de ses blessures le 23 juillet ;

- au 44e RAC :
Le sous-lieutenant Robert Henri Barbé, blessé par éclats d’obus le 1er août ;
- au 8e RAP :
Le sous-lieutenant René Emile Benoît, blessé par éclats d’obus à la tête le 22 juillet ;
- au 1er RAL :
Le capitaine Jean Joseph Fromageot, blessé au visage par éclats d’obus et le lieutenant Achille Joseph Lhotellerie, blessé au bras gauche par éclats d’obus, le 1er août ;
- détachés à l’artillerie divisionnaire de la 129e DI :
Le sous-lieutenant Albert Armand Badenhuyer et le capitaine Henri Morlière, tués tous deux à l’observatoire de l’Hörnleskopf le 26 juillet.
Les nombreux sous-officiers et artilleurs ayant eu un comportement héroïque sous les tirs allemands méritent amplement un mémorial, afin d’être tirés de l’oubli des combats du Linge. Parmi les officiers que nous venons de citer, la postérité a retenu le nom de Morlière, donné au camp proche du Wettstein et à l’observatoire R66 de Mülwenwald, et celui de Badenhuyer, donné à un observatoire de commandement situé à Bichstein, à la Cote 939. C’est bien peu, et c’est un autre sujet.


En guise de conclusion
« Il n’y a pas de grand homme, dit-on, pour le valet de chambre ; mais cela vient simplement de ce que le grand homme ne peut être reconnu que par ses pairs. Le valet de chambre saura probablement bien apprécier ses égaux », écrivait Goethe. Dans l’histoire des combats du Linge, les officiers supérieurs et généraux ont toute leur place ; les officiers subalternes, sous-officiers, caporaux, chasseurs et soldats – dont les artilleurs – y ont également la leur.
Ceux qui ont eu à mener des hommes au combat, et donc à la mort, ne sauraient être jugés avec un minimum d’équité et d’impartialité que par leurs pairs. Ceux qui ont affronté la mort sont eux aussi à même de juger leurs pairs. Nous ne faisons partie, ni des premiers, ni des seconds.
Nous n’avons tenté ici que de présenter des éléments factuels et circonstanciés, afin d’éclairer des zones d’ombre auxquels ont été relégués des pans du 4 août 1915.
Dans cette triste affaire des artilleurs de montagne déshonorés, ne serait-ce que temporairement, ce ne sont sans doute pas leurs chefs qui sont les plus blâmables, puisque toute cette affaire a vu le jour à l’émission d’une déposition émanant d’un lieutenant dont le caractère fantasque est de notoriété publique.
Ne doutons pas qu’à hauteur de tranchées, même s’il ne s’agit pas de tomber dans un angélisme béat, le Linge les a vus plus d’une fois unis, ces « Chasseurs et Artilleurs dans un même combat pour vaincre ». Mais de cela, seuls de vrais frères d’armes ont pu juger.
Avec nos très sincères remerciements à Florian Hensel et Patrick Germain.
