4 août 1915 entre quasi-catastrophe et désignation de boucs émissaires (1/3) : la distorsion des JMO

En cette fin d’année, Eric Mansuy nous offre une analyse magistrale en trois épisodes de la journée 4 août 1915 à la bataille du Linge. Journée terrible, où près de 40 000 obus furent tirés sur les lignes françaises, une densité d’obus sur cette journée qui n’avait rien à envier à Verdun un an plus tard. C’est durant ces tirs que le commandant Barberot trouva d’ailleurs la mort. 

Dans cette première partie, Eric reprend le déroulé de la journée et ce que vivent les soldats et le commandement français. Un récit qui diverge en bien des points de ce que les JMO reprendront. 

Merci à Eric pour avoir repris les détails, les oublis et les mensonges de cette journée terrible.

Une nuit, comme je faisais les cent pas le long de la batterie, un petit groupe silencieux passe auprès de moi. Des brancardiers portent une civière. A ce moment monte une fusée, qui jette une lueur blafarde, et je vois un mort. « C’est le lieutenant Chardon de la batterie de montagne, qu’on ramène du Linge », dit un des brancardiers. Il a été tué sur le Lingekopf, où il servait une pièce à quelques mètres du boche. Il avait gravi la montagne en portant le canon sur son épaule. Et, en voyant passer ce corps sanglant, qu’on descendait de son calvaire, je songeais au Christ qui avait porté sa croix… » (Pierre de Mazenod, « Les Etapes du sacrifice »)

Si les trois mois des plus durs combats du Linge ont été un enfer, le 4 août 1915, en leur sein, a culminé parmi les pires journées dans l’échelle de la souffrance. En quelques heures d’épouvante, les lignes françaises ont été la cible d’une violence inédite, aux conséquences terribles sur une partie des effectifs l’ayant subie. Certes, les témoignages des combattants qui ont été plongés dans ce chaos révèlent leur abasourdissement sous les coups reçus, même chez les plus endurcis. Et pourtant, tout n’a pas été écrit sur cette sinistre journée de combats. Car entre la réalité du terrain et ce qui en a été transcrit dans les Journaux de Marches et Opérations (J.M.O.) existe parfois une distorsion pour le moins gênante, comme nous allons le voir à la comparaison des premiers comptes-rendus à l’échelon de la brigade et de ce qui figure dans les sources ultérieures. Plus gênant encore sans doute est le traitement réservé à quelques malheureux artilleurs, boucs émissaires au cœur d’un marasme dont ils ont fait les frais à plus d’un titre. Une expression, en anglais, peut leur convenir, hélas : « to add insult to injury », qui consiste en quelque sorte à jeter du sel sur la plaie. Que s’est-il vraiment passé dans les tenants et aboutissants du 4 août 1915 et de la nuit suivante, et qui en a fait les frais ? Tel est ce que nous allons tenter d’éclaircir.

40 000 obus et des unités sous le choc

Le 4 septembre 1915, dans son « Rapport sur les opérations dans la vallée de Munster » adressé au général Dubail, commandant le Groupe d’Armées de l’Est, le général de Maud’huy, commandant la VIIe Armée, écrit ce qui suit :

Il [l’ennemi] voulut alors agir sur notre moral et le briser : du 4 au 6 août, il déchaîna sur toute la région des attaques, celle des camps et des communications en arrière, un bombardement inouï avec obus de tous calibres, jusqu’au 380 !! La route de la Schlucht fut travaillée avec du 420 !!!! Cette réaction brutale n’eut pas le résultat attendu, les 40.000 projectiles envoyés au cours de la seule journée du 4 août détruisirent nos abris, nos communications, aucune attaque de l’infanterie ennemie ne se produisit. (Service Historique de la Défense (SHD) 19 N 1303).

En quelques mots et une formule assez lapidaire, rien n’est dit des pertes subies et, c’est un euphémisme, une grande liberté est prise avec la réalité, qui figure sans ambiguïté, en revanche, dans le JMO de la 3e brigade de chasseurs :

Ne trouvant devant eux dans nos tranchées de 1ère ligne presque comblées que quelques combattants encore valides luttant désespérément au milieu des morts et des blessés, les Allemands réussissent à s’emparer de toute notre première ligne depuis le Collet du Linge jusqu’au blockhaus Nord du Lingekopf. (SHD 26 N 557/3)

Tout en masquant les événements factuels et les conséquences d’un pilonnage d’artillerie effectivement suivi d’une attaque d’infanterie, ce rapport passe également sous silence ce qu’ont accompli des hommes qui, après avoir plié sous les coups de boutoir, ont fait tout leur possible pour reprendre le terrain perdu. Cette injustice du rapport daté du 4 septembre n’est pourtant pas la première.

En toute objectivité, et les témoignages de combattants n’éludent pas le sujet, toutes les unités ont plié ou craqué en cette journée du 4 août, à des degrés divers selon l’emplacement occupé et la brutalité du pilonnage et de l’incursion ennemie. Tel était pour les Allemands le but recherché, qui a été atteint. Il est hors de question de blâmer des hommes exposés à un tel déluge de feu, et il convient d’autant plus de louer l’héroïsme avec lequel ils ont tenté de contre-attaquer dans un tel maelström, avec le peu de moyens en leur possession. Le contenu du JMO de la 3e brigade de chasseurs ne manque pas, à juste titre, de leur rendre hommage :

Nous perdions en tout, malgré un bombardement effroyable et l’attaque de tout un régiment à 3 bataillons sur un front de 400 m. au plus, une bande de terrain de 15 à 40 m. au plus de profondeur sur un front de moins de 150 m. Toute avance ennemie était enrayée, mais beaucoup de nos unités étaient épuisées et parfois réduites à une trentaine d’hommes ; sur plusieurs points existait un mélange complet de compagnies de différents corps. Des renforts devenaient indispensables. […] Quels que faibles qu’aient été les gains de l’ennemi, ils lui coûtaient aussi très cher comme le prouvait le nombre considérable de cadavres laissés devant toutes nos lignes. Si, après un véritable écrasement, il avait pu enlever une parcelle de notre première ligne, il n’avait pu aller plus loin et même au prix de très fortes pertes, il n’avait pu déboucher grâce à l’opiniâtre et la glorieuse résistance de toutes les unités engagées. (SHD 26 N 557/3)

Si les unités de la droite de la ligne ont échappé au pire, celles du centre et de la gauche ont reçu les coups les plus rudes, et sont celles qui ont eu pour mission de résister, voire contre-attaquer. L’ordre d’opérations n°1 de la 3e brigade de chasseurs, signé par son commandant, le colonel Georges Brissaud-Desmaillet, le 4 août à 12 heures 45, et adressé aux commandants des 5e, 14e, 15e, 30e, 54e, 106e, 115e et 121e bataillons de chasseurs et au commandant du 7e bataillon du 359e régiment d’infanterie, précise la répartition de ces différentes unités :

1°. Groupe de droite :

Commandant : Chef de Bataillon Dussauge, commandant le 15e Bataillon : 15e et 115e Bataillons, 3 compagnies du 27e.

2°. Groupe du centre :

Commandant : Chef de Bataillon Barberot, commandant le 5e Bataillon : 5e Bataillon, 2 compagnies du 54e Bataillon.

3°. Groupe de gauche (Centres de résistance 2, 3 et 4) :

Commandant : Chef de Bataillon Chenèble, commandant le 106e Bataillon : 106e Bataillon, 121e Bataillon, 7e bataillon du 359e Régiment.

4°. Réserve générale :

14e et 30e Bataillons, 2 compagnies du 54e, 1 compagnie du 27e rattachée au 54e Bataillon. 

(SHD 24 N 2381)

Comme nous l’avons évoqué, les témoignages ne cachent pas ce qui s’est réellement déroulé dans les rangs de ces unités. Tel est le cas avec Joseph Auguste Bernardin, du 5e BCP :

Vers neuf heures, les batteries du Rain des Chênes, qui nous prennent par le flanc gauche, et presque de revers, et en même temps toutes celles du secteur Sud, commencent à nous sonner : les feux convergent de trois côtés à la fois. Les projectiles, de plus en plus denses, battent surtout le boyau n°6, et le Collet du Linge où le 121e B.C.P. achève de se faire anéantir. A partir de midi, c’est un pilonnage en règle sur toutes nos positions. Deux fois avant 15 heures, les Boches amorcent une attaque au Collet du Linge, mais sans résultat : la 2e compagnie et nous-mêmes, des pentes du Schratz, les prenons en écharpe avant qu’ils soient en vue de leur objectif. Ils vont nous le faire payer. Progressivement leurs « minen », leurs obus percutants et fusants se concentrent sur nous, hachant les sapins autour du P.C. du bataillon. C’est à ce moment sans doute que le commandant Barberot est tué, et que le capitaine Marion (2e compagnie) prend le commandement du bataillon. Mais nous l’ignorons en 1re ligne.

Peut-être la 2e compagnie en sait-elle davantage, et de ce fait est-elle un peu démoralisée. Toujours est-il que privée de son chef, remise entre les mains du sous-lieutenant Fort, écrasée sous les 150 et les 210, elle abandonne sa 1re ligne et reflue dans l’ancienne tranchée allemande. Accroupi dans le boyau à quelques pas derrière ma section, et occupé à écrire à ma femme, je n’ai rien vu. Mais mes chasseurs qui ont aperçu le mouvement arrivent effarés, Boullenger [sic] en tête : « Sergent, dit-il, la 2e compagnie vient de f… le camp ! Nous allons être cernés… Les Boches vont nous « faire aux pattes » ! Sauvons-nous. » Les autres sont groupés derrière lui, attendant ma réponse. Je lis déjà sur leur visage la folle panique prête à éclater. Ce n’est pas le moment d’hésiter. Saisissant mon fusil dressé près de moi, je leur croise la baïonnette sous le nez : « Passez-moi sur le ventre si vous pouvez ! » Et comme ils reculent, tout penauds : « Tout le monde à son poste ! En vitesse ! » Ils s’en retournent la tête basse, sans un mot. Aussitôt je fais prévenir le capitaine Saillard, qui envoie notre 3e section s’échelonner le long des créneaux de la 2e compagnie, juste à temps pour arrêter les Boches qui, ayant aperçu le mouvement de recul, commencent à s’infiltrer dans la position. D’ailleurs la 2e compagnie, après un quart d’heure, vient reprendre sa place, qu’elle ne quittera plus. »

(Joseph Auguste Bernardin, « Dans la Fournaise du Linge avec le 5e B.C.P. » ; « Boullenger » est Louis François Joseph Boulanger)

Il en va de même pour Bernard Ganter, du 106e BCP :

Les Allemands commencent leur bombardement vers 10 h. du matin. Ils nous envoient beaucoup de marmites qui démolissent nos tranchées et nos abris et font plusieurs tués et blessés. Vers 5 à 6 heures, il en tombe une sur notre gourbi et nous sommes obligés de nous sauver. Nous remontons par deux fois à l’assaut mais la position étant intenable, nous venons nous mettre à l’abri sous une roche à la nuit. Je ne sais pas ce qui s’est passé mais nous ne pouvons pas bouger car les balles nous arrivent des deux côtés. La nuit se passe.

Le calvaire des 106e et 121e BCP est aussi relaté par François Tisserand, du 30e BCA :

Ça cogne de partout, mais il m’a semblé qu’à gauche sur la crête, c’était là que ça fumait le plus ; les jeunots des Bataillons de marche qui sont là-haut, ils doivent pas être à la noce. » ; « Les Allemands avaient repris toute notre première ligne. Toute la crête du Linge si chèrement conquise était perdue, les gars du 106 avaient été écrasés dans leur tranchée et des chasseurs bloqués dans les sapes s’étaient vus capturés sans pouvoir combattre. Ceux qui s’étaient repliés sur notre 2e ligne furent assez vite renforcés par une compagnie du 14e Bataillon et la 2e compagnie du 30e, et malgré la pression soutenue de l’ennemi, tinrent fermement notre deuxième position. Au Collet du Linge, sur la droite, une compagnie du 27e Bataillon était bien parvenue à reprendre une partie de notre première ligne, mais finalement les Allemands restaient maîtres du sommet.

(François Tisserand, « Le Linge, tombeau des chasseurs »)

C’est également ce qu’a énoncé Louis Noël Jourdan, du 30e BCA lui aussi :

Les Allemands attaquent à 18 heures ; ils prennent pied dans les tranchées où le terrible bombardement a écrasé deux jeunes bataillons déjà très éprouvés.

Le déroulement de cette journée de combats se dessine clairement : un pilonnage de l’artillerie allemande de plus en plus violent, un assaut de l’infanterie allemande, une résistance et parfois une contre-attaque française. Ce triptyque, excessivement synthétisé, masque néanmoins l’étendue des dégâts et le désastre tout proche. C’est ce que révèle le contenu de la succession des ordres et des comptes-rendus du colonel Brissaud-Desmaillet.

 L’engrenage du 4 août

Aussi fastidieuse cette énumération puisse-t-elle paraître, elle nous semble on ne peut plus éclairante sur l’évolution de la situation du terrain, les décisions prises et les ordres donnés, et les conséquences de ces divers éléments, mais également sur la distorsion existante avec le contenu du JMO de la 3e brigade de chasseurs à l’issue des combats. Ces ordres et comptes-rendus, issus de la cote 24 N 2381 du SHD, les voici :

 129e Division / 3e Brigade de Chasseurs

Le 4 août 1915 [13 heures]

Ordre d’Opérations N°2

I. Un retour offensif ennemi semble en voie de préparation.

Un tir d’intimidation vient d’être déclenché par notre artillerie sur les axes probables d’attaque.

II. Il résulte des interrogatoires des prisonniers et de l’expérience des combats précédents que les retours offensifs ennemis ont été exécutés sur les bases suivantes :

  • attaque directe sur les pentes Est des Carrières et du Schratzmannelé ;
  • tentative de percée sur le Collet du Linge, mouvement enveloppant par l’aile droite sur le saillant Nord du bois du Linge.

Il convient de prévoir en outre une tentative ennemie sur l’aile droite du 15e Bataillon, dans le double but de couper le 12e Bataillon et toutes les troupes du Linge de la base du Hörnleskopf (le 12e Bataillon occupe le Barrenkopf).

Cette tentative n’est pas improbable et il est prudent de parer à cette éventualité.

III. En conséquence :

  1. Mission du Groupe de Droite:

Résister à tout prix sur le front conquis ; garder à droite, en troupe réservée, une ou deux unités très solides pour enrayer net soit un fléchissement de l’aile droite (115e Bataillon), soit un mouvement débordant de l’ennemi.

Encadrer les unités du 115e par des unités du 15e ou du 27e Bataillon.

  1. Groupe du Centre:
  • Résister à tout prix sur le front conquis avec la garnison actuelle de 1re ligne (3 compagnies ¼).
  • Profiter des accalmies dans le bombardement ennemi pour relever section par section, par 2 compagnies du 54e, les 2 compagnies ¾ placées dans la ligne de soutien.
  • Replacer en deuxième ligne comme troupe de contre-attaque, les 2 compagnies ¾ restantes du 5e Bataillon.
  • Porter la compagnie fraîche du 27e dans les tranchées de 2e ligne en réserve de la troupe de contre-attaque.

Dans le cas où l’ennemi déboucherait du front G – H – R et S, l’accueillir par le feu et à coups de grenades, et le contre-attaquer aussitôt avec la troupe réservée de manière à aller prendre pied en H après l’avoir ramené.

[NDLA : ces ouvrages sont visibles sur le croquis antérieur ci-dessous (SHD 24 N 2381)]

SHD 24 N 2396
  1. Groupe de gauche:

Même mission que précédemment. Résister à outrance. Troupe de contre-attaque en cas de nécessité : 30e Bataillon.

IV. Toutes dispositions nécessaires pour le déclenchement rapide des tirs de barrage sont prises par le Groupement N°II et par le reste de l’artillerie divisionnaire sur les bases suivantes :

  • 155 T.R. et 75 : pentes Est Lingekopf et Schratzmannelé ;
  • tir des 65 et 75 : le ravin de Quimberg et route du Honack entre Cote 952 et le Bärenstall ;
  • tir 155 et 220 sur le Bärenstall et pentes au Sud Ouest de ce point.

Signé : G. Brissaud

 

129e Division / 3e Brigade de Chasseurs

Le 4 août 1915 à 14 h. 57 (transmis à 15 h. 5)

Commandant 3e Brigade à Commandant 129e Division

A 14 heures 30, le Commandant Chenèble signale des pertes très sérieuses pour le 106e Bataillon. Le 121e Bataillon a son effectif dans le centre n°2 réduit de 319 fusils à moins de 200. La 6e compagnie du 30e est éprouvée dans ses abris. La 3e compagnie de ce bataillon a été portée presque en 1re ligne au Lingekopf. La moitié des agents de liaison ont été tués dans la transmission des renseignements et des ordres. Le bombardement après une accalmie à 14 h. 30 a redoublé à partir de 14 h. 40 en obus percutants de gros calibres, sur toutes nos positions du Collet et du Lingekopf. Nous avons subi un feu violent de mitrailleuses de 14 h. 30 à 14 h. 40 venant du Rain des Chênes.

G. Brissaud

 

3e Brigade de Chasseurs

Le 4 août 1915 à 16 h. 40

Le Colonel Brissaud aux Commandants Chenèble (106e), Barberot (5e), de Reyniès (14e)

Je mets à la disposition du capitaine Latrabe, 1 compagnie du 14e (départ immédiat) pour renforcer la garnison du centre de résistance n°2. Donnez l’ordre à vos commandants de centres de résistance de tenir coûte que coûte leur position.

Avec vos réserves locales, occupez solidement les tranchées de soutien et donnez à ces troupes tous les pétards dont vous disposez.

La pièce de 65 va tirer en tir rapide toutes ses munitions, ceci fait elle sera reportée à l’arrière du poste de commandement du commandant du 54e bataillon.

J’ai donné l’ordre à l’artillerie de déclencher un tir de barrage sur les pentes Est et Nord-est du Lingekopf, et de le soutenir le plus longtemps possible. Ordre exécuté.

Signé : G. Brissaud 

 

3e Brigade de Chasseurs

Le 4 août 1915 à 16 h. 50

Compte-rendu à la Division

Bombardement redouble.

Confirme écrasement 106e et 121e, renforcés par 1 compagnie 30e, 1 compagnie 14e, 1 compagnie du 106e.

2e lignes tenues.

En prévision recul Centre 2, prescris au Commandant 5e étayer ses 2 ailes, en particulier de porter une compagnie en arrière et à gauche pour contre-attaquer sur le Collet du Linge (compagnie du 27e Bataillon si le 5e n’a pas récupéré sa troupe de manœuvre).

Signé : G. Brissaud

 

3e Brigade de Chasseurs

Le 4 août 1915 à 16 h. 50

Le Colonel Brissaud aux Commandants Barberot (5e) et Chenèble (106e)

En prévision d’un léger recul de notre défense du Collet du Linge (Centre de résistance 2), disposez une compagnie de votre troupe de contre-attaque en arrière de votre gauche de façon à l’étayer et à exécuter le cas échéant une contre-attaque sur l’ennemi si ce dernier venait à prendre pied sur le Collet.

Si vous n’avez pu constituer jusqu’à présent votre troupe de contre-attaque avec les compagnies de votre bataillon, vous pouvez employer à la mission ci-dessus indiquée, la compagnie fraîche du 27e Bataillon.

Approvisionnez largement en pétards votre première ligne et votre ligne de soutien.

Il ne s’agit plus pour le moment de penser à une attaque sur H mais de résister à tout prix sur place en étayant également vos deux ailes.

Veuillez communiquer le présent ordre au Commandant du 15e, le Commandant Chenèble est prévenu par mes soins.

Signé : G. Brissaud

 

 3e Brigade de Chasseurs

Le 4 août 1915 à 17 h. 18

Colonel commandant la 3e Brigade à Commandant Division, Hörnleskopf

Commandant 5e Bataillon tué. Le bombardement redouble d’intensité, non seulement sur la 1re ligne mais sur les pentes Ouest et sur les boyaux. Ces tirs de barrage ennemis font prévoir un déclenchement prochain de l’attaque d’infanterie. C’est un véritable enfer. J’ai téléphoné au Commandant Rousseau en lui disant que nous comptions sur lui.

L’artillerie ennemie tire non seulement sur notre 1re ligne, mais aussi sur la sienne, ce qui fait supposer que l’ennemi a évacué sa 1re ligne pour pouvoir mieux bombarder la nôtre. Nos tirs d’efficacité pourraient donc avoir grand effet. Je demande que le 220 tire sur le Bärenstall.

Signé : G. Brissaud

 

3e Brigade de Chasseurs

Le 4 août 1915, 17 h. 45

Ordre aux Commandants des 14e et 30e Bataillons

Bien que les renseignements recueillis jusqu’à présent n’annoncent pas une évacuation des centres de résistance 2 et 3 (Collet du Linge et Lingekopf), il convient d’envisager cette éventualité et de prendre des mesures en conséquence.

La position générale se compose de deux parties :

Au Sud de l’allée forestière descendant du Collet du Linge vers la lisière Ouest du bois et au Nord de cette laie. La première partie constitue la zone d’intervention du 14e, en cas d’un recul des défenseurs du Collet du Linge. La partie au Nord, la zone d’intervention du 30e, en cas de fléchissement des défenseurs du Lingekopf.

Quoi qu’il arrive, les 2 bataillons conserveront jusqu’au dernier moment 2 compagnies chacun comme dernière réserve.

Il en résulte que le 30e Bataillon, qui a déjà mis deux compagnies à la disposition du Commandant Chenèble, ne pourra, à moins d’un ordre contraire de ma part, céder plus de 2 compagnies au commandant du groupe de gauche.

Quant au 14e, il pourra étayer la défense du centre de résistance n°2 (capitaine Latrabe) jusqu’à concurrence de 3 (trois) compagnies, non comprise la compagnie déjà envoyée en renfort.

Le groupe de combat du centre et de droite peuvent résister avec les ressources dont ils disposent.

Le Commandant du 14e se rendra auprès du Commandant de la Brigade pour se mettre au courant de la situation et y prendre les fonctions d’adjoint au Commandant de la Brigade.

Signé : Brissaud

 

129e Division / 3e Brigade de Chasseurs

Le 4 août 1915 (18 heures)

Compte-rendu

Situation très grave. 30e presque complètement dépensé. Compagnies réduites, une à 30 hommes, l’autre à 15. Cinq compagnies engagées sur 6. La 6e en réserve du groupe de combat de gauche (centres de résistance 2, 3 et 4).

Situation du centre 2

Le Collet du Linge est tenu, 1re et 2e ligne, par un lieutenant du 121e avec très peu de monde et 50 hommes du 27e avec un sous-lieutenant.

A sa gauche en 2e ligne, très peu de chasseurs du 121e, une dizaine du 30e ; à leur gauche, la tranchée est inutilisable sur une dizaine de mètres, plus à gauche (au Nord), l’ennemi a réussi à prendre pied dans la tranchée perpendiculairement compagnie Berge (30e). La compagnie Gard (58 fusils) en réserve.

Situation du centre 3

L’ennemi occupe toute la partie Nord du Linge et une partie de la première ligne entre la pointe Nord du Linge et le Collet.

Notre 1re ligne est faiblement occupée, il n’y a plus que peu de fusils en soutien. Les tranchées sont bouleversées, les pertes très fortes. Pour la forme de la ligne et la répartition des forces, voir croquis ci-joint [manquant].

Situation du centre 4

Meilleure, quoique très éprouvé par le bombardement. Aucune attaque sur cette partie du front.

Groupe du centre – crête du Schratzmännele (54e et 5e Bataillons + 1 compagnie du 27e)

Très éprouvé par les attaques et le bombardement. 5e Bataillon véritablement décimé. Grosses pertes en officiers et sous-officiers.

En première ligne, toutes les unités sont mélangées.

Les 2 dernières compagnies disponibles du 54e viennent d’occuper les tranchées de 2e ligne.

Groupe de droite (15e, 115e)

Très violemment bombardé, aucune attaque d’infanterie. Le Commandant Dussauge rend compte qu’il est solidement organisé sur 3 lignes.

En réserve générale :

4 compagnies (175 fusils) du 14e chasseurs, fournissant corvées de cartouches et de pétards.

La main d’œuvre fait défaut pour transport cartouches et pétards vers ligne de feu.

G. Brissaud 

 

3e Brigade de Chasseurs

Le 4 août 1915, 19 h. 45 (expédié 20 h. 20)

Le Colonel commandant la 3e Brigade au Général commandant la 129e Division

106e et 121e Bataillons peuvent être considérés comme complètement écrasés.

Le 5e Bataillon est décimé par le bombardement ; beaucoup d’officiers et de sous-officiers hors de combat.

Le 30e a dû être engagé aux 3/4, ainsi que le 1/3 du 14e et la 1/2 du 54e.

Situation Lingekopf

L’ennemi a pu s’emparer du blockhaus Nord du Lingekopf ainsi que des pentes Ouest jusqu’à la ligne constituée par un chemin parallèle à la crête, tenu par le 30e.

Situation Collet du Linge

Le 5e et le 27e tiennent péniblement sur la crête et au Collet et ne pourront, de l’avis de leurs chefs, résister à une nouvelle attaque s’ils ne reçoivent pas de renforts.

Toutes les lignes téléphoniques sont coupées avec avant, arrière, mon central est détruit.

Les hommes sont exténués par le bombardement et la fatigue des derniers jours. Il est de mon devoir de vous déclarer que les troupes sont arrivées à leur extrême limite de résistance et qu’il est absolument indispensable de les relever d’urgence cette nuit même par des troupes fraîches. La situation est très grave. J’ai hésité jusqu’à présent à formuler cette opinion. Elle est très nette : il faut venir immédiatement au secours des braves gens qui luttent sans trêve depuis le 20 juillet. Je demande qu’un successeur éventuel vienne dès cette nuit se mettre au courant de la situation.

Il faut en effet prévoir avec le bombardement actuel un accident possible et il est prudent que mon remplaçant soit préalablement mis au courant. En attendant l’arrivée de ce remplaçant éventuel, qui ne passera d’ailleurs que cette nuit à mon poste de commandement, j’ai désigné provisoirement le Commandant de Reyniès, le plus ancien des chefs de corps présents au Linge et je l’ai mis au courant de la situation.

G. Brissaud

Le JMO de la 3e brigade, une version édulcorée de la situation

3e Brigade de Chasseurs

Le 5 août 1915

Compte-rendu de la journée du 4 août 1915

En exécution de l’Ordre Général n°43 de la 129e Division, le colonel Brissaud-Desmaillet avait pris pour la journée du 4 le commandement de toutes les troupes opérant dans la région Linge – Schratzmannelé.

Jusque vers 9 h. 30, rien de particulier à signaler. Quelques coups de feu en première ligne sur tout le front, bombardement habituel des bois du Linge et des boyaux de communication.

A partir de 9 h. 30, l’ennemi commence sur notre première ligne une série de tirs de réglage (dont les premiers coups tombent même dans les tranchées ennemies), principalement sur nos positions du Collet du Linge et du Lingekopf, où le blockhaus Nord est spécialement visé. En même temps, le bombardement par du 210 et du 150 prend avec intensité sur les boyaux de communication.

Dès 10 h. 30 commence le véritable bombardement de toutes nos positions avec une intensité déjà très grande, mais qui ira croissant jusqu’à la fin de la journée.

Sur tout le front, mais particulièrement au Collet du Linge et au Lingekopf, les pertes sont sérieuses, les tranchées bouleversées, les abris endommagés.

Ce bombardement violent et continu, divers mouvements remarqués dans la ligne ennemie font présager pour la journée un retour offensif de l’ennemi. Aussi, dès 13 heures, par son Ordre d’Opérations n°2, le commandant de la 3e Brigade fixe nettement à chacun sa mission en cas d’attaque. Le mot d’ordre est simple : « Résister à tout prix sur les positions conquises. »

Le front de la Brigade est divisé en trois groupes :

Groupe de droite : 15e bataillon, 115e bataillon, 3 compagnies du 27e bataillon – sous les ordres du commandant Dussauge, du 15e.

Groupe du centre : 5e bataillon, 2 compagnies du 54e bataillon, 1 compagnie du 27e bataillon – sous les ordres du commandant Barberot, du 5e bataillon.

Relié par sa droite au groupe précédent, ce groupe occupe les tranchées de la crête Nord du Schratzmannelé jusqu’au Collet du Linge.

Groupe de gauche : restes des 106e et 121e bataillons et du 7e bataillon du 359e – sous les ordres du commandant Chenèble du 106e.

Divisé en trois centres de résistance, ce groupe tient les pentes Nord du Collet du Linge, le Lingekopf et tout le front Nord-est de la Brigade jusqu’à la lisière Nord des bois du Linge.

Une réserve générale conservée à sa disposition par le commandant de la 3e Brigade comprend les restes des 14e et 30e bataillons et 2 compagnies du 54e bataillon.

Le total des fusils mis en ligne par toutes les unités citées plus haut ne dépasse guère 4.000.

Causant des pertes de plus en plus élevées sur toute la première ligne et même dans les réserves, le bombardement ennemi continue jusqu’à 14 h. 30.

Après une accalmie de dix minutes, pendant lesquelles les mitrailleuses ennemies du Rain des Chênes ne cessent d’arroser les bois du Linge ; le bombardement reprend avec un redoublement de violence. De plus en plus, nos positions du Collet du Linge et du Lingekopf sont spécialement visées ; les unités du 106e et du 120e y subissent de très fortes pertes.

A 16 h. 30, la réduction des effectifs de ces garnisons rend nécessaire leur renforcement. Le commandant du 5e bataillon fait appuyer une de ses compagnies en arrière (à l’Ouest) du Collet, le commandant de la 3e Brigade envoie 1 compagnie du 14e (70 fusils) renforcer les défenseurs de la partie Sud du Lingekopf ; une compagnie du 30e (80 fusils) est portée vers le saillant Nord du Lingekopf.

Ces renforts avaient eu à peine le temps de gagner les emplacements des tranchées de soutien qu’après un bombardement d’une violence inouïe, l’attaque d’infanterie allemande se déclenchait sur tout le front Collet du Linge – Lingekopf. Ne trouvant devant eux, dans nos tranchées de première ligne, que quelques combattants encore valides luttant désespérément sur les parapets bouleversés, au milieu des morts et des blessés, les Allemands réussissent à s’emparer de toute notre première ligne depuis le Collet du Linge jusqu’au blockhaus Nord du Lingekopf. Tous leurs efforts se brisent devant la résistance invincible de notre deuxième ligne, très éprouvée aussi mais légèrement consolidée par les renforts dirigés à 10 h. 30.

Le lieutenant Chardon, commandant une pièce sur les pentes Ouest du Linge, est tué en défendant à coups de pétards son canon dont l’ennemi tente de s’approcher.

Jusqu’au dernier moment, nos canons de 58, réduits à deux (les deux autres ont été ensevelis sous le bombardement), tirent sur les assaillants. Il en est de même d’une batterie de 4 canons Aasen commandés par le lieutenant Vidal du 54e bataillon, qui jusqu’au bout font d’excellente besogne malgré le violent bombardement dont leur emplacement est l’objet.

Ne pouvant plus avancer, les Allemands redoublent la violence de leur bombardement sur les deuxièmes lignes, sur les réserves, sur nos lignes de communication. De 17 h. 30 à 19 heures, les obus de tous calibres pleuvent sur les bois du Linge, particulièrement sur le saillant Sud-ouest.

Signé : G. Brissaud

Comme nous l’avons vu à la consultation du JMO de la 3e brigade de chasseurs, l’atténuation, pour ne pas dire plus, a fortement prévalu en contrepoint du contenu des écrits antérieurs, à l’issue de cette journée du 4 août. En résumé, dans ce JMO, il n’est plus question de cet « écrasement » de deux bataillons et de la « prévision d’un recul » (à 16 heures 50), d’un « véritable enfer » (à 17 heures 18), d’une « situation très grave » (à 18 heures et 19 heures 45), de deux bataillons « complètement écrasés » et d’un autre « décimé » (à 19 heures 45).         

A la lecture de ce même JMO, il apparaît en revanche, après 10 heures 30, que « sur tout le front, mais particulièrement au Collet du Linge et au Lingekopf, les pertes sont sérieuses, les tranchées bouleversées, les abris endommagés. » (SHD 26 N 557/3) Dans l’après-midi, « le bombardement reprend avec un redoublement de violence. De plus en plus, nos positions du Collet du Linge et du Lingekopf sont spécialement visées ; les unités du 106e et du 121e bataillons y subissent de très fortes pertes. » Entre 17 heures 30 et 19 heures, « les obus de tous calibres tombent dru sur le bois du Linge, particulièrement sur le saillant Sud-ouest où se trouve le poste de commandement et le débouché du boyau. Tout mouvement, même celui d’un isolé, devient impossible, toutes les communications téléphoniques sont successivement hachées. » Enfin, en toute fin de journée, les troupes sont « affaiblies, fortement éprouvées, capables sans doute d’enrayer tout mouvement offensif ennemi mais non de tenter un assaut. »

Si ce JMO a le mérite de faire clairement état d’une perte de terrain due à un assaut d’infanterie, au contraire de ce qu’en écrit le général de Maud’huy en septembre 1915, c’est peu de dire que la terminologie utilisée dans d’autres passages n’a plus rien à voir avec celle du colonel Brissaud-Desmaillet lui-même dans ses communications à l’adresse de son supérieur direct, le général Nollet, commandant la 129e division d’infanterie. Mais le plus gênant reste à venir, comme nous le verrons.

SHD 24 N 2396

Le rapport du capitaine Jules Latrabe

En revanche, pour jeter un dernier coup d’œil à quelques vérités de ce 4 août, au Collet et au Lingekopf, et prendre connaissance de faits particulièrement précis, rien ne vaut la lecture du passionnant rapport que le capitaine Jules Latrabe, du 14e BCA, commandant le Centre de résistance n°2, a rédigé le 5 août : 

Le 4 Août 1915, le Centre 2 était gardé par :

Front « Daquin », 4e Cie du 121e B.C.P., 100 fusils [sic : il s’agit du capitaine François d’Aquin]

Front « Sigisbert », 3e et 6e Cies du 121e, 100 fusils

Front « Marteau », au Collet, 1re et 2e Cie du 121e, 110 fusils

2 mitrailleuses du 121e (lieutenant Heitzmann) et un canon de 65 au Collet, 2 mitrailleuses de la 3e brigade en (3), battant la route du Hohnack et flanquant le front « Marteau »

Les fronts « Marteau » et « Sigisbert » flanqués par les mitrailleuses du centre 3.

Réserve : 140 fusils des 1re, 5e et 6e Cies du 106e ; sous-lieutenant Poussin, commandant ce groupe ; le sous-lieutenant Poussin et l’adjudant Firmin, malades, sont partis à l’arrière dans la matinée sans en rendre compte au commandement du centre.

De 8 heures à 18 heures, bombardement extrêmement violent des deux lignes de la réserve ; les abris de mitrailleuses sont écrasés, les pièces enterrées ; les pertes sont extrêmement élevées, plus des ¾ de l’effectif, la réserve s’épuise à nourrir la 1re ligne et les postes d’écoute, à arrêter des sorties de l’ennemi qui vient vérifier à diverses reprises si nos tranchées sont toujours occupées ; à midi, toutes les communications téléphoniques sont coupées et irréparables ; au poste de commandement du capitaine commandant le centre, un téléphoniste est grièvement blessé, puis successivement tous les agents de liaison sauf un y sont tués ou blessés ; de nouveaux agents de liaison sont atteints en portant des renseignements ou des ordres ; les communications de toutes sortes sont très difficiles et incertaines.

Vers 6 heures, les tranchées de 1re ligne n’existent presque plus et sont encombrées de cadavres ; les guetteurs n’arrivent plus que très difficilement, et avec les plus grands risques, aux postes d’écoute où ils se font successivement tuer ; les boyaux de communication sont bouchés ; à la 2e ligne, les communications latérales sont impossibles par endroits, la liaison ne peut plus s’établir que par la voix ; la plupart des abris sont détruits ; les lieutenants Sigisbert et Marteau sont blessés.

L’attaque se poursuit à ce moment, enlève les postes d’écoute, la 1re ligne, pénètre dans la 2e ligne sur tout le front « Sigisbert » à la gauche du front « Marteau », continue à progresser sur le front « Marteau » vers le Collet ; les barrages successifs faits avec quelques chasseurs du 106 qui restent, presque sans cadres, sont refoulés ; le capitaine Daquin, coupé à droite et à gauche, tient avec les chasseurs épuisés qui lui restent ; au Collet, une Cie du 5e Bataillon fait une contre-attaque spontanée qui dégage les abords immédiats du Collet ; cinq minutes plus tard, sur le front au sud du poste « Sigisbert » (6), une brillante contre-attaque de la compagnie Lemeux, du 27e bataillon entre dans la 2e ligne, y capture quelques allemands, tuant ceux qui résistent ; puis le sergent Faure, de la 2e Cie du 30e, gagne la même tranchée par le boyau 9, et établit la liaison par contact avec le 27e bataillon à sa droite, à la voix avec le groupe « Daquin » à sa gauche ; le capitaine Berge, du 30e, entre en liaison avec le capitaine Daquin et fait, dans le boyau qu’il aménage, un barrage face au nord.

A la nuit, la compagnie « Gard », 2e du 14e Bataillon, arrive avec 58 fusils ; un quart est envoyé en renfort au Collet, au lieutenant Heitzmann, un autre quart au sergent Faure ; la réserve est trop faible pour qu’une tentative de reprise de la 1re ligne puisse être entreprise ; la nuit se passe à repousser quelques nouvelles tentatives de l’ennemi, dont une sérieuse à 21 heures, à échanger des coups de feu, des pétards et des grenades, à déblayer les tranchées et les boyaux pour rétablir les communications.

Au cours de cette dure journée, chacun a fait tout son devoir : les jeunes chasseurs, épuisés par de durs, sanglants et récents combats, par un long séjour dans les tranchées, par une journée sans vivres et un bombardement infernal, qui se sont fait tuer à leur poste et ont héroïquement combattu jusqu’à l’aube ; leurs chefs, les sous-lieutenant Marteau et Sigisbert, blessés au cours du bombardement ; le capitaine Daquin et le lieutenant Heitzmann qui ont résisté avec une ténacité admirable ; un lieutenant d’artillerie tué à la 1re ligne ; la compagnie du 5e bataillon dont la contre-attaque non demandée a donné un concours précieux ; la compagnie Lemeux, du 27e bataillon, qui a repris de haute lutte les tranchées perdues, dont le capitaine a été tué et qui, sous le commandement du sous-lieutenant Jacquemin, a réparé pendant la nuit les dégâts commis par le bombardement, en résistant à de nouvelles attaques ; le sergent Faure, du 30e bataillon, qui s’est montré chef énergique et audacieux ; le capitaine Berge, qui a fait un barrage avec une poignée de chasseurs, et a rejeté hors de la tranchée, deux secondes avant qu’elle n’éclate, une grenade qui venait de tomber au milieu de ses hommes ; le chasseur Grandmaison, du 106e bataillon, resté seul agent de liaison valide, qui a assuré seul un service très périlleux ; et tant d’autres, dont l’héroïsme certain mérite d’être recherché et récompensé.

L’ennemi a progressé, dans le centre 2, de 20 à 30 mètres sur un front de 100 mètres ; il a subi, par le fusil, les pétards et les grenades, des pertes sérieuses ; son succès est dû, non à des défaillances, mais à la destruction des défenseurs et des tranchées par le canon.

Si cette remarquable relation a l’avantage de s’achever sur une conclusion d’une limpidité dénuée de toute ambiguïté sur les causes de l’ampleur des pertes françaises, elle permet en outre de retrouver une mention, certes brève, à un homme cité par le colonel Brissaud-Desmaillet dans son compte-rendu de la journée du 4 août, en ces termes : « Le lieutenant Chardon, commandant une pièce sur les pentes Ouest du Linge, est tué en défendant à coups de pétards son canon dont l’ennemi tente de s’approcher. » Cette lapidaire évocation, si elle a le mérite de mettre en exergue la présence d’une « pièce sur les pentes Ouest du Linge », reste néanmoins énigmatique. Pour savoir qui était ledit lieutenant Chardon, et la raison pour laquelle cette pièce se trouvait à cet emplacement, il convient de remonter le fil des événements, dont le dénouement donne lieu, hélas, à une triste histoire…

Avec nos très sincères remerciements à Florian Hensel et Patrick Germain.

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