Alphonse Grospiron, tombé lors de la reconquête de La Fontenelle

Un de mes lecteurs, monsieur Eric Toiseux, m’indiquait que le grand-père de son épouse, Alphonse Grospiron,  était tombé lors de la reconquête de la cote 627 à  La Fontenelle le 8 juillet 1915. Le centenaire de ce combat – auquel participa aussi le bataillon Barberot, mais sans son ancien chef nommé à la tête du 5e BCP –  est l’occasion de rappeler sa mémoire. Eric Toiseux a écrit en mai 2015 un récit de son parcours, dont je reprends ci-dessous une grande partie:

GROSPIRON AlphonseNé en 1883, (Victor) Alphonse Grospiron ne connaîtra pas son père (François) Alphonse, décédé 4 mois plus tôt… tout comme son frère (Luc, Victor) Alphonse décédé à 11 mois en 1881. Il fera ses premiers pas dans la maison familiale de Lélex, entouré de sa mère Alphonsine et sa grande soeur Marthe… Une jeunesse sans histoire, Alphonsine a repris et tient la boutique qui occupe le rez de chaussé de la maison familiale.

Par la suite, Alphonse tient avec sa mère Alphonsine le commerce familial dont les activités sont dignes d’un inventaire à la Prévert : Tissus, Mercerie, Epicerie, Chaussures, Quincaillerie française et étrangère, Ferronnerie et Serrurerie pour meubles et bâtiments, Ferblanterie, Outils d’agriculture et de menuiserie, Fer battu, Articles de ménage, etc, etc… Trouvant toute cette activité sans doute un peu insuffisante, il y ajoute ce qui contribuera à la mémoire de son village de Lélex, le métier de photographe. Très rapidement, il photographiera le village et ses environs sous tous les angles, par toutes les saisons.

lelex 4 un danseur de passage peu elegant

Il fera éditer plus d’une centaine de cartes postales par la célèbre maison Bergeret de Nancy, cartes qui seront bien sûr vendues dans son commerce et qui circuleront dans toute la France et à l’étranger. Une de celle-ci, représentant des montreurs d’ours en spectacle devant la maison familiale, deviendra l’une des cartes postales les plus cotées et recherchées du département de l’Ain par les collectionneurs…

D’autres clichés seront repris et publiés dans de nombreux guides touristiques régionaux. En 1907, il épouse Anna Devaux, de Patornay, et ensemble ils auront 3 enfants, René en 1908, Jean en 1913 et Suzanne en 1914.

Bonheur de courte durée ! En effet la vie d’Alphonse va basculer vers l’horreur comme pour bien des hommes de sa génération, le conflit mondial de 1914-1918 va l’arracher à sa famille et à sa vallée de la Valserine. Classe 1903, il a effectué son service militaire à Belley, soldat au 133ème régiment d’infanterie… Bien que père de 3 enfants, lui-même déjà âgé de 31 ans, il est rappelé dès le mois de décembre 1914, 5 mois après la mobilisation générale…

Stationné quelques temps à Belley, vaccinations, marches et entraînements, il se réveille au son du canon un matin de la fin février 1914, sur le front des Vosges… Le voici désormais engagé, en campagne contre l’ennemi, dans la 10e compagnie du 133e régiment d’infanterie. Il a eu le temps d’écrire à sa femme une longue lettre où il l’informe de son départ et l’encourage pour l’avenir, pour tout ce qu’elle aura à affronter : « Bien Chère Anna, Cette fois, ça y est, il n’y a plus de rémission, je pars au front au 133e RI. Lorsque tu recevras cette lettre tu seras déjà prévenue car ce soir j’irai t’envoyer une dépêche t’annonçant la fâcheuse nouvelle. Oui, ma chérie, je ne partirai pas content hélas ! Non car j’espérai bien encore avoir le bonheur de te revoir au moins dimanche mais résigné il faut bien n’est-ce pas suivre le sort la destinée… »

GROSPIRON Alphonse 133RI

Terrible destinée en effet, après quelques mois de combats acharnés dans les tranchées, sous la mitraille, dans le froid et les conditions de vie précaires, il se trouve au Ban-de-Sapt, à la Fontenelle au pire moment, le 8 juillet 1915, connu pour être le combat le plus meurtrier qu’il y ait eu sur le secteur. Touché à la cuisse légèrement et disparu selon les archives du CICR, il est en réalité conduit au poste de secours dans les tranchées où il décède le jour même… Il sera enterré sur place, pente Est sur le plateau 627…

Cet horrible affrontement aura pour conséquence la reprise définitive de la colline, pour le restant de la guerre, mais aura mis 500 soldats français hors de combat dont 120 tués ! (Bilan léger selon l’armée compte tenu des pertes 4 fois plus importantes pour l’ennemi, 800 prisonniers et un butin matériel considérable)… Anna n’a aucune nouvelle, elle qui recevait ainsi que les enfants une carte quotidienne pour les rassurer, elle patientera de longues semaines, écrira, se rendra à Belley, jusqu’à ce que le maire de Lélex l’informe de la triste nouvelle reçue en mairie, Alphonse est Mort pour la France…

Veuve de guerre, courageuse, Anna selon les consignes de son époux exploitera le commerce et élèvera les enfants à Lélex. Il faudra attendre le 9 juin 1916 pour qu’elle reçoive enfin la notification de la pension que lui versera l’état, et le 11 juin 1916 pour que soit transcrit à la mairie de Lélex le procès-verbal de déclaration de décès enregistré à Saint Jean d’Ormont. Alphonse sera décoré à titre posthume de la Croix de Guerre avec 1 étoile et de la Médaille Militaire, le régiment sera cité à l’Ordre de la VIIe Armée, et sa veuve patriote ira jusqu’à souscrire au versement d’or pour la défense nationale le 29 septembre 1915 pour soutenir l’effort de guerre.

Alphonse repose toujours sur le plateau où a été érigé le Monument de la Nécropole Militaire de la Fontenelle, « phare » dédié aux défenseurs du sol vosgien entouré des tombes de 2 346 soldats.

Sa veuve, ses enfants ont été conviés à l’inauguration en 1925 et ses descendants vont régulièrement lui rendre hommage et honorer sa mémoire.

Le Journal de Marche du 133e régiment d’infanterie donne des détails complémentaires quant à son affectation, et ses chefs. Alphonse Grospiron était soldat au 3e Bataillon, 10e Compagnie du 133e RI, sous les ordres du Capitaine Charry, du Lieutenant Perrin et S/Lieutenant Thomas. Le Chef de Bataillon étant Boudet… Le Capitaine sera tué, et le S/Lieutenant blessé le même 8 juillet 1915 selon le Journal de Marche.

Sa fiche sur Mémoire des Hommes a été indexé à l’occasion du centenaire de sa mort.MDHGrospiron

3 Commentaires

  1. Grospiron gerarddit:

    Bonjour
    Très heureux de retrouver mon grand père en ouvrant mes mails ce matin , et merci à Eric , l’époux de ma filleule, pour toutes ses recherches sur Alphonse ! Je suis également passionné et ai visité Fontenelles avec mes petits enfants ,plus une grande réunion familiale il y a quelques années .
    Gerard « Alphonse » Grospiron , toujours propriétaire à Lelex !

    1. Bonjour monsieur,
      merci pour votre message. En publiant mon dernier article sur le fonds Bernard de Belley, j’ai fait tout de suite le rapprochement avec votre grand-père. J’aurai pu aussi citer les autres photographes de la Fontenelle (les frères Saint-Pierre, mais c’est mentionné, Frantz Adam mais il est lui aussi cité, les frères Roux …) mais c’est Alphonse Grospiron qui est tout de suite venu à l’esprit.
      J’ai cherché à tout hasard Grospiron sur la base, mais il n’est pas dans le fond Bernard.
      Bonne journée à vous.

  2. Bonjour, et merci beaucoup pour cet hommage rendu à Alphonse Grospiron, et de permettre par ce blog de rendre également hommage à ceux qui comme lui ont souffert, ont été blessés ou sont Mort pour la France ! Un siècle, ce n’est pas si loin, mais il faut continuer ce devoir de mémoire pour les futures générations…
    Bonne continuation, cordialement.

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