Il y a cent ans, le 14 juillet 1915, les troupes françaises qui allaient être engagées dans l’offensive du Linge défilaient devant le généralissime Joffre à Wesserling. Celui-ci avait décidé, après la victoire de Metzeral, d’engager une deuxième phase orientée vers la conquête des sommets, en vue de la prise de Munster. C’était son plan initial, qui aurait pu être modifié en profitant de la désorganisation occasionnée par les combats de la vallée de la Fecht. Son option mènera au drame du Linge.
Parmi les unités qui sont inspectées ce jour-là, il y a aussi le 5e BCP dont le commandant Barberot avait pris le commandement le 26 juin précédent. Ils semblent que l’inspection se déroule un peu plus loin, à Krüth, où est stationnée l’unité depuis plusieurs jours. Le bataillon est au repos depuis le 4 juillet 1915, après les terribles combats de l’Hilsenfirst. Il a d’abord stationné au Breitfirst, où il a reçu une nouvelle instruction par son commandant et complété dans ses effectifs. Puis il descend à Kruth, où il alterne repos et formation. Le 18 juillet, il part pour Mittlach puis reprendra la route du front le 21 juillet, direction le Linge.
Dans son témoignage Dans la Fournaise du Linge, le sergent Joseph-Auguste Bernardin raconte cette journée du 14 juillet 1915 :
Revue du bataillon à Krüth, par le généralissime Joffre. Le bataillon est formé en lignes de colonnes de compagnie. Le général arrive en auto. D’un pas encore alerte, il passe, en petite tenue, sur le front des troupes, dévisageant nez à nez les hommes du premier rang, et les inspectant des pieds à la tête. Je regrette que ma place de serre-file derrière la 2e section me tienne si loin: je voudrais plonger mes yeux dans ceux du grand chef et emporter comme un souvenir l’expression de son regard. Je n’en garde que l’image d’un homme grisonnant sous son képi à feuilles de chêne, assez puissant, presque bedonnant dans sa vareuse noire et son pantalon rouge.
Charles Barberot quant à lui avait déjà rencontré Joffre au début de sa carrière militaire, à Madagascar, le 15 juin 1900. Joffre, encore colonel et issu de l’arme du génie, avait participé à l’aventure coloniale, comme Gallieni ou Lyautey. Il s’était notamment illustré au Soudan français, en constituant une colonne qui secourut les restes d’une unité française à Tombouctou. Dans ses carnets, Barberot en donne la description suivante en 1900 :
Le colonel Joffre a une belle figure. Il est blond, le teint très frais et très blanc, pas brûlé du tout, l’œil vif. Et cependant c’est déjà, quoique du génie, un vieux colonial.
Le 14 juillet suivant, il sera invité avec les autres officiers par le général Galliéni, commandant en chef à Madagascar, puis reçu au bal par le même colonel Joffre. Il écrit de cette soirée :
Le soir, bal chez le colonel Joffre. Beaucoup d’officiers s’y pressaient et parmi eux les officiers de l’état-major amenés par le général Galliéni. Le manque de femmes se faisait sentir. Il y avait là deux femmes d’officiers, trois de fonctionnaires, deux d’employés de la Compagnie des Messageries. Le reste ne vaut pas la peine d’être cité.
15 ans plus tard, les femmes seront toujours absentes…