Sur les traces des combats de l’Hilsenfirst (1/2) : l’ascension

Quel plaisir de pouvoir découvrir le champ de bataille des combats de l’Hilsenfirst, guidé par son plus grand connaisseur – Jean-Bernard (JB) Laplagne, auteur du site incontournable Hilsenfirst – et accompagné d’Eric Mansuy, grand connaisseur bien connu des lecteurs de ce blog (son article sur l’hécatombe des cadres du 5e BCP compte le plus de visites parmi tous ceux de mon site). Un parcours qui commença par un rendez-vous le samedi 10 juillet 2020 à 8h devant la mairie de Metzeral pour s’y achever le soir à 18:00. JB qui se rend sur le site depuis près de 30 ans et y a accompagné de nombreux groupes et journalistes (on retrouvera ici l’article de 2015 des Dernières Nouvelles d’Alsace, et ici la vidéo de France 3, tous deux réalisés avec son aide) nous écrira plus tard :  » Je tenais à vous signaler que j’ai réalisé la sortie la plus longue avec vous samedi  » !

Au delà de la découverte, nous avons nos objectifs personnels. Eric souhaite se rendre au point 400, poste avancé français au Langenfeldkopf dont une unité qui le garde se laisse faire prisonnier sans combattre le 8 avril 1916. Personnellement, il s’agit de voir la ligne des combats au sommet et le lieu des deux fortins où est anéantie la 3e compagnie du 5e BCP, juste après l’arrivée du commandant Barberot le 26 juin 1915. Quant à Mila, le chien de JB, elle veut surtout jouer.

N’oublions pas les combattants passés ou tombés sur l’Hilsenfirst, et dont le parcours a été publié sur ce blog : l’officier des chasseurs Edouard Merklen, le chasseur Clément Receveur, le capitaine Paul Henri Camus et le commandant Charles Colardelle.

Une abondance de traces

Après avoir traversé Sondernach et poursuivi la route sur quelques kilomètres, nous nous arrêtons sur un parking près du centre de vacances Landersen. C’est là que commence la piste forestière qui va nous mener à l’Hilsenfirst. Pendant cette longue journée, nous ne rencontrerons quasi personne : le matin un groupe de vtt qui recherche un chemin, et l’après-midi un groupe de randonneurs. Le secteur est d’un grand calme et reste très sauvage, bien loin du Gaschney et Sillackerwasen visité en juillet 2015.

Après quelques centaines de mètres, nous quittons la piste pour monter à travers les arbres. Un premier petit blockhaus abîmé se trouve à quelques mètres, fabriqué à partir d’une sorte de mortier, mélange de pierres et de ciment. C’est le début d’un ensemble de vestiges qui vont s’étaler tout au long du parcours.

Blockhaus situé au début du parcours, en montant sur l’Hilsenfirst.

Mais ce sont surtout les munitions, utilisées ou non, les bouts de semelles ou de ceinturons, les plaques de blindage, de barbelés (y compris un rouleau non utilisé) et toutes sortes de traces des combats (fioles, bouteilles en verre, anciens poêles …) que JB nous montre à chaque étape. Certains sont découverts pendant le parcours, remontés du sol pendant la dernière pluie. D’autres sont connus et mis de côté par les nombreux « fouilleurs » qui semblent parcourir (illégalement) ce champ de bataille avec leur « poêle à frire » pour alimenter leur collection de militaria. C’est un vrai sujet que ce pillage qui enlève peu à peu les traces historiques des combats. 

Plus tard, sur le sommet, la saga d’objets se poursuit. Les munitions sont à traiter avec précautions, beaucoup n’ayant pas explosé. On retrouve notamment de nombreuses ailettes d’un modèle de mortier de calibre 10,5 cm qui fut testé par les Allemands sur ce secteur, mais qui fut abandonné car le nombre d’obus non explosés était trop important. Nous trouverons d’ailleurs l’une des ses munitions intactes en descendant à la fin du parcours. 

Les pièces sont impressionnantes, mais peuvent être dangereuses, surtout si on tente de les manipuler ou de les forcer. Régulièrement, la presse régionale en France mentionne les drames. 

Munition de crapouillot, trouvé dans le bois en Brosse

La stèle du chasseur Onésiphore Fianson

Nous faisons rapidement un arrêt à un monument bien connu de l’Hilsenfirst, la plaque en mémoire du chasseur Fianson. Le chasseur de la compagnie de mitrailleurs du 6e territorial fut tué d’une balle le 2 mai 1916 en travaillant à son poste. La plaque dont on ne connaît pas nécessairement l’origine (j’indiquerai néanmoins à JB que Onésiphore Fianson a eu des enfants et probablement des descendants d’après Généanet), fut détruite par les Nazis en 1940 puis remis en place dans les années ’60. L’altération du temps et des vandales amena sa restauration en 2004 pour être replacé le 9 mai 2005. 

Ici débuta l’attaque du 14 juin

Nous parvenons en milieu de matinée au pied de l’endroit où débuta l’offensive française du 14 juin 1915, le ravin du Wüstenrunz. Les chasseurs doivent descendre du Langenfeld pour remonter l’Hilsenfirst en traversant le ruisseau. L’attaque se paiera au prix fort de nombreuses vies, lancées contre le feu allemand. La 6e compagnie du 7e BCA commandée par le capitaine Manhès progresse plus vite que les autres unités, et se retrouve soudain isolée et coupée des autres, encerclée. C’est une épopée de quatre jours et trois nuits qui débute. Les 137 chasseurs valides se regroupent en carré et organisent la défense, prennent le contrôle d’une source, résistent aux Allemands jusqu’à faire rouler des pierres, communiquent en provençal avec les unités dont ils sont coupés, et sont finalement dégagés le 18 juin de l’encerclement allemand. L’épopée donnera lieu à une vaste publicité et un communiqué officiel

Le ravin du Wustenrunz

Sur l’épisode du ravin du Wustenrunz le 14 juin 1915, le capitaine Manhès écrira dans son carnet

« Notre premier bon s’achève, qui nous amène devant le ruisseau de Wüstenrunz. Le temps de souffler, de remettre un peu d’ordre dans la compagnie, de museler à nouveau les Allemands trop « culottés », trop visibles et trop meurtriers à la fois, et il faut repartir. La traversée du ruisseau – véritable trait de scie à bords verticaux, tracé dans le granit, protégé sur sa rive gauche par un réseau barbelé très bas et invisible dans les hautes herbes – est extrêmement dure et pénible. Les pentes y sont plus sévères ; toute ma deuxième section y reste à quelques hommes près : le caporal Pradel, seul gradé survivant de cette unité, vient de rendre compte qu’il lui reste cinq hommes à commander sur les 52 qui sont partis à l’attaque.

Le deuxième réseau allemand traversé, nous abordons enfin la position ennemie. Le nettoyage de la tranchée est exécuté en un clin d’œil à la baïonnette et à la grenade. Le petit de Colbert, tout jeune sergent, engagé volontaire de la classe 14, qui promène sur un grand corps un peu dégingandé une figure de jeune fille, nettoie froidement à la baïonnette un petit abri ou cinq Allemands tentaient de sortir. Le dernier, un grand Feldwebel, tombe et, la tête perdue, les yeux fous, Colbert s’acharne sur lui et le larde d’au moins 50 coups.

En ce qui me concerne, j’ai abordé la tranchée ennemie un peu isolée. Je saute dedans et atterris juste en face de l’entrée d’un abri. De ce dernier sort un Allemand qui achève de monter les marches de la sape; au bout de son poing droit, je vois, braqué sur moi, un solide pistolet automatique (le « parabellum » allemand.) A moins de 50 cm, il est pointé sur mon nombril. Je porte vivement la main à mon étui à pistolet : il est vide ! … J’ai un moment … un éclair ! Tout s’est passé si  vite ! de vague à l’âme affreux. Machinalement, sans réfléchir, je tends ma main droite à l’Allemand… qui dépose dedans son « Parabellum » et je coule ce dernier dans ma poche ! … Mais j’ai eu chaud !

Deux mitrailleuses nous restent entre les mains, avec plusieurs prisonniers que je fais évacuer vers l’arrière. Le reste s’enfuit vers le Bois Inférieur ; le terrain est jonché de morts et de blessés. »

Au camp Viallet

Nous remontons le flanc et parvenons au camp Viallet, nommé ainsi en hommage au capitaine Elie Viallet du 13e BCA, tué dès le 15 juin 1915 lors de l’offensive de l’Hilsenfirst. Son petit-neveu Jaques Gasqui a publié un ouvrage en 2014 lui rendant hommage. Situé à flanc de collines au milieu des pins, les traces sont encore nombreuses. On trouve au sol différents débris, et on peut deviner les anciens terrassements. D’après JB, plusieurs centaines d’hommes pouvaient s’y trouver. S’y trouvait aussi un des cimetières accueillant provisoirement les corps des combattants tués sur le secteur. Se dresse encore la croix du capitaine Auguste Tiersonnier du 7e BCA, tombé le 1er jour de l’offensive. Elle a été restaurée récemment. 

« La capitaine Tiersonnier est tombé glorieusement à la tête de sa compagnie le 14 juin 1915, dans la région de l’Hilensfirst, au moment où, à genoux, il donnait à ses agents de liaison des ordres pour le franchissement du ravin de Wustenrunz. Une première balle le frappa à la main et au moment où il le disait à ses agents de liaison, une seconde balle en pleine poitrine l’étendait raide mort. Il était âgé de 30 ans. A l’exemple des Tiersonnier, cette belle lignée de soldats, le capitaine Tiersonnier est tombé donnant à tous ses camarades le noble exemple de la bravoure et de l’insouciance guerrière. Il laisse un fils âgé de 2 ans (Bernard). Il était le neveu du commandant Tiersonnier tué glorieusement à Solférino, à l’assaut de la ferme de Casanova ; du colonel Eloy Tiersonnier ; et petit-fils de M. Benoit Tiersonnier chef d’escadrons de la garde impériale, un des héros de la Grande Armée. Le capitaine Tiersonnier était le fils de M. Paul Tiersonnier ancien officier de cavalerie et de Mme née des Ages ; il avait épousé Mlle de Chalvron. (Le Gaulois, mercredi 30 juin 1915) »

Vers le point 400

Après la poursuite de notre « grimpette », nous arrivons près du sommet, sur une zone dégagée du Langenfeld. Nous pouvons voir au sol les traces d’un ancien ouvrage défensif et au loin le sommet opposé de l’Hilsenfirst

Pour l’instant, l’objectif est de rejoindre le point 400, un avant-poste français situé sur le Langenfeldkopf, près du sommet. La forêt a progressé sur cette partie, comme d’ailleurs elle le fait sur une partie du sommet avec la multiplication de sapins qui n’étaient pas nécessairement là en 1915. Le nom de « point » renvoie aux usages de l’artillerie qui nomme ainsi des éléments faciles à repérer (le 400 n’est pas une hauteur ou distance mais un simple numéro), alors que la « cote » est un élément géographique d’altimétrie. 

Sur le chemin, nous croisons l’entrée d’une galerie, comme il en existe de nombreuses sur cet ancien champ de bataille. Comblées aux entrées après la première guerre, elles réapparaissent avec l’effondrement des boisages, pourries par le temps. C’est alors une section un peu plus loin qui se retrouve à l’air libre. L’ensemble est fragile et il n’est pas conseillé d’y pénétrer.

Après une petite marche, nous rentrons à nouveau dans une zone boisée, sur le Langenfeldkopf. Le point 400 a laissé quelques traces : abri dont l’entrée se devine, tranchées … à l’aide de cartes JB et Eric essaient de retrouver les emplacements. 

C’est ici qu’une section de français s’est rendue lors d’un coup de main allemand de 40 personnes le 8 avril 1916, sans réellement combattre (la sentinelle est abattue)  ce qui équivaut à une désertion. Quelques hommes se sont terrés dans leurs abris pour échapper à la capture, mais là encore , sans combattre. Un sujet qu’on a souvent occulté, mais qui était loin d’être anodin. 

Le capitaine Berlon du 11 BCA écrit sur ces événements :

    « […] la garnison composée d’une section du 50e régiment territorial n’a opposé aucune résistance à l’ennemi à part un homme ou deux. Les hommes ont été cueillis dans leurs abris après injonction de l’ennemi. Les seuls survivants de l’affaire se trouvaient dans des abris que l’ennemi n’a pas fouillés. […] La conduite de la garnison du Point 400 a été caractérisée par la déposition du soldat Guérittot, blessé. Ce soldat m’a raconté qu’étant dans l’abri de réserve du poste 6 au moment de l’arrivée des Allemands au Point 400, ses camarades se sont rendus à la première injonction des Allemands sans même essayer de prendre leurs armes pour se défendre ou de se retirer par la 2e sortie de l’abri vers le boyau couvert, ce qu’a fait le soldat Guérittot. »

Le commandant Pichot-Duclos conclut : 

« Dans la 2e section de la 5e compagnie du 50e territorial (capitaine Jolivet), 2 escouades se sont rendues sans se défendre, alors que les fusils étaient sous leur main dans leurs abris ; 2 escouades se sont enfermées dans les leurs en voyant les Allemands arriver. Les 3 tués sont 2 sentinelles, tuées à bout portant, qui n’avaient vu qu’au dernier moment, et 1 caporal qui avait cherché à voir en sortant de la tranchée. Les mitrailleurs du 50e paraissent s’être un peu mieux tenus.
Il ne suffit pas de flétrir de tels faits, il faut une sanction féroce. J’ai fait arrêter les 6 hommes présents de la 6e escouade, les 6 hommes présents de la 8e escouade, et le sergent Guillaume qui a reconnu être sorti de son abri en entendant des détonations et s’être caché dans un trou d’où il n’a plus bougé. Je désire les traduire en conseil de guerre spécial et les faire fusiller. J’en rends compte puisque dernièrement (affaire K… L…) il m’a été prescrit de surseoir à la convocation d’un semblable conseil de guerre que je me proposais à réunir. »

Les hommes qui ont échappé à la capture passeront devant un conseil de guerre, les soldats capturés y seront traduits à leur retour après l’armistice.

Nous nous arrêtons peu après pour le casse-croûte, restant debout pour limiter l’assaut des tiques, en grands nombres cette année. Prochaine étape : l’exploration du secteur de l’Hilsenfirst où se déroulèrent notamment les combats de fin juin 1915 …

Deuxième partie (à venir) : le sommet

Vue d’ensemble du parcours de la journée (réalisé sur Google Earth par JB Laplagne)

12 Commentaires

  1. CHARON laurentdit:

    bonjour mon grand pere etait jeune lieutenant au 13BCA EN 1914 blesse a MANDRAY ensuite capitaine au 53BCA il a combattu a l hilsenfirst …ANTONIN TOURNADE . bientot en retraite je compte me rendre en visite dans les vosges . felicitations pour vos photos et votre travail . cordialement Laurent CHARON

    1. Merci monsieur pour votre commentaire et félicitations. Le champ de bataille du Linge est toujours très impressionnant à visiter même s’il faut être bien guidé (ce que je fus). J’espère que mon site vous donnera des éléments pour préparer votre passage. N’hésitez pas à m’en faire part. Bien à vous.

  2. DIDIER Véroniquedit:

    Merci pour ce document très complet. L’oncle de ma grand-mère est tombé à Hilsenfirst le 21 juin 1915 et j’essaye d’en apprendre davantage sur l’histoire de le 5ème BCP. J’aimerai me rendre à Hilsenfirst, mais l’accès semble difficile. Merci encore pour votre travail

    1. Bonjour madame,
      merci pour votre commentaire. J’ai effectivement eu de la chance de pouvoir être accompagné de l’expert du site, Jean Bernard Laplagne (et aussi d’Eric Mansuy dont les connaissances sur la guerre dans les Vosges sont incommensurables). Son site a été malheureusement fermé. Sans être impossible, la visite du site sans guide n’est pas nécessairement facile (mais la carte de l’article peut aider).
      Comment s’appelait votre oncle ?
      Cordialement

  3. Laurentdit:

    Bonjour,
    Je vous remercie pour ce reportage et remontée dans le temps, qui me permet d’avoir une pensée pour le Capitaine Paul Henri Camus et ses camarades de combat.
    Encore de nombreuses traces et de beaux restes – après 105 ans, donnant à d’entrevoir les conditions de vie et de combat dans un environnement difficile et exigeant qu’est la montagne.
    Bravo à vous tous pour cette expédition !

    1. Merci beaucoup. Le 5e BCP sera à l’honneur dans la seconde partie du récit, en préparation. Bien à vous.

  4. Jean TROUCHAUDdit:

    Passionnant comme à l’accoutumée ! Bon été. Bien à vous. Jean TROUCHAUD

    1. Merci Jean. Bon été !

  5. Passionnant, et remarquablement bien rédigé ! Merci pour cette belle page !

  6. Beau parcours et quelle « abondance de traces » en effet.
    Salutations à Eric

    1. Bonjour Bernard,
      Merci, c’est transmis à Eric.

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