Le Noël 1914 du commandant Barberot

tranchéebois

Alors que le thème de la fraternisation du Noël 1914 est souvent remis à l’honneur dans l’actualité, comment cette fête avait-elle été vécue par le bataillon Barberot il y a près de 101 ans ?

Fin décembre 1914, le 1er bataillon du 133e RI passe Noël sur les positions aménagées sur l’Ormont, au Spitzemberg, où il est arrivé le 18 décembre. Les Allemands lui fait face, à partir du col d’Hermanpaire. Le secteur est à peu près calme, après d’âpres combats qui ont permis en septembre au 152 RI de s’emparer du sommet. Barberot, fidèle à sa réputation de bâtisseur, a entamé de vastes travaux de consolidation et de renforcement de la position. On compte un tué pendant cette période, ainsi qu’un incendie causé par un chauffage improvisé dans un abri de mitrailleuses. Les hommes connaissent une accalmie, et bénéficient d’un afflux de tricots en tout genre envoyé par l’arrière (voir l’article sur le tricot du centenaire). L’unité va rester à cet emplacement jusqu’au 30 décembre.

Dans cet environnement couvert de sapins et enneigé, le capitaine Cornet-Auquier – un protestant fervent –  donnera un témoignage personnel de ce premier Noël  :

24 décembre. — Nous sommes toujours dans les montagnes et dans nos forêts de sapins. Nous manquons de confort, mais nous sommes de bonne composition, et nous prenons tout par le bon bout, et nous trouvons moyen de nous payer des tranches de rire, je ne vous dis que ça.

Quand nous sommes accroupis dans notre ignoble trou, Farjat et moi, nous prononçons vingt fois par jour une phrase qui chaque fois nous fait tordre : « Si nos familles nous voyaient ! » Mais on en arrive à un endurcissement extraordinaire, et on peut nous voir en pantalon et en chemise nous laver dans le ruisseau — quand nous en avons le temps. Dire que c’est Noël demain ! Je me méfie des Boches, et je m’attends pour minuit à un semblant d’attaque; c’est un genre qu’ils avaient en 1870. Oui, paix sur la terre! mais quand les Teutons seront abattus.

Dieu vous bénisse et vous garde ! Notre communion en Lui nous unit et nous rapproche.

26 décembre. — Noël est passé. Journée comme toutes celles que nous avons passées depuis notre arrivée. Farjat et moi avons bien essayé de réveillonner, mais je m’attendais à ce que les voisins d’en face nous jouent un sale tour et que, en guise de « Minuit Chrétiens », les brutes pour plaire à leur « Alter Gott » ne nous envoient une rafale soignée, aussi ai-je fait une ronde dans les tranchées, et les hommes ont-ils veillé, l’œil aux aguets, l’oreille tendue, les fusils dans les créneaux. Était-ce là l’anniversaire de la nuit de Bethléem? Les Boches, de leur côté, se demandaient si nous n’attaquerions pas et leurs patrouilles rôdèrent toute la nuit sur la ligne de nos avant-postes, si bien qu’il y eut une fusillade presque ininterrompue pendant cette nuit de Noël. Mais enfin on s’est tout de même un peu aperçu que c’était fête: d’abord, à force de se le répéter, on a fini par le croire et puis on se sentait plus seul et plus triste, plus loin des siens, plus altéré de vie de famille et de paix, mais aussi on se sentait mieux en communion avec les chers absents. J’ai lu le chapitre II de l’évangile selon saint Luc, et vous l’avez assurément lu au temple. Il y a encore eu les lettres, et j’en ai reçu un tas… Enfin, il y a eu abondance de douceurs et de gâteries envoyées par des dames de Belley et de Bourg.

Le 30 décembre, ils seront relevés et mis au repos à Marzelay, près de Saint-Dié.

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