Le témoignage étonnant du caporal Léon Bony

Caporal Léon BonyPlusieurs témoignages de soldats et officiers du 133e RI existent pour raconter « de l’intérieur » les combats dans les Vosges. Notons celui du capitaine Cornet-Auquier, du lieutenant Vuillermet (voir l’article sur le futur film de la bataille du Linge), celui de Louis Chevrier de Corcelles ou bien celui de Laurent Joseph Fénix. Le site du CRID sur les témoignages des combattants en détaille plusieurs. Un pourtant est peu cité, voire pas du tout : celui du caporal Léon Bony. Et pour cause, il contient de nombreuses invraisemblances ou erreurs, ce qui le rend difficilement utilisable. Mais au début de mes recherches, il fournissait quelques détails sur le commandant Barberot qui s’annonçaient intéressants. Le carnet m’avait transmis par son arrière petit fils Laurent Rivierre.

Le soldat Léon Bony fait partie de la classe 1912. Il est mobilisé en août 1914, et rejoint à Belley la 1ère compagnie du 1er bataillon du 133e régiment d’Infanterie (que commande à partir de septembre 1914 le commandant Barberot). Il passe ensuite, après une blessure, au 5e bataillon de chasseurs à pied, un peu avant l’arrivée de son ancien commandant, qui en prend le commandement le 26 juin 1915.

Le carnet a été rédigé en janvier 1917, c’est à dire plus de deux ans après les combats. Il commence avec cette introduction :

J’ai simplement voulu conserver le souvenir écrit de quelques-unes des heures vécues au cours de cette guerre. Simple soldat au 133e Régiment d’Infanterie en garnison à Belley (Ain) incorporé le 8 octobre 1913. Au moment où j’écris ces quelques lignes, je suis au 5e bataillon de chasseurs à Pied ayant son dépôt à Remiremont (Vosges). Je ne pense pas avoir la prétention de vouloir juger les opérations qui, depuis le 2 août se déroulent sur un front immense. Je veux simplement parler que de ce que j’ai vu de mes yeux dans le petit coin du champ de bataille où se trouvaient mes régiments successifs. Je me suis dit que, si je sortais sain et sauf de cette formidable lutte, j’aurais plaisir un jour à retrouver ces quelques récits de combat, et de souffrance matérielle et morale surtout, endurée durant quatre années.

Il commence par raconter les combats en Alsace, puis la retraite vers la frontière fin août 1914, puis les premiers combats dans les Vosges. Un premier épisode surprenant est raconté à la date du 3 septembre 1914, durant l’épisode du col des Journaux :

3 septembre – Nous remontons à l’attaque sur la cote 517. L’ennemi se replie, nous gardons la lisière du bois durant la nuit.

4 septembre,  5 heures du matin, nous envoyons des hommes à la corvée d’eau pour faire le café : nul ne revient. A 6 heures, nous sommes cernés par les Boches. Trahis par le Général Boste marié à une Boche. Il nous reste un seul côté nous permettant de battre en retraite, en arrière. Ma section est désignée pour protéger la retraite du régiment, nous tenons jusqu’à 10 heures à 50 hommes. Mais nous avions déjà 10 hommes hors de combat, 7 blessés dont mon Sergent Roussel, 3 tués, le sous-lieutenant Cuillerier, le tambour, et mon camarade, Vermorel, dont moi je me trouvais entre eux deux dans la tranchée : je n’avais pas une égratignure. Quelle chance ! A 3 heures nous avons rejoint le régiment au col des Journaux. Dans l’après-midi, le Commandant Barberot fit arrêter le Général Boste comme traître et le fit conduire à Fraize, baïonnette au canon.

Cet épisode est le plus étrange et a posé tout de suite question. Ni le Journal de Marche, ni les écrits du capitaine Barberot (pas encore commandant à cette époque), ni les recherches sur un général Boste n’ont permis de retrouver ces événement. Une question posée sur le forum 14-18 résumait ces recherches. Alors pourquoi les avoir écrits ? Peut être que ces écrits reflètent des rumeurs face à la violence des combats, la retraite depuis l’Alsace qui a pu donner un goût de panique, favorable à toute sorte de théorie complotiste ou de trahison.

Il raconte ensuite le retrait du col et un épisode de quasi capture du commandant:

Le soir même nous quittions le col des Journaux, pour prendre position au col du Bonhomme à 1 kilomètre à notre droite. Là, nous fîmes des tranchées confortables. Le 5 au matin, le 5e Bavarois, par des attaques successives, nous livrèrent une bataille acharnée toute la journée. Ce fut un véritable massacre, nous tirions de part et d’autre à bout portant. Le soir, les morts étaient criblés de balles. Nous avons sauvé le commandant Barberot qui allait être pris par les Boches. Vers huit heures du soir nous abandonnions les positions. Les Allemands avaient pris le col des Journaux. Profitant de la nuit pour se replier sans bruit jusqu’à Fraize.

Il est difficile de savoir si le commandant Barberot était près de la capture. Il est certain que l’encerclement de l’unité fut quasi totale, et il fallut s’exfiltrer la nuit pour se regrouper (voir l’article consacré à ma visite au site du col des Journaux).

12 septembre 1914 nous quittons le secteur pour nous rendre du côté de St Dié Vosges. En avant de St Dié, nous reprenons contact avec les Allemands, au village de la Fontenelle qui nous fut pris et repris plusieurs fois, mais en fin de compte resta à nous vers le 20 sept. A droite se trouvait St-Jean-d’Ormont, qui par suite fut détruit par l’artillerie boche. En avant, c’était Saulcy, que nous devions prendre. Le 21 au matin, après avoir passé la nuit sous la pluie dans les sapins, l’attaque partait de St-Jean-d’Ormont, à 6 heures du matin. Une demi-heure plus tard au moment que nous gagnions du terrain je fus blessé d’une balle au genou gauche.

Si le cadre général semble correspondre, il est difficile de retrouver exactement les combats aux dates indiquées dans les sources diverses qui sont à disposition. Au 21 septembre 1914, alors que Bony est blessé, le bataillon est retranché à Gemainfaing. Il n’y a pas d’attaque générale. Mais peut être le soldat participait à une attaque de moindre envergure qui n’était pas mentionnée. La date est antérieure de 3 jours à celle de la mort du caporal Janéaz, dont il fut aussi difficile d’identifier les circonstances.

Quand il est remis, il rejoint le 5e BCP. Il raconte retrouver le commandant Barberot, mais à un date qui n’est pas celle de sa pris de commandement (26 juin 1915).

Le lendemain de notre arrivée [6 juin 1915] , j’appris que le Commandant du 5e Chasseur était Barberot, le même que nous avions au 133e. Quelle joie fut cette nouvelle pour moi, car cet officier était un père de famille. Il avait surtout de la méthode, de l’initiative, toujours réfléchi, cherchait à faire le moins possible massacrer ses hommes.

Le carnet parle ensuite de combats qui sont probablement ceux de l’Hilsenfirst, mais pour une durée erronée. Ensuite, 4 jours de repos puis un rengagement pour le linge, ce qui est inexact. Le bataillon avait été mis au repos début juillet pour près de 3 semaines.

Après un repos de 4 jours, il fallut de nouveau se préparer à l’attaque. Il fallait reprendre aux Boches le Lingekopf ou Linge, car ils occupaient les cimes. Premiers carnages à mes yeux depuis la guerre de tranchées. Six malheureux bataillons avant nous allèrent à l’attaque tour à tour, ils revenaient tous à peu près anéantis, les compagnies de 300 hommes revenaient à 30 ou 40, à demi-fous, par les bombardements qui duraient depuis 48 heures.

Le caporal Bony a ensuite une version très personnelle de la première attaque.

La Division était commandée par le Général de Maud’huy. Lorsque le tour de la 5e arriva d’aller à l’assaut, le Général qui était à 20 kilomètres en arrière, donnait des ordres par téléphone. Mais le commandant Barberot n’accepta pas les ordres du Général, en lui répondant assez de massacres imbéciles, c’est moi qui commande ici. Je suis avec mes hommes. Je veux qu’ils aillent de l’avant. Mais l’arme à la bretelle. Ainsi fut fait. Les Allemands avaient eux aussi subi des pertes énormes, durent abandonner les premières lignes. Nous en prenions possession sans subir aucune perte grâce à la vigilance du Commandant Barberot. Mais il était trop bon. Nous devions le perdre quelques jours plus tard.

La conversation téléphonique entre le commandant Barberot et son supérieur – probablement pas Maud’huy en personne, qui n’est d’ailleurs pas général de la division – est relaté par le sergent Bernardin dans ses carnets consacrés au 5e BCP, et l’attaque du 29 juillet 1915 :

« Après une préparation d’artillerie notoirement insuffisante (les artilleurs ont ordre de ménager les munitions) et malgré l’opposition de Barberot qui doit obéir aux ordres de la division (j’ai entendu une partie de la discussion au téléphone) ».

On constate toutefois que le commandant Barberot ne refusa pas. Il est d’ailleurs difficile d’imaginer un refus d’obéissance entre un commandant et un général, ce qui aurait valu à Barberot la mise aux arrêts, voire plus… La conversation téléphonique a dû circuler parmi les chasseurs, mais 2 ans plus tard, son contexte a été modifié.

Ensuite, le carnet raconte une attaque à Metzeral fin juillet ! Alors que l’offensive y est stoppée depuis le 23 juin 1915… Il ne peut s’agit que l’attaque du Hilsenfirst, où fut engagé le 5e BCP, mais il y a une confusion totale de la chronologie des événements. Le soldat Bony y décrit la mort du commandant avec une grande imprécision.

26 juillet attaque de Métzeral et Sondernach. La bataille dura 7 jours, marquant que quelques heures d’arrêt par l’artillerie. Le 7e jour en allant à l’assaut, le Commandant Barberot fut abattu d’une balle au front. Nous perdions en lui un homme de cœur, loyal, intelligent et brave. Pour que son corps ne reste pas entre les mains des Boches, tout le 5ème Chasseur se cotisa et le Commandant Barberot fut transporté et enterré à Remiremont Vosges.

Le lieu est bien entendu erroné, car le bataillon est engagé sur le linge. Et le commandant Barberot ne meurt pas dans un assaut par une balle au front, mais lors du terrible bombardement du 4 août 1915 par un éclat d’obus. Et pas de « cotisation » pour évacuer son corps afin qu’il ne tombe pas aux mais de l’ennemi. Les positions françaises résistèrent. Quand à Remiremont, il ne fut jamais le lieu d’inhumation du commandant, qui eut une tombe (provisoire) à Plainflaing.

Que penser de tout cela ? L’écriture en janvier 1917 est peut être la source de toutes ces imprécisions, probablement alimentées par le souvenir de nombreuses rumeurs qui devaient courir au sein de la troupe. Et une mémoire défaillante de ce combattant est tout à fait plausible car il est au combat depuis près de trois ans.

A noter que sa fiche matricule n’a pu être trouvé dans les archives de l’Ain.

Toute précision ou complément est bien entendu la bienvenue sur ce blog.

2 Commentaires

  1. Laurent Rivierredit:

    Bonjour,

    je retombe sur votre blog et vos analyses très intéressantes.

    En réponse à votre avant dernière remarque, voici le lien de la fiche matricule de Léon Bony qui j’espère vous permettra d’éclaircir certains points (pensez à regardez également la vue suivante) :

    http://archives.aveyron.fr/ark:/11971/vta1cbbc159a1fb6c3b/daoloc/0/layout:table/idsearch:RECH_4579247f57f5834ac5e1416f35321e48#id:1436218039

    Cordialement,

    Laurent Rivierre

    1. Bonjour monsieur,

      merci pour ce lien. En lisant le dossier, je remarque que votre aïeul est blessé le 18 septembre 1914 au genou à Saint-Jean d’Ormont. Il ne rejoint le 5e bataillon de chasseurs à pied que le 6 septembre 1915, toujours en pleine bataille du Linge, mais plus d’un mois après le décès du commandant Barberot. Il semble donc avoir écrit un récit sur la base d’éléments qu’il n’a pas toujours vécu. D’où ces nombreuses incohérences. Il n’en demeure pas moins que l’histoire du général Boste est retrouvé chez un autre auteur, comme je l’ai indiqué ici sur le forum 14-18

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