Il y a 100 ans le 133e RI victorieux sur la cote 830 devant Metzeral

cote 830

Il y a tout juste 100 ans, le 1er bataillon du 133e régiment d’infanterie – le bataillon Barberot – prenait la cote 830 en 15 minutes et ouvrait la route vers Metzeral. A cette occasion, republions l’historique du régiment sur cet assaut :

Le 4 juin 1915, on fit appel au 133ème, pour coopérer en Alsace à l’attaque de Metzeral. Le bataillon Barberot (1er) et le bataillon Coipel (2ème) y furent transportés en auto-camions.

Arrivés au col de la Schlucht, ils aperçurent, dans le panorama splendide qui se déroulait sous leurs yeux, le théâtre de leurs futurs exploits. Des pentes escarpées descendent brusquement vers la Fecht méridionale, formée elle-même de deux branches qui se réunissent à Metzeral : l’une très courte, coupée de vergers et de prairies, où se trouve le village de Mittlach, l’usine de Steinabrück et l’Altenhof (faubourg de Metzeral); l’autre – la Fecht de Sondernach – orientée du Sud au Nord. Les deux vallées sont séparées par le massif du Schnepfenrieth.

A ce moment, nous tenions déjà les sommets les plus élevés : l’Altmatt, le Sillacker, le Schnepfenrieth, et nos lignes étaient poussées jusque devant Altenhof et au delà de Mittlach. Les Allemands, fortifiés aux lisières de Steinabrück, restaient accrochés aux seuils qui dominent immédiatement la vallée (Braunkopf, Eichwälde, cote 830), et ils avaient réussi à en faire des positions qu’ils qualifiaient d’inexpugnables. Les chasseurs qui opéraient dans la région avaient déjà, par cinq fois, tenté de s’en emparer. Deux fois ils avaient réussi à y prendre pied, mais sans pouvoir s’y maintenir. C’est alors qu’il fut fait appel au 133ème. Afin de se familiariser avec cette guerre de montagne à laquelle il n’était pas accoutumé, le régiment occupa successivement les secteurs de l’Altmatt et de Sillacker, et s’employa à creuser des parallèles de départ en vue de l’attaque de l’Eichwälde et du Braunkopf. Le 12 juin, les deux bataillons étaient amenés au pied de la cote 830.

Dans le plan primitif, on ne devait tenter qu’une simple démonstration sur ce dernier point, l’attaque principale devant avoir lieu sur le Braunkopf et l’Eichwälde. Au dernier moment on s’aperçut qu’on faciliterait singulièrement la conquête de ces deux positions, si l’on pouvait s’assurer la possession de la cote 830, qui, dominant un de ces sommets et flanquant l’autre, est comme la clef de toute la chaîne. Les préparatifs de l’attaque durent donc être poussés très rapidement. Pourtant le succès dépassa toutes les espérances et fit le plus grand honneur à celui qui l’avait préparé, le commandant Barberot.

La position ennemie, qui au milieu s’avançait en saillant dans nos lignes, comptait trois énormes lignes de tranchées, prolongées par d’épais murs en sacs à terre et défendues par trois flanquements de mitrailleuses ainsi que par des abris étayés avec des rails. Mais le commandant Barberot avait confiance et comptait sur son bataillon. «Nous avons été placés au poste d’honneur, dit-il dans son ordre du jour précédant l’assaut. Nous allons attaquer au milieu de troupes d’élite : les chasseurs alpins. Je sais que vous avez confiance en moi, comme j’ai confiance en vous; je sais que vous avez à maintes reprises déclaré que vous me suivriez partout où je vous conduirais. C’est le moment de tenir votre parole. C’est le moment de montrer aux chasseurs que nous les valons largement. C’est le moment de penser au pays et de marcher sans hésiter pour son indépendance et pour sa gloire.»
L’attaque devait d’abord se faire en coin, c’est-à-dire qu’on devait d’abord enlever le saillant ennemi, le dépasser, puis se rabattre à droite et à gauche sur les ailes, de façon à prendre les tranchées à revers.

La préparation d’artillerie commença à midi et fut prolongée jusqu’à 4 heures 30. A ce moment, le commandant Barberot monta debout sur la tranchée pour donner le signal impatiemment attendu.

«En avant !» Les clairons sonnèrent la charge, les hommes de la première vague sortirent en poussant des cris et des rugissements et, bondissant à travers les trous d’obus et les éboulis, franchirent la 1ère, la 2ème puis la 3ème ligne avec une telle impétuosité que l’ennemi n’eut pas le temps d’organiser la défense. Toujours debout sur son parapet, sa canne levée, et calme comme à la manoeuvre, le commandant Barberot donnait le signal du départ aux cinq autres vagues qui se succédaient à 50 mètres. Une fois les 5ème et 6ème vagues, chargées du nettoyage des tranchées, arrivées, ce fut une lutte épique dans les boyaux, à coup de baïonnettes et de grenades. Les mitrailleuses ennemies ne purent pas tirer. Les lance-bombes qui, placés plus en arrière, n’avaient pas été détruits par le feu de l’artillerie, envoyèrent quelques énormes torpilles de 100 kilos qui explosaient, en soulevant une trombe de terre, ouvrant des brèches sanglantes dans nos rangs. Mais nos hommes, arrivant sur les minenwerfer, clouèrent avec leurs baïonnettes les servants sur leurs pièces. La position tout entière venait de tomber entre nos mains. L’assaut n’avait duré que 15 minutes.

«Il y eut deux phases dans cette attaque, a écrit le capitaine Cornet-Auquier : une magistrale préparation d’artillerie qui, trois heures et demie durant, fit pleuvoir sur l’adversaire plus de 5.000 projectiles; puis pendant les dernières rafales de nos canons, alors que nos 75 sifflaient, rasant presque les têtes, une charge épique de tout un bataillon en plusieurs vagues successives, une charge qui, nous l’avons su depuis, arracha des applaudissements à ceux qui, de leurs observatoires, assistaient à la scène. Imaginez-vous un volcan, des nuages de fumée, un vacarme assourdissant, au milieu duquel on perçoit, répété par un millier d’hommes, le cri de charge : «En avant ! En avant !» Un soleil d’or faisait scintiller les baïonnettes, puis ce fut la ruée sur l’ennemi, le cou tendu, la bouche comme contractée par un rire sauvage, et les cris de joie féroce en voyant la bête fuir. A droite et à gauche, la résistance faiblit rapidement, et tout à coup 296 Allemands, dont 8 officiers, se constituèrent prisonniers. Ils paraissaient tout heureux de se rendre… Ceux qui baragouinaient le français nous disaient «Vous, bons camarades !»
A droite, deux compagnies allemandes avaient en effet tenté une contre-attaque, mais prises de front, à revers, de flanc, elles durent se rendre au complet. Nos officiers eurent beaucoup de peine à arrêter les troupes d’assaut qui voulaient continuer sur Metzeral. Mais l’ordre était arrivé d’aménager la position avant de pousser plus avant. »
«Quel dommage, ça allait si bien !» disaient les poilus. Nous avions pris des quantités de cartouches de mitrailleuses, de mortiers, de torpilles, de revolvers et de matériel de toute sorte. Tout le bataillon qui occupait la position était détruit, tout ce qui n’avait pas été tué avait été pris. Deux heures après, 5 lignes de tranchées étaient étayées, et un réseau de fil de fer et de grillage était déjà installé. On s’attendait à une contre-attaque des Allemands pendant la nuit, mais il n’en fut rien. Le coup avait été trop dur pour eux.

Les jours suivants, le bataillon resta à la cote 830, continuant à organiser la position. Opérant avec le 52ème chasseurs, sous les ordres du lieutenant-colonel Baudrand, le 2ème bataillon prit part pendant ce temps à l’attaque de l’Eichwälde. Le 13, en même temps que le 1er bataillon marchait sur la cote 830, les chasseurs avaient tenté en vain d’en faire directement l’attaque. La position se trouvait légèrement débordée par les troupes du 1er bataillon, mais les Allemands s’y cramponnaient toujours. Il fut alors décidé de contourner ce sommet pour le faire tomber. Progressivement, les 16 et 17 juin, on en continua l’encerclement par les bois de Sommerlitt et d’Altenhof. La menace de notre manoeuvre finit par avoir raison de la ténacité de l’ennemi. Et le 18, au matin, la. 8ème compagnie put occuper l’Eichwälde que les Boches venaient d’abandonner précipitamment. Le mouvement se poursuivit alors en direction de la Fecht, face à Metzeral, et des éléments du régiment prirent pied dans Altenhof et Steinabrück.

Après un jour de repos à Mittlach, le 2ème bataillon vint de nouveau prendre position devant Metzeral. Placé à la lisière est de l’Anlass, il couvrait, contre Sondernach, le flanc droit de la 1ère brigade de chasseurs. Prévoyant la perte de Metzeral, les Boches l’incendièrent et ce fut au milieu des brasiers que se fit la poursuite. Le 22, à la tombée de la nuit, nos troupes, atteignant les abords immédiats de la Fecht, pénétrèrent par le Sud dans le village en flammes, donnant la main aux chasseurs qui arrivaient par le Nord. Et le 23, malgré la violence du feu des mitrailleuses de la rive droite de la Fecht, qui obligèrent tout le jour les 5ème et 7ème compagnies à se cramponner au terrain, une partie du bataillon parvint, à la tombée de la nuit, à s’emparer de Sondernach.

Le général de Maud’huy, commandant la VIIème armée, avait été tellement enthousiasmé par les exploits du 133ème que, le 16 juin, il avait détaché sa propre croix de guerre, pour en décorer, sur le champ même de bataille, le commandant Barberot. Et il voua aux poilus du régiment une admiration dont il ne se départit jamais. «Mes lions du 133ème !», disait-il toujours en parlant d’eux. Ce surnom devait leur rester.

Ces prouesses successives valurent d’ailleurs aux deux bataillons d’être cités à l’ordre de l’armée.

1 Commentaire

  1. A noter que le récit du 133e RI fait débuter la préparation d’artillerie à midi. Le général de Pouydraguin et le lieutenant Martin indiquent un début des tirs à 13h00.

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