Chasseur Clément Receveur

L’article sur l’hécatombe des cadres du 5e bataillon de chasseurs à pied au Linge d’Eric Mansuy, continue de susciter de nombreux contacts avec les descendants des combattants du bataillon. Monsieur Jean-François Receveur, petit-neveu du chasseur Clément Receveur du 5e BCP, tué le 21 juin 1915 à l’Hilsenfirst, m’a ainsi sollicité pour d’éventuels éclairages sur le parcours de son grand-oncle.

De la difficulté de reconstituer le parcours d’un simple chasseur

Si le parcours des officiers est relativement aisé, celui des simples soldats est bien plus difficile. Peu de détails sont fournis dans les journaux de marche ou leur registre matricule, quant à la compagnie à laquelle ils appartiennent, ou les conditions de leur mort. Pour le soldat Clément Receveur, les sources se sont révélées minces mais permettent de reconstituer quelques étapes de son bref parcours. Rendons hommage à ce jeune chasseur de 21 ans du 5e BCP, tombé le même jour que son chef, le commandant Colardelle.

De l’horlogerie au 5e BCP

Clément Philomen Receveur naît le 10 octobre 1894 à Fuans, dans le département du Doubs, près de la frontière avec la Suisse. D’origine modeste, il est le fils de Victorien Receveur et d’Esther, né Coulot, tous deux journaliers. En 1914, il est horloger, secteur économique majeur de la proche ville de Besançon et n’a pas encore effectué son service militaire. Suite à la déclaration de la guerre le 3 août 1914, sa classe est rapidement mobilisée par anticipation dès le 1er septembre (au lieu d’octobre). Le jeune Clément est affecté au 5e Bataillon de Chasseurs à Pied. Comme tous les nouveaux mobilisés, il suit une formation rapide qui lui permet d’acquérir les rudiments militaires, avant de rejoindre son bataillon. Ce dernier a subi d’importantes pertes depuis la mobilisation du mois d’août, aux combats d’Ingersheim, d’Entre-deux-Eaux et de Mandray. Les renforts sont précieux pour combler les lourdes pertes.

Premiers engagements

Le jeune chasseur connait probablement son premier engagement à Steinbach, entre le 13 et le 15 décembre 1914. Puis enchaîne les combats sanglants d’Uffholtz en janvier et février 1915. En février, il occupe avec son bataillon la ligne de crête Markstein-Trehkopf, puis retrouve le plateau d’Uffholtz. En juin 1915, son bataillon est engagé dans l’offensive française de la vallée de la Fecht, dont l’objectif est la prise de Metzeral puis celle de Munster.

Tombé à l’Hilsenfirst

Le 14 juin 1915, son bataillon est engagé sur le secteur de l’Hilsenfirst. Le 17 juin, il doit participer au dégagement de la compagnie Manhès qui est encerclé par les Allemands. Le 18 juin, le chasseur Clément participe à la première attaque mais doit, après une progression initiale, se replier avec ses camarades sous la pression de l’artillerie ennemie puis d’une contre-attaque allemande. Le 20 juin, une nouvelle opération est engagée avec d’autres bataillons (notamment le 13e BCA). Le chasseur Receveur parvient avec ses camarades sur la crête de l’Hilsenfirst avec difficulté. Le lendemain 21 juin, les combats se poursuivent. La 2e compagnie connait de lourdes pertes et un flottement parcourt les hommes. Son commandant, le chef de bataillon Colardelle doit intervenir et diriger lui-même l’assaut. Ce dernier s’affaisse alors qu’il est atteint mortellement de deux balles. Le chasseur Receveur tombe ce même jour pendant ces combats qui font 67 tués ce 21 juin au sein de son unité.

Extrait de l’historique du bataillon

L’historique du bataillon décrit les détails de cette sanglante journée :

Le 21, au jour, le combat reprend aussi acharné que la veille.

L’ordre est bref : « A tout prix il faut enlever le Bois-­en-Brosse ».

Après deux heures d’une préparation d’artillerie violente, les chasseurs de la compagnie Beucler bondissent en avant, gagnant une cinquantaine de mètres et s’emparant d’une tranchée ennemie. Malheureusement, à gauche, la 4e compagnie ne peut déboucher ; les chasseurs sont pris de flanc par un violent tir de mitrailleuses.

A 12 heures, la 6e entre alors en action ; une de ses section renforçant la 2e compagnie, les autres s’efforcent de gagner du terrain sur la gauche ; ces dernières subissent des pertes importantes et ne peuvent gagner qu’une cinquantaine de mètres. L’ennemi, sentant l’importance pour lui qu’il y a à conserver la crête de l’Hilsenfirst, résiste avec acharnement. Le commandant Colardelle se porte sur l’emplacement de la 2e compagnie qui peut encore sur sa gauche progresser quelque peu. A ce moment, une contre-attaque ennemie débouche sur la 2e, bousculant les premiers éléments. Le commandant, rassemblant aussitôt le gros de la 2e, lance les chasseurs à l’attaque, lui-même partant à leur tête. Il ne peut malheureusement pas aller loin, frappé de deux balles en pleine poitrine, il tombe et succombe peu après. Presqu’au même moment, le lieutenant adjoint Masson d’Autume est tué en transmettant un ordre. Néanmoins, l’intervention du commandant n’a pas été inutile ; la contre-attaque ennemie est dispersée, une ligne de tranchées conquise avec 20 prisonniers. Immédiatement les chasseurs se mettent au travail, organisant la position, creusant des tranchées et des boyaux. Le capitaine Muller prend provisoirement le commandement du bataillon.

Le commandant Barberot prendra la tête de l’unité quelques jours plus tard, le 26 juin. L’unité ne sera remis au repos que le 3 juillet.

Aucun citation ne permet malheureusement de connaître les conditions exactes de la mort de ce jeune chasseur. Seul son nom subsiste aujourd’hui sur le monument aux morts de Villers-le-Lac, commune où se trouve aussi sa sépulture.

8 Commentaires

  1. RECEVEUR Jean-Françoisdit:

    Philippe,

    Merci pour ces éclaircissements qui me confortent, quant à leur justesse.
    Je vais relire les articles consacrés et rechercher auprès de spécialistes de la question dont Eric Mansuy.
    Je suis votre blog et j’avais noté la difficulté de récupération des concessions.

    Bien à vous

    Jean-François

  2. Philippe
    comme toujours entre précision d’historien dans le partage de l’émotion transmises par nos poilus, nos grand-pères et nos arrières grand-pères , cet article fait mouche, car il donne l’envie d’aller plus loin et de préserver l’héritage si précieux qu’ils nous ont légué. Ton Blog reste un exemple pour moi afin de prendre mon courage à deux mains et dès demain pour écrire sur les chasseurs à pied et alpins de la Grande Guerre afin de partager ma passion et ma fierté envers eux
    Merci pour ton œuvre en 2018 et impatient de te lire en 2019
    Très amicalement

    1. Bonsoir Régis,
      merci pour ce mot, à la veille de cette nouvelle année. Je reste à ta disposition pour toute aide que je pourrais fournir à ton projet d’écriture.
      Amicalement

  3. RECEVEUR Jean-Françoisdit:

    Un hommage émouvant à ce bataillon et ces combattants. Merci au noms des Familles éprouvées. Merci au nom de la mienne. JFR

    1. RECEVEUR Jacquesdit:

      Bonjour Frangin. Merci de nous permettre de partager cette histoire de France et celle de nos jeunes anciens qui ont donné leur vie pour nous et pour notre liberté. C’est de l’émotion pure également transmise par Philippe au travers ses écrits et son blog que je remercie également.
      A te suivre Jean François pour tes recherches passionnées.

      1. Merci pour votre mot. J’ai relu ce parcours que j’avais rédigé il y a quatre ans, avec toujours autant de respect et d’admiration.

        1. RECEVEUR Jean-Françoisdit:

          Philippe,

          Votre commentaire me touche, merci.
          Ces terribles combats qui ont pris tant de vies. Les journaux de marches qui nous éclairent et nous font vivre avec émotions, ces moments d’une telle dureté.
          Cela soulève en moi une question. Tous les soldats morts pour la France dans ce conflit ont-ils été identifiés après leurs décès ?
          Quelles étaient les pratiques dans ces moments difficiles ?
          Leurs corps, quand ils n’ont pas été portés disparus, ont-ils été rapatrié dans la commune de leur naissance ? Peut-on retrouver des traces, des documents ? Dans le cas de Clément, il n’est pas fait mention de cela. Peut-on penser que son corps ai été enterré sur place ou dans une nécropole commémorative du lieu des combats ?

          Bien Cordialement

          Jean-François RECEVEUR

          1. Bonjour Jean-François,

            je ne suis pas le plus grand spécialiste de ces questions, d’autres comme Eric Mansuy en savent bien plus (Eric a travaillé notamment sur les pertes du Linge).

            Sur la base de plusieurs cas de ce blog (notamment le chasseur Janéaz), un combattant décédé était souvent enterré dans un cimetière provisoire près du lieu des combats. Bien évidemment, son corps devait être retrouvé. Ce n’est pas toujours le cas (un tir d’artillerie peut désintégrer un corps ou l’enterrer – on retrouve au Linge régulièrement les ossements de combattants).

            Par la suite, le gouvernement français a créé les nécropoles nationales avec un entretien perpétuel. Les corps ont été transférés vers ces nécropoles.

            Des familles ont réclamé la possibilité de récupérer les corps pour les enterrer dans leur propre caveau. La loi a été ajustée pour cela. La récupération du corps enlevait en même temps toutes les protections légales rattachées aux nécropoles. C’est pour cela qu’actuellement, il y a le problème des récupérations de concessions par les mairies qui contiennent des corps de Morts pour la France. Ces derniers terminent alors dans la fosse communale. J’ai publié en novembre un article sur le cas de Louis de Corcelles et de l’initiative du Souvenir Français d’une nécropole spécifique pour ces cas dans le cimetière de Bourg en Bresse.

            Pour les nécropoles nationales, il y a une base de disponible. Pour les tombes privées, des initiatives existent pour les référencer mais bien entendu, ce n’est pas exhaustif.

            A noter que j’ai la tombe du Commandant Barberot qui est privée. Sa veuve a demandé à récupérer le corps, pour un caveau situé juste à côté à Plainfaing. Cela lui a permis d’y être enterré avec son mari (son fils Jacques, mort par accident à St Cyr, y a aussi été enseveli). Sans descendants, la tombe était laissée sans entretien jusqu’à ce que je la retrouve, et que ma mère en finance la restauration (partielle). Je la surveille maintenant …

            Bien à vous

            Philippe

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