Sur la piste du commandant Barberot : Cote 627 – La Fontenelle (2/5)

(suite de l’épisode 1 Saint-Jean d’Ormont)…

LaunoisJe quitte la tombe du lieutenant-colonel Dayet et Saint-Jean d’Ormont pour me diriger vers le haut-lieu des combats de la zone : la cote 627, sur laquelle se dresse la nécropole de La Fontenelle. Le site n’est qu’à peu de distance, et bien indiqué. Rapidement, on rencontre un premier hameau de la commune de Ban-de-Sapt, Launois. Le guide Michelin indique que les lignes allemandes passaient par ici. Je mettrai un peu de temps, à vrai dire au retour du voyage, pour bien comprendre comment les lignes françaises et allemandes étaient disposées. L’accès aux sites et les routes actuelles sont un peu trompeuses. Mon sens de l’orientation peut-être aussi…

Au milieu du hameau, au carrefour où part la route vers le site de la Fontenelle, un Panneau direction La Fontenellemagnifique monument aux morts se dresse devant les passants. La mairie et la salle des fêtes sont elles aussi imposantes, mais le guide Michelin indique qu’elles ont été construites après la guerre avec les restes des matériaux allemands. Après cette pause et une tentative infructeuse pour accéder à l’église, je reprends la route pour m’engager sur la route qui monte vers la nécropole. Un panneau indique rapidement le chemin. Je m’approche…

Monument DayetUne petite route bitumée s’engage vers la site. Une fois de plus, je pense inconsciemment que je monte par là où les troupes françaises montaient elles aussi. Quand je serai sur le site, j’aurai toujours l’impression que les Allemands sont devant. Pourtant, ils sont à droite ! Le premier monument, sur le bord de la route avant d’arriver à la cote 627 le montre pourtant clairement. Il s’agit de l’endroit où le lieutenant-colonel Dayet (dont la tombe se trouve à Saint-Jean d’Ormont) tomba le 27 janvier 1915 lors de l’offensive malheureuse que l’état-major avait engagée. On ne peut que s’arrêter devant cet endroit dont l’épisode qui y est lié à été décrit de multiples fois (dans les courriers du commandant Barberot, ou dans La Grande Guerre entre les Lignes, où le médecin Joseph Saint-Pierre racontera comment il a récupéré avec d’autres soldats le corps du lieutenant-colonel). A côté de la stèle rappelant la mort de Dayet, une autre mentionne celle du capitaine Jean Burelle, qui, lui, fut tué lors des combats de reprise de La Fontenelle en juillet 1915. Je profite de l’article pour l’indexer sur le site Mémoire des Hommes. Pris par le doute, je vérifie aussi que le lieutenant-colonel Dayet est indexé… surprise ! Une des deux fiches (les officiers ont toujours deux fiches) ne l’a pas été. Je m’empresse de le faire.

Enfin se dresse devant moi, au bout de l’allée, le monument imposant de la nécropole, au milieu d’une grande clairière.Monument de La Fontenelle Erigé en 1925 par les sculpteur Emile-Just Bachelet, il est intitulé « Aux Vosgiens ». Pourtant, ce furent surtout des « bugistes » qui tombèrent ici, non ? Le site est très beau, et dégage une forte émotion. On s’imagine facilement pourquoi il a été choisi pour commémorer le centenaire des combats dans les Vosges. Mais sa construction a effacé une grande partie du champ de bataille lui-même. Lorsque je m’étais interrogé sur l’absence du 133e RI dans les commémorations de Metzeral, le lieutenant-colonel Jean-Louis Pierret de l’amicale du 133e RI m’indiquait que certains habitants rapportaient que ce comblement avait été « piloté » par les chasseurs qui ne souhaitaient pas laisser de traces d’un champ de bataille où ils n’avaient pas été acteurs. Toujours cette rivalité…

Table d'Orientation de La FontenelleJe suis impatient de démarrer la visite du site, d’autant plus qu’il a été ré-aménagé depuis peu. Sur le parking – désert, et il n’y aura aucune visite pendant les deux heures et une voiture passera au moment de mon départ – une belle table d’orientation donne une vision du champ de bataille. Il permet de voir le tracé des différentes lignes françaises et allemandes, et la manière dont se déroulèrent les combats de juillet 1915. D’autres panneaux récents donnent des explications détaillées sur la bataille et le site, avec des photos aériennes bien utiles. Une fois de plus, la table d’orientation m’induit en erreur sur la localisation des lignes. La carte ne semble pas orientée par rapport au site lui-même…

Après une lecture attentive des nouveaux panneaux , j’entame la visite du champ de bataille lui-même, en suivant leChemin autour du site de La Fontenelle parcours installé depuis peu. Je commets l’erreur de ne pas le démarrer au bon endroit, mais finalement cela ne représente pas un problème majeur. Le circuit et les différents panneaux sont de très grande qualité, avec un contenu détaillé, pédagogique et de nombreux thèmes abordés. On retrouve la même « patte » que les articles publiés dans Vosges Matin cet été. Le tour de piste général suit le tour du site, avec un sol aménagé, et des panneaux successifs. Puis des « variantes » proposent de reprendre les tranchées (où ce qu’il en reste) pour aller à la rencontre de vestiges du champ de bataille.

Abri Sittler de La FontenelleUn premier vestige intéressant est l’abri « Sittler », du nom de l’adjudant tombé le 10 février 1915 lors d’une contre-attaque. Il est de la 6e compagnie, donc ne faisait pas partie du bataillon Barberot… L’abri – où ce qu’il en reste – est un des rares vestiges de ce site qu’on imaginait labouré par les explosions et creusé de partout. Les arbres et la « paix » que dégage la nécropole sont un contraste important avec les récits des combats. Heureusement, les nombreuses photos (des frères (et abbés) Roux – dommage qu’il n’y en ait pas du médecin Joseph Saint-Pierre) des panneaux permettent de se mettre dans l’ambiance.

En empruntant un des chemins « variantes », on rencontre d’autres vestiges intéressants. D’abord le blockhaus français, un des rares ouvrages en béton (leLa Fontenelle Arbi en Béton seul du sentier). Un peu plus loin, des restes de barbelés. Le panneau indique – outre des précisions sur les différentes utilisations – que le barbelé fut utilisé en masse mais que – bizarrement – on n’en retrouve aujourd’hui quasiment plus. Le lendemain, quand je serai sur la cote 830, je ferai le même constat en exhumant quelques bouts du sol de ce « consommable » qui couvrait par kilomètres les tranchées et ses abords, et qui est si rare maintenant. Je pense aussi aux pièges que mentionne le commandant Barberot dans ses courriers pour empêcher les infiltrations dans ses lignes et je me dis que c’est un autre sujet à approfondir.

Barbelés La Fontenelle

Au milieu de tout cela, je me demande aussi à plusieurs reprises où sont les traces de mon grand-oncle Charles Barberot, le « fortificateur » de La Fontenelle. Le bunker central qu’il aménagea enPanneau Barberot à La Fontenelle septembre 1914 a disparu sous les mines et le monument dressé en 1925. Et par où fit-il donc la contre-attaque qu’il mena en février 1915 après le désastre de l’attaque française et de la réaction allemande qui suivit ? Heureusement, on avait pensé à lui, et un panneau rappelle sa mémoire non loin de l’entrée du site. Je me dis aussi qu’après cette visite, il sera bien plus facile de relire les événements de l’époque pour retrouver entre les images d’aujourd’hui et les écrits d’hier une meilleure compréhension.

Poste Blindé de La FontelleUn dernier tour est fait au milieu des croix, d’abord pour observer derrière la nécropole le paysage des montagnes (et se demander à nouveau où se situaient les Allemands à l’époque). Un cylindre blindé (peut être destiné à des sentinelles ou des observateurs – je recherche des explications mais n’en trouve point. Ai-je mal regardé ? ) se dresse devant le paysage.

Les Croix de La FontenelleIn fine, je passe en revue les croix. Que de noms dont nombreux sont ceux du bataillon Barberot. J’espère trouver la croix du caporal Janéaz, mais un passage exhaustif n’est pas compatible avec mon temps disponible. Je me dirige finalement vers la sortie et passe alors par hasard devant celle du soldat Grospiron…un signe ? J’apprends qu’Eric Toiseux, lecteur de mon livre, et dont l’épouse est la petite-fille d’Alphonse, était passé quelques jours plus tôt le 11 juillet. « On aurait pu se croiser » m’a-t-il indiqué…

Sans conteste, ce site méritera d’être revisité à nouveau, peut être dans le cadre d’une des nombreuses randonnées proposées sur le thème 14-18. En attendant, j’entame l’étape suivante : l’Ormont et le Spitzemberg.

Paysage La Fotenelle

8 Commentaires

  1. Yannisdit:

    Monsieur Prouillet,
    le site du Hartmannswillerkopf est effectivement très bien conçu, et félicitations pour le travail de Mémoire que vous entretenez. Je vous invite d’ailleurs, le jour où vous ou une association proche de vous, aurez besoin de bras bénévoles pour entretenir le site de la Fontenelle ou un autre, à me contacter via mon adresse mail yannis.panin358@orange.fr. Je me ferai un honneur de venir donner un coup de main.
    J’ai 52 ans et ma famille est normande, j ai donc des témoignages et des anecdotes familiales riches concernant le débarquement du 6 juin 44, comme mon arrière grand père qui habitait près de Caen. Etant garagiste il avait récupéré un grand nombre de véhicules US. A un point tel que, quelques années plus tard, un des réalisateurs du film « le jour le plus long » lui a racheté tout son stock pour le mener à bien le tournage de ce film épique.
    Je dois avouer cependant que la richesse historique de nos Vosges, carrefour des grandes puissances passées, martyrisées malgré sa beauté par des siècles de conflits, revêt un caractère tout à fait fascinant, de Charlemagne aux deux conflits du XXième siècle.
    Si vous donnez des conférences publiques ou organisez une manifestation en lien avec nos échanges, je vous prie, dans la mesure de vos possibilités, de m en informer. Je vous remercie sincèrement pour votre disponibilité, la pertinence de vos réponses et l’opportunité que vous donnez au plus grand nombre de profiter de vos recherches. Yannis PANIN,

  2. Cher Yannis
    Le site est toutefois protégé, surveillé, didactisé, même si certainement améliorable, entretenu et connecté à un espace muséal (que n’a pas le site de La Fontenelle dont le projet d’un tel espace attaché n’a pas été retenu) qui lui-même prodigue des animations sur site, tout cela n’a pas le niveau du Hartmannswillerkopf (qui a aussi été didactisé par mon BE, également largement contributif de l’Historial), tout cela est quand même une initiative très louable. La genèse de toute cette dynamique est également basée sur la réalisation du livre La Chapelotte, Secteur oublié du front de Lorraine entre le Donon et Raon-l’Etape, anthologique aujourd’hui épuisé. Merci en tous cas de votre opportune analyse. YP

  3. Yannisdit:

    Monsieur Prouillet,
    merci pour avoir pris le temps de me répondre, et surtout pour les précisions administratives et sociales concernant la gestion de ces sites. Certes le site de la Chapelotte est vaste mais pour un fan d Histoire il offre toute la structure d’une guerre d’usure chez les deux belligérants. On peut ainsi comparer les conditions de vie, les stratégies, les systèmes de défense, les lignes de communications, les matériaux ou édifices naturels utilisés. Sanctuariser un itinéraire à défaut de pouvoir protéger tout le site en mettant en valeur les indications déjà présentes, une idée certainement déconnectée des obligations administratives. merci encore Monsieur PROUILLET, pour votre réponse, et votre proximité. Yannis PANIN

  4. Bonjour Yannis. Je suis le directeur du bureau d’Etudes (Edhisto) qui a effectué la didactisation du site de La Fontenelle (comme d’un certain nombre d’autres sites de Mémoire et de lieux mémoriels du massif des Vosges, dynamique toujours en cours par ailleurs en Déodatie) et en effet, les initiatives politiques (dans le cadre d’un même Pôle d’Excellence Rurale) mises en place sur ces deux sites ont été différentes sur le plan des prestataires qui ont réalisé effectivement cette mémorialisation. Ce n’est pas mon bureau d’études, préalablement saisi, qui a réalisé finalement le travail vous l’avez apparemment constaté mais d’un autre côté, la mise en mémoire d’un site aussi vaste que le champ de bataille de La Chapelotte, mêlant forêt publique et propriétés privées, et le choix de la maitrise d’oeuvre confiée à une association locale peuvent avoir rendu difficile un tel niveau de qualité. Par contre, il faut reconnaître en Déodatie que les dynamiques publiques mises en oeuvre pour équiper mais aussi maintenir en état de visite de tels sites en milieu naturels de moyenne montagne permettent une culture mémorielle appliquée à la Grande Guerre tout à fait remarquable. Il est très dommage que les deux propositions de classement à l’Unesco n’aient pas abouti à ce jour, même si la V2 du dossier est toujours en cours. J’espère avoir donné des éléments de réponse à votre réflexion et reste à votre disposition pour échanger plus avant sur ces dossiers. Yann Prouillet pour Edhisto

  5. Yannisdit:

    Travail remarquable !
    Vosgien et fan d Histoire, notamment de la Grande Guerre, je trouve dommage que le site de la Chapelotte n ait pas été réhabilité comme le fût celui de la Fontenelle. C est un site très riche en tranchées, hôpitaux de campagne, mines, grottes aménagées et bien d autres vestiges. Ce site est aujourd’hui massacré par les débardeurs… Peut être manquait-il de passionnés assez investis pour le réaménager ?

    1. Bonjour et merci pour vos compliments. Je ne me suis personnellement jamais rendu sur le site de la Chapelotte donc je ne sais pas nécessairement son état et pour le dire sa richesse. Ce que vous me décrivez me fait penser à l’Hilsenfirst où là aussi, on retrouve de nombreux vestiges (voir mon article à ce sujet), avec effectivement une disparition progressive sous les coups du temps mais aussi des pillards. Je vais signaler votre question à Yann Prouillet qui est un plus fin connaisseur du dossier concernant la Chapelotte, ayant été fortement impliqué dans plusieurs dossiers patrimoniaux.

  6. LESTAGE Marie-Klaudedit:

    Bonjour,

    Remarquable article. Mon Arrière Grand Père était et a été tué à la Côte 627 le 23 juin 1915 ( André Bertrand DUPUY 37 ème Régiment d’Infanterie Coloniale) . Si quelqu’un peut me dire ou je pourrai trouver les circonstances de sa mort, qu’on n’héxsite pas à me contacter.
    Merci beaucoup.
    Cordialement.

    1. Bonjour madame,

      J’ai effectivement retrouvé sur Mémoire des Hommes votre arrière grand père, le caporal André Bertrand Dupuy : https://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/ark:/40699/m005239e6861d81c/5242bd82e5fa6

      On peut aussi trouver son dossier matricule aux archives de la Gironde : https://archives.gironde.fr/ark:/25651/vta701874941c4e02fe/daoloc/0/1

      Je vois que votre aieul était typographe (considéré souvent comme l’aristocratie des ouvriers). On ne trouve pas d’informations sur ce dossier, comme par exemple une citation. On constate simplement qu’il venait de passer caporal le 10 juin 1915.

      Il a pourtant reçu la Croix de Guerre avec étoile de Bronze en 1929. On peut trouver la citation ici : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6244708r/f27.item.r=Dupuy,%20Andr%C3%A9%20Bertrand.zoom

      La citation ne donne malheureusement aucun détail sur les conditions de sa mort.

      Il a été tué le 23 juin 1915, ce qui correspond à l’attaque allemande qui, profitant de l’absence des deux bataillons du 133e RI (engagés à Metzeral), parvint après un bombardement terrible, à occuper une grande partie des positions françaises. Pour les stopper, l’état major français « jeta » toutes les unités disponibles dans la bataille, y compris le 37e RIC.

      L’historique (que vous pouvez trouver ici : http://tableaudhonneur.free.fr/37eRIC.pdf) donne les détails de cette journée :

      « Le 22 juin, à 17 h.15, le 5e bataillon, cantonné à La Pêcherie et à Marzelay, est alerté par ordre particulier du général commandant la 41e division. Ce bataillon quitte ses cantonnements à 19 heures. Les 17e, 18e et 20e se portent sur La Vercoste, à la disposition du lieutenant-colonel commandant le secteur de La Fontenelle. La 19e
      compagnie reçoit l’ordre de se porter sur le Bois Matignon.

      Affaire de La Fontenelle. — Arrivées à la Vercoste, les 17e, 18e et 20e compagnies reçoivent la mission de contre-attaquer les Allemands qui se sont emparés, dans l’après-midi, de la côte 627 après un violent bombardement. Le bataillon exécute deux contre-attaques. La première contre-attaque a lieu à 1 h.45. La progression est des plus difficiles et les compagnies sont obligées de se cramponner au terrain. Elles s’organisent sur place, arrêtées par des feux d’enfilade et par une puissante organisation défensive de l’ennemi. A 9 h.10, nouvelle contre-attaque, mais les colonnes
      n’ont pas fait 100 mètres que l’ennemi déclenche un puissant tir de barrage avec des obus de gros calibre. Les troupes sont complètement décimées par le feu et la progression devient impossible.

      Le bataillon s’est brillamment conduit ; son courage, son endurance, dans ces circonstances particulièrement difficiles, sont au-dessus de tout éloge. Dans cette affaire, nos pertes ont été les suivantes :
      Officiers blessés, 9 ; hommes de troupe tués, 38 ; blessés, 208 ; disparus, 85 »

      On peut raisonnablement penser que le caporal Dupuy a été tué lors du bombardement, ce qui explique le peu de détails sur les conditions de sa mort.

      Bien à vous.

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